Gaz russe, conflits d’intérêt, actionnariat de l’État : les recommandations de la commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies

La commission d’enquête sénatoriale sur les obligations climatiques de TotalEnergies a rendu ses 33 recommandations, après 6 mois de travail. Les sénateurs proposent notamment d’interdire les importations de gaz naturel liquéfié russe en France, ou encore de faire entrer l’État dans l’actionnariat du groupe.
Rose Amélie Becel

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« Il y a six mois, qui aurait pu prédire que nous sortirions avec un rapport consensuel, qui dit la capacité du Sénat à trouver des compromis ? », s’est félicité Yannick Jadot lors de la présentation de son rapport. La commission d’enquête sur les obligations climatiques de TotalEnergies, proposée par le sénateur écologiste et son groupe en décembre dernier, n’a en effet pas immédiatement fait l’unanimité dans la chambre haute.

« La majorité sénatoriale a eu des réserves, parce que c’est très rare que le Sénat ouvre une commission d’enquête sur une entreprise privée », a précisé le sénateur Les Républicains Roger Karoutchi. Celui qui a présidé ces six mois de travaux se dit finalement très satisfait du rapport produit, adopté à la quasi-unanimité le 12 juin par les sénateurs membres de la commission.

Sur les 33 recommandations du document, la grande majorité d’entre elles ne visent pas directement TotalEnergies, qui « est plutôt en meilleure posture que ses concurrents » en matière de transition énergétique, a tenu à souligner le président de la commission d’enquête.

Une entrée de l’État au capital de TotalEnergies

C’est tout de même parmi la poignée de mesures qui visent directement le groupe pétro-gazier que l’on retrouve l’une des propositions les plus emblématiques de cette commission d’enquête : l’entrée de l’État au capital de TotalEnergies. Les sénateurs recommandent ainsi l’acquisition par l’État d’une « action spécifique », lui conférant un « droit de regard sur les évolutions actionnariales du groupe » et « une plus grande information, voire une plus grande influence, en ce qui concerne les décisions stratégiques de son conseil d’administration ».

Au-delà de permettre à l’État d’être mieux informé de la stratégie d’investissements de TotalEnergies en matière d’énergies renouvelables, cette action spécifique répond surtout à des préoccupations de souveraineté énergétique. Lors de son audition, Patrick Pouyanné – le directeur général du groupe – avait en effet évoqué la possibilité d’un transfert de la cotation principale en bourse de la firme à New-York. « Cela a fait réagir le Sénat, attaché à la souveraineté énergétique de la France. Même si ses actionnaires sont à 40 % Américains, TotalEnergies est un groupe qui reste Français. La commission d’enquête recommande que l’État entre au capital, pour éventuellement avoir un droit de veto sur des questions comme le déplacement d’un siège social », explique le sénateur écologiste Yannick Jadot.

En achetant cette « action spécifique » unique, pour la modique somme de 70 euros, l’État serait alors doté de « pouvoirs très importants » malgré son poids extrêmement faible dans le capital de TotalEnergies, estime Yannick Jadot. Elle pourrait notamment permettre « la nomination d’un représentant de l’État sans voix délibérative au conseil d’administration, le droit de s’opposer à des cessions d’actifs », précise le rapport.

La fin des importations de gaz russe en France, puis dans l’Union européenne

Autre recommandation forte du rapport sénatorial, la fin « dès que possible » des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe en France, « pour ne pas financer l’effort de guerre russe » en Ukraine, dénonce Yannick Jadot. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les sanctions économiques européennes ne s’appliquent pas à l’importation de gaz russe dans l’UE. En 2022 et en 2023, TotalEnergies a ainsi importé 14 millions de tonnes de GNL sur le continent. Une activité sur laquelle le groupe pétrolier s’était expliqué devant la commission d’enquête sénatoriale, à l’occasion de l’audition de Patrick Pouyanné.

« On souhaite que la France donne l’exemple », affirme le rapporteur de la commission d’enquête. En plus de l’interdiction des importations en France, le Sénat recommande en effet que le pays porte le sujet au niveau de l’Union européenne, pour élargir le paquet de sanctions économiques russes au GNL. « C’est une demande que portent aussi d’autres pays, on verra si la commission européenne suit », remarque Roger Karoutchi. Pour des raisons similaires, la commission d’enquête recommande également l’interruption des investissements « de tous groupes français » en Azerbaïdjan, « dans l’attente d’une résolution pacifique » du conflit qui l’oppose à l’Arménie.

La chambre haute note également que le GNL, s’il est considéré par TotalEnergies comme une énergie bas carbone, « constitue une technologie tout à la fois intéressante mais émissive ». Des débats sur l’intérêt de l’exploitation du GNL dans la transition énergétique ont en effet animé cette commission d’enquête, pour trancher sur cette question le rapport propose que le bilan carbone de ce gaz soit réalisé par l’Agence de la transition écologique (Ademe). La provenance du GNL devra également être contrôlée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Renforcer la lutte contre les conflits d’intérêt

Enfin, le rapport de la commission d’enquête pointe aussi la nécessité d’encadrer les mobilités entre le secteur public et les grandes entreprises, afin d’éviter tout conflit d’intérêt. Un sujet qui n’est pas nouveau, mais auquel les sénateurs ont été directement confrontés lors de leurs auditions. « Nous avons interrogé Hélène Dantoine, qui est responsable de la diplomatie économique au Quai d’Orsay, anciennement directrice des affaires publiques de Total. Nous avons aussi auditionné Jean-Claude Mallet, l’actuel directeur des affaires publiques de Total, leur stratégie de lobbying au fond, et qui a été un haut fonctionnaire d’extrême importance au ministère de la Défense et au ministère des Affaires étrangères », raconte Yannick Jadot.

Pour éviter tout conflit d’intérêt, les sénateurs recommandent donc d’augmenter la durée de contrôle de ces mobilités public-privé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), pour les passer de 3 ans à 5 ans « si l’emploi exercé par une personne ou son secteur d’activité le justifie ». En matière de transparence, le rapport demande également à l’État de « mieux distinguer les délégations étatiques et celles des entreprises » lors des COP. Au moment de la COP28 à Dubaï, la présence massive de producteurs de pétrole et de gaz avait en effet été très remarquée. À cette occasion, Patrick Pouyanné avait bénéficié d’une accréditation au sein de la délégation gouvernementale, lui offrant ainsi un accès privilégié aux négociations.

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