Financiarisation du foot : Roxana Maracineanu renvoie la balle à l’Elysée et Matignon

L’ancienne ministre des Sport, Roxana Maracineanu était auditionnée par la commission d’enquête sénatoriale sur la financiarisation du football. Les élus ont voulu savoir dans quelles conditions a été travailler l’amendement à la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France qui a permis à la LFP de créer une filiale pour commercialiser les droits audiovisuels dans le cadre d’un accord contesté avec le fonds d’investissement CVC.
Simon Barbarit

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Ancienne nageuse olympique, il est difficile de faire dévier Roxana Maracineanu de sa ligne. C’est ce qu’ont pourtant tenté les sénateurs de la commission d’enquête sur la financiarisation du football. Ministre des sports entre 2018 et 2022, elle a travaillé à l’élaboration de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France adoptée en 2022. C’est sur la base de ce texte que la Ligue de football professionnelle (LFP) s’est vue autorisée à créer une filiale pour commercialiser les droits audiovisuels des championnats professionnels, à la condition que la ligue conserve au minimum 80 % du capital de cette société. Un accord qui est au cœur des travaux de la commission d’enquête.

« Je n’étais pas d’accord avec l’amendement »

Pour 1,5 milliard d’euros, LFP Media, la nouvelle filiale chargée de commercialiser les droits TV des championnats professionnels de football en France (Ligue 1 et Ligue 2) a cédé « définitivement » 13 % de ses parts à CVC. Sur le 1,5 milliard d’euros déboursés par le fonds d’investissement, 1,130 milliard est directement destiné aux clubs. La répartition des sommes s’est faite selon des tranches définies en fonction du prestige sportif des clubs et va de 200 millions d’euros pour le PSG à 3 millions d’euros pour les clubs de Ligue 2. Ce mode de répartition est contesté en justice par le club du Havre, qui s’estime lésé par le mode de répartition des fonds acté par la LFP (lire notre article).

L’amendement à la proposition de loi qui a permis aux ligues professionnelles de créer une filiale commerciale avait été déposé pendant l’examen à l’Assemblée nationale par le rapporteur (Renaissance), Cédric Roussel. « Cet amendement était-il issu d’un travail préparatoire ? Était-ce une commande de la ligue (LFP) », a souhaité savoir, le rapporteur (LR) Michel Savin. « Il faut demander à Monsieur Roussel », a évacué l’ancienne ministre, rappelant que son travail avait permis de retravailler l’amendement en posant quelques garde-fous en s’inspirant des travaux du Sénat.

Ce à quoi Michel Savin a répondu que les recommandations du Sénat en la matière étaient plus protectrices. « Le Sénat souhaitait limiter à 10 % la cession des parts de la société commerciale […] Nous étions beaucoup plus restrictifs en prenant l’exemple de l’étranger ».

Les sénateurs ont, sans succès, essayé de faire réagir l’ancienne ministre aux déclarations de Christophe Bouchet, auditionné mardi la commission d’enquête sénatoriale. Ancien président de l’OM et auteur du livre « Main basse sur l’argent du foot français » (ed. Robert Lafon) a affirmé que Roxana Maracineanu était contre l’accord conclu entre CVC et la LFP. « Je ne sais pas de quoi M. Bouchet tire ses conclusions. Je n’ai pas souvenir de lui avoir dit ça. Après, oui, je n’étais pas d’accord avec l’amendement tel qu’il a été déposé par M. Roussel ». Elle indique avoir travaillé à rétablir un équilibre entre les délégations et les ligues de sports professionnelles. La loi prévoit, à ce sujet, qu’une société commerciale ne peut être créée sans l’accord de la fédération sportive délégataire.

Patrick Kanner, président du groupe PS, lui aussi ancien ministre des Sports, revient à la charge. « Pourquoi ne pas avoir vous-même porté un amendement gouvernemental ? » Il cite ensuite un écho de la Lettre A daté de 2022, faisant état d’un arbitrage de l’Elysée, précisément d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée dans l’entrée de CVC au capital de la filiale.

« Oui, l’Elysée travaillait sur tous les dossiers de la loi […] Oui, évidemment que mon ministère n’a pas travaillé tout seul. Mais ça ne me surprend pas vue la situation d’urgence dans laquelle la ligue se trouvait à ce moment-là », a-t-elle répondu.

« J’imagine que l’Elysée et Matignon se sont occupés d’un certain nombre de choses, dont celle-là »

En effet, avec la crise sanitaire, l’arrêt des compétitions, et la défaillance du principal diffuseur, Mediapro, les clubs français avaient enregistré une perte 1,8 milliard d’euros. Les droits du championnat avaient dégringolé, de l’ordre de 50 %.

Néanmoins 7 milliards d’aides ont été apportés au monde du Sport après la crise sanitaire. « C’est pour ça qu’on ne comprend pas ces discours sur le risque de faillite et de défaillance des clubs », observe Michel Savin. Roxana Maracineanu a une nouvelle fois botté en touche. « Vous pouvez vous rapprocher de Bercy pour savoir s’il y avait besoin d’avoir recours à un fonds d’investissement » […] « J’imagine que l’Elysée et Matignon se sont occupés d’un certain nombre de choses, dont celle-là ».

Autre élément polémique de l’accord passé entre CVC et la LFP, le bonus touché par président de la ligue, Vincent Labrune. « Ça ne fait pas partie des prérogatives du ministère des Sports de s’immiscer dans les affaires de la ligue donc je ne peux pas vous donner mon avis », répond la ministre. « Et en tant que citoyenne ? » tente le président de la commission, Laurent Lafon (centriste). « Je vous le donnerai tout à l’heure ».

 

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

ISSY-LES-MOULINEAUX: France 24, press conference
3min

Parlementaire

France Médias Monde : les sénateurs alertent sur la baisse des crédits dans un contexte de guerre informationnelle

Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Le

Financiarisation du foot : Roxana Maracineanu renvoie la balle à l’Elysée et Matignon
7min

Parlementaire

Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

Le