Enseignement catholique : « Je trouve particulièrement injuste une certaine forme de défiance »

« L’école catholique ne fait pas pareil et assume que son projet éducatif ne soit pas neutre » a affirmé le secrétaire général de l’enseignement catholique, Philippe Delorme, auditionné par le Sénat. Les sénateurs de gauche ont pointé le manque de mixité de ces établissements, quand ceux de droite ont pris la défense de l’enseignement catholique privé.
François Vignal

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Le privé dans la tourmente. Quatre mois après la polémique sur la scolarisation des enfants de l’ex-ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra, dans l’établissement privé catholique parisien Stanislas, sans oublier les révélations sur un rapport qui pointait ses « dérives », et un mois après un rapport parlementaire des députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance), qui étrillait le financement jugé opaque des écoles privées, le secrétaire général de l’enseignement catholique, Philippe Delorme, est venu répondre aux questions des sénateurs de la commission de la culture et de l’éducation, ce mercredi matin.

« Il est possible de se faire confiance et de faire cause commune »

Face à « l’urgence éducative », il a d’emblée appelé à « faire ensemble, à travailler ensemble. Oui, il est possible de se faire confiance et de faire cause commune. Rien ne sert d’opposer ceux qui peuvent concourir à l’œuvre d’éducation dans notre pays. Je trouve particulièrement injuste une certaine forme de défiance et l’idée que ce serait mieux sans nous », a défendu Philippe Delorme. Il a rappelé que « l’enseignement catholique, ce sont plus de 7200 établissements accueillant plus de 2 millions d’élèves ». Et « pas seulement ceux issus de milieu favorisés, comme on l’entend trop souvent de façon caricaturale ».

Philippe Delorme a particulièrement insisté sur le fait que « l’existence de l’enseignement privé est l’expression d’une liberté essentielle, qui apporte au système éducatif une diversité scolaire », avec « une proposition éducative différente, qui a sa propre valeur ». Il ajoute :

 L’école catholique ne fait pas pareil et assume que son projet éducatif ne soit pas neutre. 

Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique

Autrement dit, « ce n’est pas un contre modèle, c’est un modèle différent et associé », « c’est une affaire de liberté et de responsabilité ». S’il faut « une liberté d’enseignement », « nous n’avons aucune difficulté avec le fait que l’Etat exerce un contrôle », assure le secrétaire général. Il ajoute que « remettre en cause le financement de l’école privé » serait à ses yeux « injuste et briderait des familles en augmentant les contributions » demandées.

Les sénateurs LR dénoncent le rapport « outrancier, caricatural » des députés

Les questions et prises de parole des sénateurs ont été à l’image des débats et des polémiques autour de l’enseignement. Le sénateur LR Jacques Grosperrin a voulu prendre ses distances avec le rapport « outrancier, caricatural » des députés, qui « n’est pas le style de la maison », quand Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, rappelant qu’il fait partie « de cette génération de 1984 qui a collé des affiches pour l’enseignement laïc », souligne que « sur les 100 établissements les plus favorisés du Nord, 58 sont du privé, et sur les 100 les plus défavorisés, il y a une dizaine du privé. Les chiffres sont là ».

L’ancien ministre de François Hollande souligne au passage que la proposition de loi de la sénatrice PS Colombe Brossel sur la mixité sociale dans les établissements d’enseignement publics et privés est au programme de l’agenda du Sénat le 13 juin. La sénatrice de Paris avance les chiffres d’une note du ministère :

 En 2022, 41% des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé, contre 20% dans le public. Et inversement, 16% des élèves du privé sont de milieu défavorisé contre 40% du secteur public. 

Colombe Brossel, sénatrice PS de Paris

« Un service public très particulier, où la laïcité ne s’applique pas », pointe le communiste Pierre Ouzoulias

« A mon tour peut-être de me confesser, car Patrick Kanner vient de se confesser sur ses actions il y a 40 ans. Je voudrais affirmer mon attachement à la liberté de choix », a rebondi la sénatrice centriste de la Vendée, Annick Billon. « Si l’Education nationale devait scolariser les enfants qui sont dans le privé, cela coûterait beaucoup plus cher. Et le budget de l’Etat ne serait pas en capacité d’aborder ce coup supplémentaire. Donc vous participez bien au service public d’éducation », les a aussi défendus le sénateur LR Max Brisson, attaché à l’autonomie des établissements.

« Moi je ne fais pas de confession, ce n’est pas dans ma culture », a lancé le sénateur PCF Pierre Ouzoulias. Affirmant que l’école publique a pour « mission de former des républicains », il voit dans le privé « un service public très particulier, où la laïcité ne s’applique pas. Je pense notamment à la loi de 2004, sur le port des signes religieux ostensibles par les élèves, que vous n’appliquez pas. Est-ce que vous pouvez me dire combien de vos établissements accueillent des petites filles voilées ? » demande le sénateur communiste des Hauts-de-Seine.

« En fonction des choix, il peut y avoir des élèves qui portent le voile »

« Monsieur Ouzoulias, vous savez bien que je n’ai pas de statistiques ethniques, […] on n’a pas de chiffres sur le nombre d’élèves voilés », lui rétorque Philippe Delorme, qui ajoute que « oui, en fonction des choix, il peut y avoir des élèves qui portent le voile. Dans les quartiers nord de Marseille, nous avons un établissement avec une très large majorité d’élèves musulmans. C’est un choix qui a été fait, qui correspond à notre identité chrétienne. Cela permet à des filles d’être scolarisées dans de bonnes conditions », avance-t-il, quant à l’inverse, « des établissements chez nous vont interdire tout ça ». Il ajoute : « Nous vivons la laïcité avec ce que nous sommes et ce n’est pas la même chose que dans les établissements publics ».

« Je crois vraiment profondément que l’enseignement catholique est très attentif au respect de la liberté de conscience. Sauf qu’aujourd’hui on l’évoque de façon un peu étendue. Je finis par me demander si la présence de crucifix dans nos classes ne sera pas considérée demain comme une atteinte à la liberté de conscience des élèves. Cela m’interroge un petit peu », affirme-t-il encore, soulignant qu’« on sait que quand on inscrit un enfant dans un établissement catholique, c’est un projet chrétien d’éducation qui est proposé, choisi librement ».

« Nous avons conscience aussi de la nécessité de contribuer peut-être davantage à un rééquilibrage d’une certaine mixité sociale et scolaire »

Répondant sur les programmes, il soutient qu’« ils doivent être respectés. Il n’y a pas de mathématiques catholiques, pas d’histoire chrétienne. En revanche, il y a une façon d’être pédagogue dans nos établissements ». Quant à « la question du tri de nos élèves. Je n’ai pas l’habitude d’avoir la langue de bois, mais d’être honnête. Il y a des lieux où ça se pratique et je ne soutiens pas ces pratiques. Je ne les soutiens pas quand ça conduit à faire quitter un élève en cours de scolarité. […] La pratique qui consisterait à accueillir un élève et à lui dire, à la fin d’un cycle, tu ne restes pas chez nous, car tu n’auras pas mention très bien au bac, ça, c’est inadmissible et ça doit être corrigé ». Il fixe en revanche ses lignes rouges concernant les inscriptions : « Ni affectation, ni quota. La liberté de choix des familles doit être garantie ».

Répondant à Patrick Kanner, il assure que le privé ne « se situe jamais en concurrence de l’établissement public », mais se veut « une offre complémentaire ». Reste que côté mixité, Philippe Delorme reconnaît que des progrès sont possibles. « Nous avons conscience aussi de la nécessité de contribuer peut-être davantage à un rééquilibrage d’une certaine mixité sociale et scolaire », affirme-t-il, vantant la « mise en place progressive d’une contribution financière différenciée selon les revenus » et la création à venir « d’un tarif particulier pour les élèves boursiers ». Il souligne cependant que les établissements privés sous contrat ne sont « pas responsables de la gentrification des grands centres urbains », « là où il y a le moins de mixité sociale chez nous ».

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