Plus le résultat est serré, plus la défaite est difficile à accepter. Jeudi, Yaël Braun Pivet a été réélue présidente de l’Assemblée Nationale. Elle s’est imposée au troisième tour avec 220 voix – dont celles de la droite – contre 207 pour le communiste André Chassaigne. Le candidat du Nouveau Front Populaire a vu la victoire lui échapper à 13 voix près. Or, d’après la gauche, 17 députés macronistes sont toujours ministres, et n’auraient donc pas dû prendre part au vote.
« Tous les recours possibles »
Le NFP envisage de contester l’élection de Yaël Braun-Pivet. « On va évidemment utiliser tous les recours possibles » a déclaré la députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau
sur TF1, sans préciser s’il s’agirait de saisir le Conseil Constitutionnel. Les 17 ministres-députés avaient-ils le droit de voter à l’élection de la présidence de l’Assemblée Nationale ? La question divise les spécialistes de la constitution.
Théoriquement, la séparation des pouvoirs exécutif et législatif empêche un ministre d’être parlementaire. Une règle prévue dans
l’article 23 de la constitution qui précise que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire ». Une règle a priori très claire.
Ministres démissionnaires : la dérogation
Si un député devient ministre, le code électoral prévoit, dans son article LO 153, que pendant un mois, « le parlementaire membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire ». Mais il précise aussi que « les incompatibilités ne prennent pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai ». Or, depuis le 16 juillet, le gouvernement de Gabriel Attal est démissionnaire, et ses ministres ne font plus que gérer les affaires courantes.
« Pas d’incompatibilité » pour Dominique Rousseau
Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, les 17 députés en question qui ne sont pas ministres de plein exercice avaient donc bien le droit de voter pour la présidence de l’Assemblée Nationale. « Il y a un principe : l’incompatibilité entre la fonction de ministre de plein exercice et celle de parlementaire. Et puis il y a une dérogation : quand les ministres ne sont pas de plein exercice, ils peuvent exercer leur fonction de députés. Que ça pose un problème sur le plan politique ou moral je l’entends, mais pour moi en tant que constitutionnaliste, il n’y a pas d’incompatibilité ».
1988 : un précédent très similaire
Le spécialiste en veut pour preuve un précédent de 1988. Cette année-là, François Mitterrand dissout l’Assemblée Nationale. Des élections législatives anticipées sont organisées, et plusieurs ministres sont élus députés. Après la démission du gouvernement, ils prendront bien part au vote pour l’élection du président de l’Assemblée Nationale, remportée par Laurent Fabius. Déjà saisi à l’époque, le Conseil Constitutionnel s’était déclaré incompétent. Pour Dominique Rousseau, un recours de la gauche, 36 ans plus tard, n’aurait donc aucune chance d’aboutir.
Jean-Philippe Derosier : « C’est contraire à l’esprit de la constitution »
Jean-Philippe Derosier a une tout autre interprétation du texte. La dérogation qui permet aux ministres démissionnaires de siéger au parlement ne serait à ses yeux valable « que s’il y a eu passation des pouvoirs avec un autre ministre, sinon, c’est contraire à l’esprit de la constitution ».
Le professeur de droit public rappelle que le 25 juin 2022, Yaël Braun-Pivet avait été libérée par décret de son titre de Ministre de la Mer au profit d’Élisabeth Borne, pour pouvoir être élue présidente de l’Assemblée Nationale. La preuve, à ses yeux, qu’elle n’aurait pas pu être élue sans céder d’abord son portefeuille ministériel. Ce spécialiste de la constitution estime donc que les 17 ministres-députés, toujours en fonction, n’auraient pas dû prendre part au vote jeudi. Mais il reconnaît que les chances sont très minces de voir le Conseil Constitutionnel donner raison à la gauche si elle décidait de le saisir.