Ecologie : le Sénat modifie la loi sur le « zéro artificialisation nette » après des débats houleux

À l’initiative de la majorité sénatoriale de droite et du centre, le Sénat a largement assoupli la trajectoire de réduction de l’artificialisation des sols, alors que la législation actuellement en vigueur prévoit de mettre fin à l’étalement urbain d’ici 2050. Vent débout, les écologistes dénoncent une « consciencieuse démolition » du dispositif.
Romain David

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Le Sénat a modifié ce jeudi 13 mars l’une des dispositions clefs du « zéro artificialisation nette » (ZAN), un mécanisme destiné à stopper la destruction des espaces naturels. Porté par la loi « Climat et Résilience » de 2021, le ZAN entend freiner l’étalement urbain d’ici 2050, notamment en compensant chaque nouvelle construction par la re-naturalisation d’une surface équivalente. Cet après-midi, après des débats particulièrement nourris, les parlementaires ont décalé de 2031 à 2034 l’une des étapes intermédiaires du dispositif, qui prévoit de réduire de moitié l’artificialisation des sols par rapport à la période 2011-2021.

Portée par les sénateurs Jean-Baptiste Blanc (LR) et Guislain Cambier (Union centriste), la proposition de loi « TRACE » , examinée cette semaine par la Chambre haute, envisageait dans sa mouture initiale la suppression pure et simple de ce point d’étape. L’adoption d’un amendement de la rapporteure Amel Gacquerre a permis de couper la poire en deux : les régions auront les coudées franches pour définir leur propre trajectoire de sobriété foncière et fixer le palier sur lequel elles souhaitent s’engager d’ici 2034. Celui-ci pourra donc se situer bien en dessous du seuil actuellement en vigueur. Il n’est pas question, en revanche, de toucher à l’objectif de zéro artificialisation d’ici le milieu du siècle. Pour rappel, cette législation, dans le viseur de la majorité sénatoriale de droite et du centre qui dénonce la complexité de sa mise en œuvre, avait déjà été assouplie une première fois en 2023.

« Cela fait quatre ans que le Sénat se bat pour faire entendre la voix des territoires, évoluant entre condescendance de la haute administration, mépris de certains préfets à l’égard de la volonté du législateur et fausse pudeur des gouvernements successifs vis-à-vis de l’écologie radicale », a expliqué le sénateur Jean-Baptiste Blanc à l’ouverture des débats. « Depuis quatre ans, nous n’avons cessé de demander de territorialiser la sobriété foncière. »

L’ombre de Laurent Wauquiez plane sur les débats

Le ministre de l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, a rappelé son attachement à un objectif intermédiaire global, estimant qu’une « artificialisation mal maîtrisée contribue à la fragmentation des territoires ». Mais la charge la plus violente est venue des rangs écologistes, où les élus ont dénoncé un détricotage susceptible de rendre à terme le ZAN inapplicable. « Ce texte vise à casser le thermomètre, c’est un non-sens ! Pour savoir si nous sommes en phase de guérison, nous avons besoin d’avoir des outils qui permettent d’évaluer si oui ou non nous allons dans la bonne trajectoire », a déploré Grégory Blanc, sénateur écologiste de Maine-et-Loire.

« Comment est-on passé de l’amélioration de la loi à sa consciencieuse démolition ? », s’est étranglé depuis la tribune son collègue Ronan Dantec, sénateur de la Loire-Atlantique. Cet élu a dénoncé un texte politicien, élaboré selon lui par la droite « pour sauver le soldat Wauquiez ». En cause : la décision fracassante de l’ancien président de la région Auvergne Rhône-Alpes, qui avait annoncé en octobre 2023 refuser d’appliquer le ZAN, une initiative qui l’avait isolé jusqu’au sein de sa famille politique. « Pour ne pas laisser ce pauvre Wauquiez seul face à ses surenchères populistes, il fallait que cet hémicycle lui redonne une légitimité en soutenant sa position. Peu importe que tous les réseaux de collectivités, ou presque, aient souligné leur désaccord sur la remise en cause de la loi, le coup était parti… »

 Vous mettez en cause le président d’une région, si vous n’avez que ça, vous ne sortirez pas grandis des débats 

Dominique Estrosi Sassone, présidente (LR) de la commission des Affaires économiques

À plusieurs reprises, le nom de l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy est revenu dans les débats, au grand agacement de la droite. « Quand on entend un ancien président de région, ancien ministre, dire que l’on pourrait ne pas appliquer la loi… Cela n’aide pas les élus locaux à se préparer et à s’engager », a regretté le sénateur socialiste du Morbihan Simon Uzenat. « Comment des élus qui sont volontaires pour réduire de 50 % à l’horizon 2034 pourront-ils accepter que dans le territoire d’à côté, il ne soit pas fait autant d’efforts ? », a-t-il encore regretté.

Face à ces attaques répétées, la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des Affaires économiques, a fini par prendre la parole pour dénoncer « une volonté d’obstruction ». « Vos arguments, on les a entendus. Et ceux qui sont mis en avant par Monsieur Dantec et un certain nombre de ses collègues sont purement politiciens, purement idéologiques ! […] Vous mettez en cause le président d’une région, si vous n’avez que ça, vous ne sortirez pas grandis des débats », s’est-elle agacée.

Calculer le taux d’artificialisation

Un peu plus tôt dans la journée, les élus ont voté pour pérenniser la méthode aujourd’hui utilisée pour mesurer l’artificialisation, soit le décompte de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (les « Enaf »). En effet, dans la législation en vigueur, au-delà de 2031, le taux de bétonisation devra être mesuré par des outils plus précis, notamment à partir de repérages et de mesures effectuées grâce à l’intelligence artificielle. À rebours, le maintien du mode de calcul actuel permet aux élus locaux de conserver une forme de souplesse. Il soustrait certaines constructions de l’objectif du zéro artificialisation, telles que les « dents creuses » en milieu urbain, ces parcelles non bâties entre deux constructions.

« C’est un assouplissement important du ZAN », a insisté le ministre François Rebsamen. « Par exemple, si nous construisons une nouvelle maison au sein d’un lotissement qui en compte déjà plusieurs, le retour aux Enaf après 2031 conduira à ce qu’elle ne soit pas considérée comme une construction supplémentaire, alors que dans le schéma préalable, cela est considéré comme de la consommation foncière. »

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