Droits TV du foot : au Sénat, le fonds d’investissement CVC affiche son « soutien » et son « engagement » auprès de la LFP

Alors que l’horizon du football français s’assombrit de jour en jour, les dirigeants du fonds d’investissement luxembourgeois se sont voulus rassurants quant à leur engagement au sein du projet économique les liant à la Ligue. Ils ont toutefois semblé découvrir l’existence de plusieurs documents de la LFP, quant à la rémunération de Vincent Labrune et l’argent utilisé dans le cadre de l’achat du nouveau siège de l’instance.
Alexis Graillot

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Si l’on pouvait résumer l’audition des dirigeants de CVC, on dirait qu’il vaut mieux encaisser une fois un 6-0, plutôt que de perdre 6 fois 1-0. Auditionnés ce jeudi par la commission d’enquête du Sénat sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français, les représentants du fonds d’investissement ont reconnu que la période traversée par le football français était difficile, tout en se voulant rassurants sur l’avenir.

« De nombreux chantiers ont été ouverts et aboutis, même s’ils ne sont pas toujours visibles pour le grand public », a défendu le président de CVC en France, Jean-Christophe Germani, ajoutant rester « très engagé » dans le projet. Une temporisation qui devrait rassurer les principaux acteurs, dont les présidents de clubs, auditionnés ce matin, alors que le fonds estime qu’il est « beaucoup trop tôt pour porter un jugement ou faire un bilan ».

Un investissement consécutif à « une situation financière grave »

Les dirigeants de CVC sont d’abord revenus sur les raisons qui ont amené le fonds d’investissement à rentrer dans le capital de la société commerciale de la LFP. « Nous avons répondu à un besoin exprimé par la Ligue », avance Jean-Christophe Germani, expliquant qu’au moment de la sollicitation, « le football professionnel français était dans une situation financière grave après la crise du Covid et la défaillance de son diffuseur principal (NDLR : Mediapro) ». Le dirigeant note à ce titre que pour les saisons 2021-2022 et 2022-2023, « la Ligue et l’ensemble des clubs ont perdu une part significative de leurs revenus ».

« Pleinement conscient des défis », le fonds a pourtant fait le choix d’investir massivement dans la société commerciale, à hauteur de « 1,5 milliard d’euros en capital », qui visait à répondre à 4 objectifs : « restaurer la solidité financière des clubs », « rembourser le PGE garanti par la Ligue », « doter un fonds de réserve destiné à pallier d’éventuelles difficultés futures », et « soutenir la FFF et le football amateur ». En contrepartie, la LFP a consenti à une participation non négligeable du fonds d’investissement dans le capital de sa société, qui représente 13 %.

« Nous jouons notre rôle en pleine responsabilité afin de contribuer à la réussite de la société commerciale », continue Jean-Christophe Germani, qui passe par la participation aux « décisions stratégiques », ainsi que « le suivi attentif de la situation financière ». « Notre responsabilité première est de donner notre avis, suggérer et valider les grandes orientations stratégiques de la société », martèle-t-il, faisant part de son « enthousiasme » vis-à-vis du projet, tout en rappelant que celui-ci n’en est qu’à la « phase initiale », le dernier tiers des 1.5 milliards d’investissements promis, devant être versés à la LFP dans les prochains jours.

« Il peut y avoir des moments plus difficiles »

Conscients cependant des « risques » liés à leur investissement, dans un contexte où le football français est dans une situation difficile, CVC dispose d’un pouvoir stratégique important dans le cadre de son « investissement significatif » au sein du capital de la société : « L’objectif est de nous assurer que le capital est entre de bonnes mains et bien utilisé dans le cours ordinaire des affaires », explique Edouard Conques, directeur général du fonds d’investissement en France. « Nous ne sommes pas un investisseur passif, nous participons à une gouvernance », précise le dirigeant, arguant qu’en cas de « sous-performance », il existe des circonstances pour lesquelles une « décision unilatérale » peut être prise par une des deux parties pour nommer ou révoquer un dirigeant de la société.

Une remarque qui a fait réagir les sénateurs, alors que le plan d’affaires issu de l’accord prévoyait un montant des droits TV pour le championnat à hauteur de 1 milliard d’euros, montant largement revu à la baisse aujourd’hui à la suite de l’échec de l’appel d’offres, et alors que plusieurs médias avancent aujourd’hui que ce montant pourrait être divisé au moins de moitié. « Quelles seraient les conséquences pour la Ligue si les représentants de CVC ne votaient pas un budget qui dévierait de plus de 10 % du plan d’affaires en vigueur ? », se demande le rapporteur LR de la commission, Michel Savin. « Il y a les écrits et la philosophie », tente de rassurer Edouard Conques, qui estime toutefois que « pour une décision qui sort du cours ordinaire des affaires », le fonds d’investissement dispose d’un « droit de veto », non pas pour bloquer le budget, mais pour « amorcer des discussions ». « Le pragmatisme doit s’imposer », rejoint Jean-Christophe Germani, qui estime qu’une baisse des droits TV « fait partie du risque que nous avons pris ».

« Vous n’avez pas l’impression de vous être fait avoir ? », se veut cependant « provocateur » (des mots mêmes du sénateur), Laurent Lafon, président centriste de la commission. « Il est beaucoup trop tôt pour porter un jugement ou faire un bilan », nuance en réponse, Jean-Christophe Germani, qui martèle que « ce projet s’inscrit sur le long terme ». « L’esprit de ce partenariat se résume ainsi : il peut y avoir des moments plus difficiles, des déceptions par rapport à ce qui était projeté, mais CVC est présent au côté des clubs, de la Ligue, joue son rôle d’accompagnement dans les moments difficiles, et nous l’espérons vivement, dans les moments de succès », continue le dirigeant, pour qui la commercialisation des futurs droits TV à venir, ne constitue « qu’un point d’étape ». « On assume que ce n’est pas un long fleuve tranquille », abonde Edouard Conques, qui estime que « malgré les difficultés, [CVC] tient [ses] engagements ».

Imbroglio sur la rémunération de Vincent Labrune

Visiblement pas complètement convaincus, les élus se sont interrogés sur le montant même investi par CVC. « A-t-on vraiment tiré les leçons de l’échec de Mediapro ? », se demande Michel Savin, qui s’interroge sur le risque pris par le fonds, dans un contexte de « tensions » entre la Ligue et son partenaire historique, Canal +. « D’un point de vue financier, vous dites-vous que la valorisation du football français était sur la base du contrat Amazon ? [NDLR : le géant américain avait investi 250 millions d’euros pour la diffusion de 8 matches sur 10 de Ligue 1 par journée] ». « Non ce n’est pas ce que nous nous sommes dit », énonce clairement Jean-Christophe Germani, qui souligne toutefois le « contexte très particulier » de l’époque [NDLR : la rupture du contrat entre la LFP et Mediapro], ayant conduit à un montant des droits TV significativement bas. Et ce, alors même que Canal + continuait à payer 343 millions d’euros pour les 2 matches, montant que la LFP avait alors refusé de diminuer, conduisant au désengagement de la chaîne cryptée pour le nouvel appel d’offres.

Enfin, les dernières minutes ont tourné à l’imbroglio lorsque les dirigeants du fonds d’investissement ont été interrogés sur la provenance de la rémunération du président de la LFP, Vincent Labrune, ainsi que de l’argent utilisé pour financier le nouveau siège de l’instance, ensemble immobilier estimé à 134 millions d’euros. « Nous n’intervenons qu’au niveau des rémunérations de la société commerciale », explique dans un premier temps, le président de CVC. « La rémunération de Vincent Labrune fixée par le conseil d’administration de la LFP, au sein duquel nous ne sommes pas représentés », continue-t-il, avant de se risquer : « A notre connaissance, Vincent Labrune ne reçoit aucune rémunération en dehors de celle fixée par la LFP. Le mandat social de président de la société commerciale [NDLR : occupé par ce même Vincent Labrune], est un mandat non rémunéré. A ce titre, il n’a pas de rémunération du président de la Ligue supporté par la société commerciale », dont CVC est actionnaire.

Avant de se voir mettre un document sous les yeux semblant démontrer le contraire : « Comprenez notre interrogation lorsqu’on lit sur le document qu’il y a eu une refacturation de 600 000 euros à la société commerciale, tout comme la présence de frais du président de LFP médias [NDLR : nom de la société commerciale] à hauteur de 108 000 euros par an ». Visiblement surpris par l’annonce, les dirigeants ont botté en touche expliquant « découvrir » le document. Même son de cloche quant au financement du siège de la Ligue : « A notre connaissance, cette acquisition est financée par un contrat de leasing et un endettement par la LFP », avance Edouard Conques. Face à cette déclaration, Laurent Lafon rétorque, document à l’appui : « Dans les comptes rendus de la LFP […], le lien est fait directement avec l’argent CVC ». Une nouvelle fois, la surprise a semblé régner chez les deux dirigeants, qui expliquent n’être « aucunement associés à cette décision ».

Quant à l’avenir, difficile d’en préjuger, alors même que Vincent Labrune a avancé la possibilité de la création d’une chaîne spécifique pour la diffusion du championnat de France. « Il y aura peut-être des choix structurants, mais il faudra tous les assumer », expose Jean-Christophe Germani, avant de rassurer : « Vous pouvez compter sur nous pour accompagner les prises de décision ». L’audition du président de la Ligue, Vincent Labrune, mercredi prochain, se promet en tout cas d’être mouvementée.

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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