Droits TV dans le football : « Pour un gain de cash à court terme, on hypothèque dangereusement l’avenir »

La commission d’enquête sur la financiarisation du football français débute ses auditions et entend Pierre Maes, consultant spécialiste des droits TV. L’expert est extrêmement critique de la décision de la Ligue de football professionnel de céder 13 % de ses parts à un fonds d’investissement luxembourgeois.
Rose Amélie Becel

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Au mois d’avril, la commission de la culture du Sénat a débuté sa commission d’enquête sur la financiarisation du football français. Des travaux qui s’inscrivent dans le contexte de la création – il y a deux ans – d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel (LFP), chargée de commercialiser les droits TV des championnats français, la Ligue 1 et la Ligue 2.

Au moment de la mise en place de cette société, la LFP a décidé de céder 13 % de ses parts à CVC, un fonds d’investissement luxembourgeois. En janvier 2024, le Parquet national financier a ouvert une enquête, après une plainte dénonçant un possible détournement de fonds publics au moment de la création de cette société commerciale.

« Tout cela a été fait avec un empressement qui montre que cette décision n’est pas stratégique »

Un contexte qui suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes, alors que les finances des clubs de football français sont directement impactées par les tractations opaques menées au sein de cette société commerciale. « En Europe, la part des droits TV dans le budget des clubs s’élève en moyenne à 50 %, pour les petits clubs cela peut aller jusqu’à 90 %. C’est gigantesque ! », explique Pierre Maes.

L’expert des droits TV du football, auditionné par le Sénat ce 7 mai, est extrêmement critique de l’accord noué entre la LFP et CVC : « Tout cela a été fait avec un empressement qui montre que cette décision n’est pas stratégique. Pour un gain de cash à court terme, on hypothèque dangereusement l’avenir du football. »

Frappé par la crise du Covid, la Ligue, cherchant à renflouer rapidement ses caisses, a en effet accepté de céder 13 % des parts de sa société commerciale à CVC, en échange de 1,5 milliard d’euros. « Le chiffre de 13 % représente deux choses : la part d’actionnariat que détient CVC et la ponction que va faire le fonds d’investissement sur les revenus de la Ligue et des clubs chaque année. Sur le chiffre d’affaires de la Ligue, le paiement de la CVC est prioritaire, avant tout le monde », détaille Pierre Maes.

Une répartition des fonds « aberrante » entre les clubs

Un accord aux conditions floues, estime Pierre Maes, indiquant que personne ne connaît l’identité précise des investisseurs au sein de CVC, ou encore que personne n’est informé des conditions qui entourent une éventuelle vente des actions détenues par le fonds d’investissement.

Ces tractations seraient aussi manifestement défavorables à une large partie des clubs de football français. En effet, sur les 1,5 milliards d’euros investis par CVC dans la société commerciale de la Ligue, un milliard est directement destiné aux clubs et sera réparti selon leurs performances sportives. Une répartition jugée « aberrante » par Pierre Maes : « Vincent Labrune [président de la LFP] a parlé de ruissellement. C’est tout l’inverse qu’il se passe avec ce deal, qui est le témoin d’une volonté de la Ligue de favoriser les gros clubs, les locomotives. Le PSG touche 17 % des fonds de CVC, alors que c’est sans doute le club qui en a le moins besoin. »

Ce mode de financement des clubs professionnels n’a pas manqué d’interpeller de nombreux sénateurs, à l’image du socialiste Adel Ziane, qui dénonce « un modèle qui va nuire au spectacle, en concentrant l’argent sur les clubs qui ont déjà les moyens, et donc réduire la part de surprise liée au sport et à la capacité de voir une équipe émerger ». Cette répartition des fonds est d’ailleurs directement contestée en justice par le Havre Athletic Club. Promu en Ligue 1, le club normand pourrait, selon cette méthode de répartition, ne toucher que la somme destinée aux clubs de Ligue 2. Une situation dont son président, Jean-Michel Roussier, également auditionné ce 7 mai, pourra s’expliquer devant les sénateurs.

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Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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