Didier Leschi reconduit à l’Office français de l’immigration et de l’intégration : « L’immigration mérite une réflexion qui dépasse les points de vue moraux »

Après une audition dans chacune des commissions des Lois du Parlement, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a été reconduit pour un quatrième mandat à la tête de l’administration. Devant les sénateurs, il a vanté son bilan et a donné les enjeux à venir, notamment sur l’accès à un titre de séjour sous réserve d’un bon niveau de français.
Quentin Gérard

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« Ça sera mon dernier poste dans la fonction publique si vous l’acceptez », prévient Didier Leschi. Après une audition dans chacune des deux commissions des Lois du Parlement, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a bien été reconduit pour un quatrième mandat ce mercredi 13 novembre. Dans les prochaines semaines, le principal enjeu de cette administration française – sous tutelle du ministère de l’Intérieur – sera de veiller à l’application de la loi immigration, promulguée fin janvier 2024. Plus particulièrement sur l’accès à un titre de séjour sous réserve d’un niveau de langue A2 ainsi que d’un examen civique.

Devant la commission des Lois du Sénat, Didier Leschi a d’abord loué son bilan à la tête de l’administration. « Quand je suis arrivé en 2016, on signait 103 000 contrats d’intégration républicaine [signé par un étranger admis au séjour qui s’engage à suivre des formations pour favoriser son insertion]. Aujourd’hui nous sommes à 128 000. 5 millions d’heures de cours de Français étaient données. Fin 2023, c’est plus de 12 millions », indique le haut fonctionnaire. « Ces dernières années, nous avons essayé de renforcer les éléments importants pour favoriser intégration. Comme le renforcement des journées civiques et de leur contenu, la question de l’emploi, la capacité des personnes à devenir autonomes », énumère-t-il.

La difficile intégration par le travail

Pour l’ancien préfet de Seine-Saint-Denis, il y a deux difficultés majeures pour bien intégrer les étrangers. « La première est l’intégration par le travail. Elle est rendue difficile par le fait qu’une partie des personnes qui arrivent ont un faible niveau scolaire. 10 % sont non-lecteurs et non-scripteurs. Nous avons l’immigration la plus faiblement formée des pays de l’OCDE. Puis l’autre sujet est l’accès au logement. C’est un problème important car pour en avoir un, les personnes doivent être autonomes et donc pouvoir travailler », explique Didier Leschi.

Ces dernières années, les compétences de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ont été renforcées. Par exemple, l’agence doit maintenant s’occuper du versement de l’allocation pour demandeur d’asile. « Ça a été difficile de s’y mettre dans un temps si contraint », admet le directeur général. « Les fichiers transmis par Pôle emploi n’étaient pas tout à fait bons. Il y avait des doublons », ajoute-t-il. Près de 180 000 personnes reçoivent cette allocation pour un montant total de 450 millions d’euros. « La dépense a augmenté de manière moins importante que le nombre d’allocataires grâce à la gestion rigoureuse que nous avons effectuée », se félicite Didier Leschi. Depuis 2022, l’immigration des Ukrainiens a rendu le travail de l’Ofii plus compliqué. L’administration a notamment dû verser l’allocation prévue par les textes européens.

« En 2016, nous hébergions 37 % des demandeurs d’asile, c’est 80 % en 2023 »

Le dirigeant est aussi satisfait du travail réalisé sur le parc d’hébergement. « Nous avions 54 000 places en 2016. Nous en avons 114 000 aujourd’hui. A mon arrivée, nous hébergions 37 % des demandeurs d’asile, c’est 80 % en 2023. Ça nous a demandé beaucoup d’effort, notamment de surveillance des opérateurs », souligne celui qui est également président de l’Institut d’étude des religions et de la laïcité. L’objectif était également de mieux répartir les demandeurs d’asile. « L’Ile-de-France rassemblait 50 % des personnes à l’époque. C’était autant que toute l’Italie. Aujourd’hui, la région en compte 24 %. On a pu y remédier grâce à l’orientation directive, mise en œuvre depuis début 2021 », poursuit Didier Leschi devant les sénateurs.

L’Ofii a également la compétence pour donner un avis médical au préfet dans le cadre d’un titre de séjour pour soins. « Il y avait 37 000 bénéficiaires quand je suis arrivé. Il y en a 21 900 aujourd’hui. Ce chiffre a baissé car nous avons fait un travail fin de vérification des pathologies », indique le patron de l’établissement public. Il admet que c’est « une spécificité française qui peut être discutée dès lors que cette solidarité se fait pour des non-contributeurs sur la base de ceux qui contribuent à l’état social ».

La mission en centre de rétention administrative (CRA) est « de plus en plus difficile pour les agents de l’Ofii en raison de l’évolution des profils », souffle Didier Leschi. L’agence propose des aides au retour et des aides à la réinsertion dans le pays d’origine aux étrangers en CRA. « Nous étions à 4 700 retours en 2016, c’est plus de 7 000 en 2023 », indique le haut fonctionnaire.

Un changement de philosophie sur l’intégration par la langue

Dans les prochaines semaines, l’enjeu de l’Ofii sera la mise en œuvre de la loi immigration, adoptée en décembre 2023 et promulguée fin janvier 2024. « Nous attendons les arbitrages sur le niveau de langue attendu pour avoir un titre de séjour. Le texte parle d’un niveau A2. C’est une évolution importante. Avant, les étrangers devaient seulement assister à des cours de français », rappelle Didier Leschi, qui prend acte que « la philosophie a maintenant changé ». Sur le sujet, il propose aussi de regarder ce qui se fait chez nos voisins. « Nous pouvons nous inspirer de l’Allemagne. Le pays a fait évoluer l’accès à la nationalité autour de la question de l’antisémitisme. Dans le contexte présent, ce n’est peut-être pas anodin à avoir en tête », lance-t-il.

Le budget de l’administration est légèrement en baisse dans le budget 2025. Il passe de 2,2 milliards d’euros à 2 milliards. Didier Leschi ne s’en émeut pas. « On demande à toutes les administrations d’équilibrer leur dépenses. Il n’y a pas de raisons pour lesquelles nous ne devrions pas y contribuer », souligne-t-il. L’Ofii perd aussi 3 % de ses emplois. Certains sont déplacés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour accélérer les procédures d’asile. Devant la commission des Lois, Didier Leschi déplore tout de même que « la filière n’attire plus vraiment les agents et plus particulièrement les femmes, notamment à cause des interactions difficiles avec les publics pour des raisons culturelles ».

A long terme, il y a deux sujets importants pour Didier Leschi : les enjeux de santé et la vaccination. « Mon souhait serait que l’Ofii soit désigné comme organisme qui puisse vacciner les personnes et faire des rattrapages de vaccination. C’est essentiel pour la santé publique », signale-t-il. « Nous souhaitons aussi nous concentrer sur les victimes de la traite des êtres humains et les femmes en particulier. Nous avons ouvert 300 places sur ces publics. Le but serait de mieux repérer les personnes en amont », ajoute Didier Leschi, reconduit pour un mandat de trois ans à la tête de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Pour conclure son audition, il a indiqué que « l’immigration mérite une réflexion qui dépasse les points de vue moraux. C’est un sujet qui préoccupe une partie de nos concitoyens, en particulier les plus démunis, et nous devons nous interroger pour y répondre ».

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