Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).
Dérapage du déficit public : dialogue de sourds entre le ministre Thomas Cazenave et les sénateurs
Par François Vignal
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Plus de deux heures d’audition qui ont parfois viré au dialogue de sourds. Le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, a été entendu dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques depuis 2023.
« Hors période de crise, cet écart est sans précédent »
Pour rappel, c’est « le constat significatif », selon les mots du président PS de la commission des finances de la Haute assemblée, Claude Raynal, entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9 % du PIB, et le chiffre définitif, à 5,5 %, qui a été le déclencheur de cette mission. « Hors période de crise, cet écart est sans précédent », pointe le socialiste, qui avec le rapporteur général de la commission, le sénateur LR Jean-François Husson, cherche à savoir si le gouvernement n’aurait pas pu modifier plus tôt sa prévision et en informer le Parlement, dès la fin 2023, quand il examinait les textes financiers, le budget 2024 et la loi de finances de fin de gestion.
Pour en savoir plus, le rapporteur général a usé de son pouvoir de contrôle auprès de Bercy, qui a permis à Jean-François Husson de dégoter les notes que les services du ministère de l’Economie avaient préparées. C’est la lecture et le sens à donner à ces notes qui est au cœur du débat.
Thomas Cazenave a tenu a rappeler que les « dépenses ont été tenues en 2023 ». Le dérapage vient des recettes en réalité, beaucoup plus basses qu’escomptées. « Au total, c’est 21 milliards d’euros de moindres recettes en 2023 par rapport à ce que nous anticipions, lors des débats parlementaires en octobre et novembre », souligne le ministre.
« Dégradation subite et non prévisible »
Dans le détail, le locataire de Bercy avance une série de raisons : 4,4 milliards de recettes en moins pour l’impôt sur les sociétés, avec une « dégradation constatée qu’en décembre, au moment du dernier acompte », « c’est donc bien une dégradation subite et non prévisible ». Il ajoute que cet écart n’est « pas inédit en proportion ». Pour la TVA, l’écart est de – 4,3 milliards d’euros, en raison d’un « dynamisme moindre qu’anticipé en raison de la conjoncture ». L’impôt sur le revenu a lui rapporté 1,4 milliard d’euros en moins que prévu.
Autre impôt dont les recettes ont été en dessous qu’espérées : la contribution sur la rente intramarginale, la « Crim », soit la taxe sur les superprofits des énergéticiens. Ce nouvel impôt n’a rapporté que 600.000 millions d’euros, contre 12,3 milliards initialement escomptés, puis 3 milliards… « Il s’agit d’un impôt nouveau donc difficile à calibrer », avance le ministre, dans un contexte, de plus, de « très forte baisse du prix de l’électricité ». Enfin, autre effet du « ralentissement économique », « les cotisations sociales ont été inférieures de 4,8 milliards d’euros et les prélèvements sociaux de 1,4 milliard ».
« Les informations étaient trop tardives pour être intégrées dans les textes financiers de fin 2023 », soutient le ministre
Sur le fond de l’affaire, Thomas Cazenave l’assure : « Le gouvernement n’a rien caché ». Il met en avant les « aléas, qui étaient très difficiles de prévoir ». « Dans l’ensemble des notes et documents qui vous ont été transmis, vous avez pu constater que les informations sur le recouvrement de recettes étaient trop tardives pour être intégrées dans les textes financiers de fin 2023 », assure le ministre des Comptes publics. Il ajoute qu’« il est trompeur de ne citer qu’une partie de ces notes, sans dire qu’elles soulignent la nécessité de ne pas diffuser les chiffres » qui manquaient de « fiabilité ».
Reste que les prévisions n’ont pas été bonnes. Il l’explique aussi par le fait qu’« en 2023, nous sommes dans une sortie de crise, qui peut parfois percuter nos propres modèles de prévision ». Ces derniers ont cependant été déficients, de fait. Pour y répondre, Thomas Cazenave a « lancé un travail spécifique sur la manière dont on réalise les prévisions, […] pour parfaire nos modèles et avoir les modèles les plus robustes possibles ». Il attend « un retour en juillet ».
Moments de tension
Des explications qui n’ont pas convaincu, pour l’essentiel, Jean-François Husson, qui a relancé plusieurs fois Thomas Cazenave. Les échanges ont viré à l’incompréhension mutuelle, qu’elle soit feinte ou réelle, avec même parfois des moments de tension.
Le rapporteur a ainsi rappelé que le gouvernement s’était « targué d’avoir préparé un budget à l’euro près ». « Oui, on a géré le budget à l’euro près car dans l’exécution, vous avez constaté qu’on a dépensé 7 milliards d’euros de moins », souligne le ministre. « C’est tellement gonflé, Monsieur le ministre ! » lâche le sénateur LR, « c’est notre droit, et notre devoir, de challenger ». « Ça va se passer tranquillement, on a du temps », le prévient le rapporteur général, bien décidé à mettre le ministre sur le grill.
Prévisions de l’impôt sur les sociétés « un peu gonflées » ?
Claude Raynal s’interroge pour sa part pour savoir si la prévision de l’impôt sur la société n’a pas été « un peu gonflée », et si le problème ne vient pas du « cinquième acompte, qui est à la main des entreprises », « l’Etat ne sait rien du cinquième acompte », pouvant faciliter des erreurs des prévisions, souligne le socialiste.
Si le ministre souligne que les écarts d’impôt sur la société ne sont pas rares, il s’interroge, lui aussi : « Est-ce qu’on devrait être plus prudent encore et ne pas comptabiliser ce cinquième acompte ? […] Dans le travail demandé à la direction des finances publiques, naturellement, je souhaite que cette question-là soit demandée ».
« Vous me renvoyez dans les dix-huit mètres »
Le rapporteur revient alors à la charge. Alors qu’il demande au ministre pourquoi le gouvernement n’a pas modifié ses prévisions, s’appuyant sur une note du 7 décembre 2023, Thomas Cazenave rétorque : « Car on ne s’amuse pas à bidouiller les prévisions comme ça ». « Moi, je ne fais de la politique, je vous réponds techniquement », soutient Thomas Cazenave, qui insiste : « Les services ont été très clairs. Le 7 décembre, il n’y a pas d’information, trop d’aléas et pas de conséquence pour 2024, je ne sais pas comment vous le dire. Nous n’avons pas d’autres informations à ce moment-là, hormis le fait qu’il y a un risque mais qu’il est trop tôt pour le confirmer. Et une fois que c’est confirmé, nous changeons la prévision de croissance avec Bruno Le Maire, et nous prenons un décret d’annulation », celui sur les 10 milliards d’euros d’économie dans le budget 2024.
« C’est toujours très agréable de débattre avec le rapporteur général », ironise Thomas Cazenave. « Vous me renvoyez dans les dix-huit mètres pour une forme d’incompétence », réplique le sénateur LR de Meurthe-et-Moselle. « On n’a pas la même lecture des notes », n’en démord pas Jean-François Husson, « c’est la première fois, hors période de crise, sous la Ve République, que les prévisions dévissent de cette manière. Il faut juste le dire ». Il pourra de nouveau le dire, jeudi matin, lors de l’audition du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire.
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