Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).
Déclaration obligatoire, détection par algorithme, surveillance électronique : contre les ingérences étrangères, le Sénat sort l’artillerie lourde
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Situation en Nouvelle-Calédonie, Jeux olympiques, élections européennes… La liste des évènements potentiellement visés par des ingérences étrangères s’alourdit de jour en jour. Dans ce contexte, le Parlement examine une proposition de loi visant à renforcer l’arsenal juridique et répressif de l’État, pour prévenir ces opérations. Le texte, voté à l’Assemblée nationale le 27 mars, sera présenté au Sénat le 22 mai prochain.
Les dispositions de la proposition de loi s’inspirent largement du rapport annuel de la délégation au renseignement, publié en novembre dernier, qui dénonçait « une forme de naïveté et de déni » de l’État face aux offensives étrangères. Des menaces qualifiées d’« hybrides », qui s’illustrent notamment par des campagnes de manipulation de l’information à grande échelle.
Obliger les acteurs de l’influence étrangère à se déclarer
« Au cours des auditions de la délégation au renseignement, nous nous sommes rendu compte que les services français ne disposaient pas de tous les moyens nécessaires pour lutter contre ces ingérences grandissantes. L’idée est aussi de prévenir le phénomène en obligeant les acteurs de l’influence étrangère, qui n’est pas une activité interdite, à se déclarer pour mieux les identifier », explique Agnès Canayer, rapporteure de la proposition de loi au Sénat.
Le premier article du texte propose en effet la création d’un répertoire, sous l’égide de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), permettant de recenser les représentants d’intérêts de pays étrangers. Ces acteurs auront l’obligation de se signaler auprès de la HATVP, sans quoi ils risqueront trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. « Devront se déclarer tous ceux qui procèdent à des opérations pour le compte de mandants étrangers, aussi bien les personnes physiques que morales mais aussi les groupements politiques et les think tanks, financés majoritairement ou contrôlés par des puissances étrangères en dehors de l’Union européenne », précise Agnès Canayer.
En commission des lois, les sénateurs ont adopté un amendement définissant de manière plus précise les actions d’ingérence, pour préciser le périmètre des personnes soumises à cette obligation de déclaration, indique la rapporteure du texte : « Il y a d’abord un critère intentionnel, devront se déclarer tous ceux qui procèdent à des actions destinées à influer sur la décision publique. Il y a ensuite un critère matériel, il faut que ces personnes entrent en communication directe avec des élus ou anciens élus, ou bien qu’ils réalisent des actions de communication à destination du public, ou alors qu’ils collectent des fonds ou procèdent à des versements sans contrepartie. »
Autoriser la détection des opérations d’ingérence avec des algorithmes
La proposition de loi prévoit aussi de renforcer les moyens d’enquête à destination des services de renseignements, pour mieux identifier les opérations d’ingérence. À partir de début 2026, ces services pourraient ainsi être autorisés à utiliser des techniques de détection avec algorithmes, comme dans la lutte antiterroriste. « Même si elle a fait ses preuves, cette technique fonctionne moins bien pour détecter la radicalisation isolée de loups solitaires. La détection par algorithme c’est plus simple quand un grand nombre de gens se mettent en relation, et on voit bien qu’en matière d’ingérence c’est le cas, la cybercriminalité peut être pilotée de l’étranger avec des bots et des “fermes de trolls” qui parviennent à faire passer une communication publique erronée pour discréditer un État », explique la sénatrice Les Républicains.
En plus de faciliter la détection de ces opérations, les parlementaires entendent aussi davantage les sanctionner. Un autre amendement de la commission des lois prévoit ainsi la création d’une circonstance aggravante pour toutes les atteintes aux biens et aux personnes commises pour le compte d’une entité étrangère. Les autorités judiciaires seraient également autorisées à utiliser les « techniques spéciales d’enquête », propose Agnès Canayer dans ce même amendement, des techniques comme l’interception des communications téléphoniques ou la surveillance électronique, d’habitude mobilisées dans les enquêtes concernant le terrorisme et le crime organisé.
Alors que Gérald Darmanin affirme depuis plusieurs jours que les ingérences de l’Azerbaïdjan alimentent les tensions entre indépendantistes et non indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, cette proposition de loi permettra-t-elle d’agir contre les opérations de Bakou à Nouméa ? « Difficile à dire », estime Claude Malhuret, rapporteur pour avis du texte au nom de la commission des affaires européennes. Si le président des Indépendants au Sénat juge l’influence azérie « scandaleuse », « les accords entre Nouméa et Bakou sont publics, ils ne sont pas cachés et difficilement condamnables ». En revanche, le texte pourrait permettre de mieux cerner les ingérences chinoises sur l’archipel, convoité pour ses ressources en nickel, « des pressions extrêmement fortes mais sûrement plus secrètes que celles de Bakou », explique Claude Malhuret.
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