A la commission des lois du Sénat et de l’Assemblée, la candidature de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel, proposée par le chef de l’Etat fait grincer des dents (lire notre article). Une levé de boucliers qui laisse envisager un possible blocage de la part des élus.
Rappelons que les neuf membres du Conseil constitutionnel se renouvellent par tiers tous les trois ans, sur proposition du Président de la République, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, ces nominations obéissent à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution selon laquelle le président de la République ne peut procéder à une nomination d’un directeur d’administration centrale « lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ». En ce qui concerne les membres nommés par le président du Sénat et de l’Assemblée seul compte le vote de la commission de l’assemblée concernée. « En théorie, 74 voix sur les 122 membres des deux commissions des lois empêcheraient la nomination de Richard Ferrand. On peut imaginer que Philippe Bas nommé par Gérard Larcher pour intégrer le Conseil, ne prenne pas part au vote, ce qui nous ramène à 73 voix sur 121. On parle ici de suffrages exprimés, c’est-à-dire que chaque abstention abaisse la majorité et joue en défaveur de Richard Ferrand », précise Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole.
Dans l’hypothèse d’une nomination avant le 8 mars
Dans le cas où la candidature de Richard Ferrand serait rejetée, mercredi 19 février, à l’issue des auditions devant la commission des lois de l’Assemblée nationale et devant celle du Sénat, plusieurs hypothèses sont envisageables.
Le mandat, on le rappelle, non renouvelable, de Laurent Fabius, arrive à échéance le 8 mars, Emmanuel Macron aurait « donc le temps de nommer une autre personne ». « Il aurait alors intérêt à désigner une personnalité plus consensuelle, plus technique, moins politique », observe Mathieu Carpentier.
Le président de la République a aussi la possibilité de nommer un nouveau membre qui ne serait pas le président du Conseil constitutionnel. Julien Bonnet, professeur de droit public à l’Université de Montpellier précise, à ce sujet, que « la nomination d’un membre du Conseil constitutionnel par le chef de l’Etat doit être détachée de la désignation du Président du Conseil constitutionnel ». En effet, si selon l’article 56 de la Constitution, le président du Conseil constitutionnel est nommé par le Président de la République, il peut être nommé parmi les membres actuels. En mars 2000, Yves Guéna nommé membre du Conseil constitutionnel trois ans plus tôt par le président du Sénat, René Monory, avait été nommé président du Conseil par le président de la République Jacques Chirac. Yves Guéna avait assuré l’intérim pendant un an à la tête de l’institution, suite à la mise en retrait de Roland Dumas, mis en cause dans l’affaire Elf. « On peut imaginer un scénario où Emmanuel Macron nommerait une personnalité au Conseil constitutionnel et désignerait, après le 8 mars, Alain Juppé pour succéder à Laurent Fabius », esquisse Julien Bonnet.
Dans l’hypothèse d’une nomination après le 8 mars
Le nom d’Alain Juppé n’est pas cité au hasard puisqu’il est le doyen d’âge du Conseil constitutionnel. Il avait d’ailleurs été nommé en 2019 sur proposition du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Selon l’article 13 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, en cas d’empêchement du Président, le Conseil constitutionnel est convoqué par le plus âgé de ses membres ». Si le successeur de Laurent Fabius n’est pas nommé d’ici le 8 mars, ce serait le doyen d’âge, en l’occurrence, Alain Juppé, qui assurerait l’intérim.
Rien ne presserait Emmanuel Macron de nommer un nouveau membre. « Rien n’est prévu dans les textes si l’autorité de nomination pratique la chaise vide. En juin 2017, Nicole Belloubet démissionne du Conseil constitutionnel après sa nomination au ministère de la Justice. Sa successeure Dominique Lotti, sera nommée par Gérard Larcher, 5 mois plus tard », rappelle Julien Bonnet.
L’hypothèse où Richard Ferrand serait « mal nommé »
Richard Ferrand pourrait voir s’opposer à sa candidature une majorité de parlementaire sans pour autant être empêché. Ce serait le cas si la majorité de députés et sénateurs contre sa candidature n’atteignait pas les trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. « L’enjeu serait ici politique. Juridiquement sa nomination serait incontestable mais sa légitimité serait entachée », souligne Julien Bonnet. « Un Conseil constitutionnel avec une légitimité affaiblie dans l’opinion serait d’autant plus dommageable pour nos institutions si Marine Le Pen est élue présidente de la République dans deux ans », complète Mathieu Carpentier.
Une dernière possibilité pourrait s’offrir à Richard Ferrand. L’ordonnance de 1958 prévoit un délai de rétractation de 8 jours après la nomination des membres du Conseil constitutionnel. Après la démission de Nicole Belloubet, le président du Sénat, Gérard Larcher avait d’abord pensé à l’ancien garde des Sceaux et sénateur centriste, Michel Mercier pour la remplacer. Michel Mercier avait vu sa candidature largement confirmée (22 voix pour, 7 contre) par la commission des lois du Sénat. Mais au même moment, le Canard enchaîné révélait une affaire d’emplois fictifs faisant état de l’embauche de ses deux filles comme assistantes parlementaires. L’une d’elles vivait à Londres l’époque des faits. Quelques jours plus tard, Michel Mercier renoncera à devenir membre du Conseil, estimant qu’il ne pouvait siéger « avec la sérénité nécessaire ». Il sera, finalement, condamné, en 2023, à 3 ans de prison avec sursis, 50 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité et trois ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique.
En ce qui concerne Richard Ferrand Les points bloquants à sa nomination portent sur sa personnalité jugée trop proche d’Emmanuel Macron, son manque de compétence, mais aussi l’affaire des Mutuelles de Bretagne, qui avait valu à l’ancien député une mise en examen pour prise illégale d’intérêts avant d’être frappée par la prescription.
Rappelons, pour conclure qu’une candidature proposée par l’Elysée selon la procédure de l’article 13 a déjà été retoquée par le Parlement en avril 2023, une première depuis la révision de 2008. La nomination du maire LR de Charleville-Mézières (Ardennes), Boris Ravignon, à la tête de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) avait été rejetée par les députés et sénateurs (lire notre article).