Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
CMP : comment la dissolution va modifier l’espace de compromis entre députés et sénateurs
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La dissolution n’a pas seulement rebattu les cartes à l’Assemblée nationale. Elle va aussi peser d’une manière ou d’une autre sur les relations entre les deux chambres du Parlement. Dans la fabrique de la loi, la commission mixte paritaire (CMP) est un point de rencontre concret entre les deux composantes du Parlement. Lorsqu’un texte a été examiné dans les deux assemblées, le Premier ministre peut décider de convoquer cette instance, dans laquelle sept députés et sept sénateurs tentent d’aboutir à un texte de compromis à huis clos.
La publication de la composition des groupes de l’Assemblée nationale au Journal officiel ce vendredi donne l’occasion d’étudier la façon dont les équilibres politiques pourraient évoluer dans cet organe de conciliation. Bien que l’ordre du jour soit encore vide, cette question va se poser dans les prochaines semaines ou mois. Quelle sera la composition du septuor chargé de négocier avec les représentants du Sénat ? Comment attribuer sept sièges dans une Assemblée traversée par une tripartition ? Alors que le palais Bourbon entame le renouvellement de ses différentes instances, cette question est encore loin d’être définitivement tranchée. « On est dans un terrain très incertain », nous explique prudemment un juriste à l’Assemblée nationale.
Une répartition qui doit reproduire, autant que possible, la configuration politique
Le règlement fournit quelques éléments, à l’article 111. Il prévoit d’abord que la désignation des députés dans une CMP « s’efforce de reproduire la configuration politique » de l’Assemblée nationale. Deux autres conditions sont également écrites : le groupe qui dispose du plus grand nombre de titulaire conserve au moins un siège de suppléant et chaque groupe doit disposer « d’au moins un siège de titulaire ou de suppléant ». Vu l’émiettement des grandes forces politiques et de l’existence de 11 groupes (un record), répartir 7 postes de titulaires et 7 postes de suppléants de façon totalement satisfaisante, sur la base du règlement et d’un hémicycle de 577 élus, n’a rien d’aisé.
« C’est évident que cela pose de vraies questions. La répartition doit faire l’objet d’un accord politique en Conférence des présidents », souligne un administrateur de l’Assemblée nationale. Si un vote devait trancher ce point, chaque groupe disposerait d’autant de poids dans le scrutin que son effectif.
En 2022, par exemple, bien réduit à la majorité relative dans l’hémicycle, le camp présidentiel était sur-représenté dans le collège des sept députés en CMP. Il disposait de quatre des sept sièges (trois pour Renaissance, un pour le groupe démocrate). Trois titulaires étaient membres des oppositions : un représentant des Républicains, un de la France insoumise (LFI) et un du Rassemblement national (RN). Pour les suppléants, un système de tourniquet avait été mis en place.
Dans l’Assemblée actuelle, la répartition pourrait être un sujet de tensions. « La nouvelle configuration de l’Assemblée nationale fait que ça va devenir un sujet. Je ne serais pas surpris que ce soit évoqué par le Bureau de l’Assemblée nationale », imagine l’ancien président (PS) de la commission des lois de 2012 à 2016, Jean-Jacques Urvoas. « Le Bureau pourrait donner aux huit commissions une forme de mode d’emploi, qui pourrait résulter d’un compromis en Conférence des présidents. Sinon, cela va être une foire d’empoigne qui va connaître des originalités en fonction des commissaires, ou des textes », pressent l’ancien garde des Sceaux, aujourd’hui professeur en droit public à l’université de Bretagne-Occidentale.
Les députés du camp présidentiel théoriquement moins nombreux dans les futures CMP
En s’appuyant sur une répartition à la proportionnelle selon la méthode de la plus forte moyenne, il est possible d’imaginer à quoi pourrait ressembler la composition de la CMP, côtés députés. Dans cette hypothèse purement arithmétique, la répartition pourrait s’opérer de cette façon : deux députés Renaissance, un député LFI et un député PS, deux députés RN et un député LR. L’ex-majorité présidentielle verrait donc, potentiellement, son quota divisé par deux, quand le RN gagnerait une place supplémentaire dans les CMP, tout comme la gauche.
En incluant les sénateurs, l’état des forces en présence chez les membres titulaires dans les CMP s’organiserait de la façon suivante : 4 parlementaires LR, 3 parlementaires Renaissance, un sénateur Union centriste, trois parlementaires PS, un député LFI, et deux députés RN. On le voit dans cette répartition hypothétique, il faudrait additionner les quatre membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre, un député LR et les trois parlementaires Renaissance pour dégager, sur le papier, une majorité absolue en commission mixte paritaire (8 sur 14).
« Il faudra voir dans les semaines à venir comment les choses se décantent »
Mais tout dépendra évidemment des sujets sur la table. « Chacun va chercher à compenser grâce à sa présence au Sénat sa fragilité numérique à l’Assemblée nationale », estime le professeur Jean-Jacques Urvoas. « Aujourd’hui, le processus législatif, c’est un chemin de croix annoncé. Vous allez avoir quelque chose qui va s’ajuster en permanence, au regard du sujet. Le droit est censé produire de la sécurité par sa prévision », rappelle le constitutionnaliste.
Du côté des principaux concernés, peu de présidents de groupe du Sénat se risquent à commenter ce vendredi le probable barycentre des quelques commissions mixtes paritaires qui pourraient advenir dans cette législature inédite. « C’est encore un peu tôt pour le dire », observe le sénateur Laurent Lafon (UDI), président de la commission de la culture et de l’éducation. « Hier, on a eu une indication avec la présidence de l’Assemblée nationale, avec un accord politique entre l’arc central et le groupe LR, mais ça ne suffit pas à faire une majorité. Ce n’est peut-être pas suffisant pour faire passer des textes. Il faudra voir dans les semaines à venir comment les choses se décantent, ou pas. »
Sous la Ve République, les commissions mixtes aboutissent la plupart du temps, dans sept cas sur dix. Pour la session 2022-2023, ce taux de réussite est monté à 82 %. Mais sortir de la CMP avec une fumée blanche n’est pas toujours synonyme de succès par la suite, même si ce cas de figure reste relativement rare. Depuis les débuts de la Ve République, plus d’une cinquantaine de compromis ont ensuite été rejetés au moment des lectures des conclusions de CMP, rappelait il y a 5 ans notre confrère Pierre Januel, pour Dalloz Actualité. L’exemple le plus célèbre reste le projet de loi Hadopi, rejeté en 2009 par l’Assemblée nationale.
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