Stoppé net par la censure du gouvernement Barnier, le budget 2025 va faire son retour. Mais le projet de loi de finances (PLF) version Bayrou ne sera pas réécrit de A à Z. « Nous ne repartons pas d’une feuille blanche. Autrement, nous n’aurions pas de budget avant mai. Pour que la période d’incertitude soit la plus courte possible, nous repartirons des textes en discussion au Parlement », a expliqué lundi Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, dans Le Parisien/Aujourd’hui en France. « L’examen du texte va se poursuivre au Sénat », a confirmé le ministre de l’Economie, Eric Lombard. Les débats devraient reprendre le 15 janvier, a appris publicsenat.fr, confirmant une information du Figaro. Une date qui doit encore être confirmée officiellement en conférence des présidents ce mercredi.
« On sent bien que l’idée est de trouver une voie de passage pour adopter le budget »
Les débats vont donc reprendre là où ils avaient été laissés, c’est-à-dire au début de la seconde partie sur les dépenses, les sénateurs ayant déjà adopté la première partie sur les recettes. « On va reprendre la discussion. On repend les missions qui restent, soit pour à peu près une semaine d’examen », explique le sénateur LR, Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, à la sortie du rendez-vous à Bercy, aux côtés de Mathieu Darnaud, président du groupe LR du Sénat, sur la préparation du budget justement.
« Il y a eu un climat d’écoute. Il a beaucoup été question de la méthode, des objectifs du gouvernement. On sent bien que l’idée est de trouver une voie de passage pour adopter le budget 2025 », explique le rapporteur. Quitte à échafauder une architecture baroque, en rajoutant des couches sur un budget déjà très largement esquissé. Jean-François Husson résume :
Mais ce qui prend des allures de budget Frankenstein rentre-t-il dans les clous juridiques ? Autrement dit, le gouvernement peut-il reprendre les discussions sur le budget, tel qu’il était, et comme si de rien n’était ? Ou devrait-il reprendre de zéro ?
« Il n’y a aucun obstacle juridique à reprendre la discussion »
Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole, est catégorique. « Ça ne pose aucun problème, dans la mesure où le texte est toujours en instance au Sénat. Rien n’empêche donc le gouvernement de reprendre le texte », explique le constitutionnaliste, qui ajoute que « la motion de censure a suspendu la discussion du projet de loi de finances car la poursuite de la discussion d’un PLF échappait aux compétences d’un gouvernement démissionnaire. Donc bien entendu, la discussion s’est interrompue ». Mais « il n’y a aucun obstacle juridique à reprendre la discussion », insiste le professeur de droit.
Le fait de changer de gouvernement n’a aucun impact non plus et n’empêche pas de reprendre un texte, dont l’examen a commencé. « C’est arrivé en 2016, après la démission du gouvernement Valls, remplacé par le gouvernement Cazeneuve », rappelle Mathieu Carpentier.
Le professeur de droit reconnaît cependant qu’un débat existe chez quelques constitutionnalistes. « Il y a certains de mes collègues qui vont jusqu’à affirmer que l’ensemble des textes gouvernementaux en instance au Parlement, dont le PLF, sont caducs par le vote de la censure. Mais rien dans notre pratique constitutionnelle, ancienne comme récente, ne permet de justifier cela », souligne le professeur de l’université de Toulouse Capitole. Reste que l’idée que l’examen peut reprendre est la plus communément partagée.
Quid du « délai constitutionnel » de 70 jours ?
Pour Mathieu Carpentier, « la seule question », selon lui, concerne en réalité « le délai constitutionnel ». Explication : « Dès lors que les délais constitutionnels pour l’examen du budget sont arrivés à terme, rien n’empêche le gouvernement de mettre en vigueur les mesures du PLF et du PLFSS par ordonnance. La Constitution dit que si au bout de 70 jours pour le PLF, et 50 jours pour le PLFSS, le Parlement ne s’est pas prononcé, le gouvernement peut agir par ordonnance », rappelle le professeur de droit, « mais bien évidemment, cela pose une question politique majeure ».
Imaginer le gouvernement légiférer par ordonnance, un autre spécialiste juge l’hypothèse « un peu culottée ». « L’idée du délai, c’est si le Parlement se met en faute, en n’étant pas capable d’examiner en 70 jours. Là, il n’y avait plus de gouvernement. Donc le Parlement ne siège pas sans gouvernement. On ne pourrait pas reprocher au Parlement de ne pas avoir tenu le délai », pense ce connaisseur du sujet.
Jean-François Husson n’y voit pas non plus un risque. « Chacun a bien compris qu’on est dans des circonstances singulières et exceptionnelles. Je ne vois pas le Conseil constitutionnel retoquer pour ça », pense le rapporteur général. En tout état de cause, reste que la situation est pour le moins singulière, avec un budget commencé en fin d’année dernière, suspendu plus d’un mois, avant de reprendre l’année suivante. Un voyage en terre inconnu.
« La CMP peut durer plusieurs jours, il n’y a pas de problème… »
Une fois le budget adopté par le Sénat, le plus probable est que le gouvernement convoque ensuite une commission mixte paritaire (CMP) fin janvier. Soit celle-ci est non conclusive, et le PLF repart à l’Assemblée pour une nouvelle et dernière lecture, puis repasse devant le Sénat, puis reviendra devant les députés qui auront le dernier mot.
Soit la volonté pour trouver un accord en CMP sera partagée, côté Assemblée comme Sénat. Mais dans ce cas, elle pourrait durer, vu l’importance d’un texte comme le PLF et le nombre de sujets sur la table. Et en la matière, une CMP n’a théoriquement pas de limite de temps. « Elle peut durer plusieurs jours, il n’y a pas de problème… » lance un bon connaisseur du Parlement. Le tout, car c’est la règle, à huis clos, à l’abri des caméras et du public.