PARIS, Ministere de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, situe a l’Est de la capitale, dans le quartier de Bercy.

Budget 2025 : le gouvernement peut-il encore augmenter les impôts ?

En repartant du projet de loi de finances du gouvernement Barnier, le gouvernement Bayrou se lie en partie les mains. Il ne pourra pas tout modifier, en raison de la « règle de l’entonnoir », et de la non-rétroactivité fiscale. Mais l’exécutif compte pourtant toujours prélever 8 milliards d’euros sur les grandes entreprises, via une taxe exceptionnelle, et mettre à profit les plus hauts revenus. Beaucoup devrait se jouer en commission mixte paritaire.
François Vignal

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C’est entendu, le budget 2025 ne sera pas à 100 % un budget Bayrou. C’est sur la base du projet de loi de finances (PLF) de Michel Barnier que l’exécutif travaille. L’examen du PLF, suspendu au Sénat par la dissolution début décembre, va même reprendre là où il en était, ce qui est parfaitement possible. Au risque d’avoir un texte Frankenstein… « La base du PLF, c’est le gouvernement Attal, puis Michel Barnier l’a modifié, puis arrive la loi spéciale intermédiaire, puis vient le passage de relais à François Bayrou, qui le modifie », comme le résume le rapporteur général du budget au Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson.

Jusqu’où peut aller le gouvernement en reprenant la copie Barnier pour la transformer à la sauce Bayrou ? Et pourra-t-il y avoir des mesures fiscales, des nouveaux impôts ? Si le gouvernement reprend la base existante pour éviter d’avoir un budget qui n’arriverait pas avant le mois mai, il se lie aussi en partie les mains par ce choix. « L’examen du texte va se poursuivre au Sénat. On ne peut pas ajouter des mesures nouvelles, on peut modifier des mesures qui sont en débat. Ça réduit un peu nos marges de manœuvre », a prévenu lundi sur France Inter le nouveau ministre de l’Economie, Eric Lombard. Donc si « le budget est profondément transformé », ce sera « sur la base » de l’existant…

« La règle de l’entonnoir suppose que seuls sont recevables les amendements en relation directe avec les dispositifs restant en discussion »

Le Sénat a déjà examiné et adopté toute la première partie du PLF, celle portant sur les recettes. C’est ici que se trouvent toutes les mesures fiscales. Les sénateurs ne pourront donc plus y toucher. Ils ont entamé la seconde partie, sur les dépenses, mission par mission (défense, éducation, justice, etc). Au moment du vote de la censure, ils avaient quasiment terminé la mission sur les collectivités. Reste une bonne semaine d’examen pour finir les missions de chaque ministère. Et tous les changements ne seront pas permis.

« Les modifications sont possibles pour ce qui reste ouvert. Mais avec la règle de l’entonnoir, il ne peut pas y avoir de nouveauté qui n’était pas dans le PFL initial », explique Jean-François Husson. Pour mieux comprendre cette règle dont parle le rapporteur général, explications avec le professeur de droit public de l’université de Toulouse Capitole, Mathieu Carpentier : « Quand un article a été voté conforme par l’Assemblée et le Sénat, c’est-à-dire en termes identiques, une disposition ne peut revenir en discussion. La règle de l’entonnoir suppose que seuls sont recevables les amendements en relation directe avec les dispositifs restant en discussion », explique le constitutionnaliste.

Pour modifier les recettes, il faudra attendre la commission mixte paritaire

Pour ce qui est de la partie 2 du PLF, presque tout reste ouvert. Ça tombe bien, le gouvernement vise davantage d’économies. Pour modifier les recettes, il faudra en revanche attendre la probable commission mixte paritaire (CMP), où il sera alors possible de remodifier l’ensemble du PLF et de chercher d’éventuels compromis, avec une particularité : les députés ayant rejeté le texte, le travail se fera sur la version sénatoriale du budget.

La règle de l’entonnoir s’applique aussi en CMP. Par exemple, impossible d’introduire une disposition revenant sur le Pacte Dutreil, le budget ne comportant aucun article sur le sujet. En revanche, « ils peuvent tout à fait garder la surtaxe sur les sociétés, qui est dans le texte, la majorer, la doubler, la reporter ou la pérenniser. C’est possible. Mais ils ne peuvent pas augmenter de TVA par exemple, car ce n’est pas dans le texte », illustre un spécialiste du processus parlementaire. Cela tombe bien, le gouvernement vise toujours une surtaxe sur les entreprises, mais la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a écarté toute hausse de la TVA.

Non-rétroactivité fiscale

On peut donc réviser les impôts ? C’est là où ça se complique et qu’intervient la non-rétroactivité en matière fiscale. Car on ne peut pas changer, en 2025, les règles sur des revenus ou des bénéfices de l’année 2024, au risque de tomber sous le coup de mesures anticonstitutionnelles.

Pour autant, l’exécutif n’entend pas rester les bras croisés. « Sur la partie recettes, on sent bien que le gouvernement est attaché à garder les enveloppes de fiscalité sur l’impôt sur les sociétés sur les grandes entreprises, et sur les hauts revenus, d’une manière ou d’une autre », affirme Jean-François Husson, qui a rencontré Eric Lombard et Amélie de Montchalin mardi, à Bercy. « Les ministres l’ont évoqué, en disant qu’ils cherchaient (une solution), que les recettes de 8 milliards prévus sur les grandes entreprises étaient possibles. Et sur les 2 milliards sur les hauts revenus, ils sont en train de chercher la possibilité de les percevoir quand même », ajoute le sénateur LR.

La taxe sur les grandes entreprises décalée d’une année ?

Le principe d’une taxe exceptionnelle sur les grandes entreprises sera bien conservé, en tant qu’« élément de solidarité », a expliqué sur France Inter lundi le ministre de l’Economie. « Ça ne peut pas être la même chose, car il y a le principe de non-rétroactivité » fiscale, précise Eric Lombard, mais « c’est la même idée », avec le même objectif de rendement : « De l’ordre de 8 milliards d’euros ».

Reste à voir quel est le plan B du gouvernement. Les annonces seront faites le 14 janvier, lors du discours de politique générale. Mais selon les informations des Echos, « la piste privilégiée par François Bayrou consiste simplement à reprendre ce dispositif, en le décalant d’une année. Les grandes entreprises, réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, ne seraient pas visées par la surtaxe au titre de leurs bénéfices 2024, mais seulement à compter de leurs bénéfices 2025 », explique le quotidien, le gouvernement exigeant en parallèle « un paiement anticipé en décembre prochain afin d’encaisser cette manne sur l’exercice 2025 ». « Sur les 8 milliards, ils vont demander des acomptes sur 2025, je pense », avance de son côté Jean-François Husson.

Lutte contre l’optimisation fiscale

Quid de la contribution sur les hauts revenus, prévue par le précédent gouvernement, et qui devait rapporter 2 milliards d’euros ? C’est « une mesure fiscale à laquelle je suis attaché », a assuré le ministre de l’Economie. Mais Là aussi, Eric Lombard se retrouve confronté au même problème : « Elle ne peut pas se faire, mais on peut prévoir des mécanismes pour que les personnes avec des hauts revenus participent à l’effort ».

Il met sur la table une piste pour les faire davantage contribuer : « Il faut limiter les effets de l’optimisation fiscale », prévient le ministre, qui ajoute : « Il s’agit de vérifier que chacun paie sa juste part de l’impôt. […] C’est un point sur lequel on peut trouver des convergences », espère Eric Lombard.

« A priori, le gouvernement choisit de ne pas augmenter les impôts. J’attends de voir jusqu’au bout », affirme Jean-François Husson

Quant à l’indexation de l’impôt sur le revenu, qui n’a pas pu être appliqué faute de PLF voté en fin d’année, Amélie de Montchalin assure dans Le Parisien que « si le budget est voté au plus tard fin février début mars, le barème sera automatiquement réindexé pour la déclaration de revenus du printemps ». Autrement dit, il n’y aura pas d’augmentation d’impôt par non-indexation. « Pour les ménages, je veux être claire : pas de nouveaux ni de hausse d’impôts qui pénaliseraient le pouvoir d’achat de la classe moyenne », assure encore la ministre, qui prévient en revanche que le gouvernement « souhaite garder la taxe sur les billets d’avion », déjà prévue dans le PLF Barnier. Mais pas de nouvelles hausses d’impôts, au-delà de ce qui était déjà annoncé.

Sur ce point, Jean-François Husson reste prudent. « A priori, le gouvernement choisit de ne pas augmenter les impôts. J’attends de voir jusqu’au bout. Car il y a aussi les taxes, qui passent par des produits divers », note le rapporteur du budget.

« Il n’y a pas de limite temporelle en CMP. Cela peut durer 15 jours, si on veut ! »

Si la suite de l’examen de la partie dépenses, par ministère, permet encore des évolutions possibles en termes d’économies – le gouvernement cherche 10 milliards de plus – il faudra certainement attendre la CMP pour voir l’essentiel des changements. Une CMP, à huis clos, où beaucoup risque de se jouer. « Ce sera en CMP, bien entendu. Le gouvernement pourra faire beaucoup de choses, dans la mesure où la totalité des dispositions du texte resteront en discussion », confirme Mathieu Carpentier. D’autant que rien n’interdit, théoriquement, qu’une commission mixte paritaire dure plus d’une journée… On l’a vu sur le texte immigration. « Le projet de loi de finances est un mastodonte. Il n’y a pas de limite temporelle en CMP. Cela peut durer 15 jours, si on veut ! Mais ce sera impossible de tout revoir en CMP », prévient le professeur de droit.

Formellement, le gouvernement ne peut pas déposer d’amendement en CMP, mais uniquement les députés ou sénateurs. Mais il peut le faire indirectement, en lien avec les rapporteurs. Surtout si des compromis politiques se dessinent. Après la CMP, « seuls sont recevables les amendements acceptés par le gouvernement », rappelle le constitutionnaliste, donc en général les siens. De quoi apporter encore des modifications jusqu’au bout, si nécessaire…

« Je ne me satisfais pas de ce bordel »

Reste que ce chemin de croix budgétaire risque de donner des débats à nouveau peu lisibles pour les Français. D’autant que les lignes rouges de chacun risquent de rendre l’équation encore très complexe à résoudre. « J’espère que ce sera une œuvre collective. Mais j’ai des craintes. Quand un dossier part mal, en général, il finit mal… Quand c’est mal emmancher, ça dure jusqu’au bout », lâche Jean-François Husson, qui conclut : « Je ne me satisfais pas de ce bordel. Car ça reste le grand Bazar ».

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