François Bayrou avait annoncé un effort demandé à tous les ministres. Nous y sommes. Dans le cadre de la reprise de l’examen du projet de loi de finances (PLF), au Sénat, la même opération s’opère, sur chaque mission budgétaire : un amendement de dernière minute, déposé par le gouvernement, pour faire des économies supplémentaires. On l’a vu sur l’aide publique au développement jeudi, puis sur le sport, où les sénateurs se sont mobilisés pour rejeter ce « coup de rabot » supplémentaire. L’audiovisuel public n’a pas eu cette chance.
La majorité sénatoriale de droite et du centre a adopté une baisse de 80 millions d’euros des crédits de l’audiovisuel public, fruit d’un compromis avec le gouvernement. La ministre de la Culture, Rachida Dati, voulait en effet dans un premier temps réduire les dépenses de 100 millions d’euros.
Une économie qui « traduit la contribution des organismes de l’audiovisuel public au redressement des comptes publics », selon Rachida Dati
A l’origine, le PLF mouture Barnier, base sur laquelle le gouvernement Bayrou travaille, prévoyait déjà 50 millions d’euros d’économies. L’amendement de dernière minute du gouvernement prévoyait 50 millions d’euros de plus. « Il traduit la contribution des organismes de l’audiovisuel public au redressement des comptes publics. Nous étions sur 50 millions d’euros, avec l’ancien gouvernement. Nous sommes sur 50 millions de plus, avec le nouveau gouvernement, compte tenu aussi, il faut le dire, de l’accord qui a pu être obtenu avec d’autres formations politiques. Nous sommes donc à – 100 millions d’euros », a lâché Rachida Dati. Autrement dit, elle met cette coupe supplémentaire, qui touchera France Télévisions et Radio France, sur le dos de l’accord de non-censure conclu cette semaine entre le gouvernement et le Parti socialiste… Regardez :
De son côté, la majorité sénatoriale avait prévu, en première partie du PLF, un effort supplémentaire de 15 millions d’euros, portant les économies à 65 millions d’euros, au lieu des 50 millions.
« Effort principal sur les grosses organisations, comme France Télévisions et Radio France »
Une négociation s’est alors faite, directement dans les travées de l’hémicycle et en pleine séance, entre la ministre et les sénateurs LR, notamment lors de la prise de parole de la socialiste Sylvie Robert, qui l’a fait remarquer. Résultat : le sénateur LR Cédric Vial a déposé à la toute fin de la discussion un sous amendement à celui du gouvernement, coupant la poire en deux, à 80 millions d’euros.
« L’objectif, c’est d’avoir un effort qui tienne. Le risque est que dans la poursuite de la navette parlementaire, on arrive à un résultat différent. On a préféré, avec les groupes de la majorité sénatoriale et avec Madame la ministre, se mettre d’accord sur un montant intermédiaire, qui est une forme de compromis », explique Cédric Vial (voir la première vidéo). L’amendement « fera porter l’effort principal sur les grosses organisations, comme France Télévisions et Radio France, en essayant d’épargner les structures plus modestes, comme France Media Monde, l’INA, TV5 Monde ou Arte », précise le sénateur de la Savoie.
« Un million d’euros supplémentaires pour France Media Monde »
« A l’intérieur de ces 80 millions, il y a un million d’euros supplémentaires pour France Media Monde », complète le rapporteur spécial de la commission des finances sur le sujet, le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet (voir la première vidéo), répondant ainsi à une demande de son collègue LR Roger Karoutchi, qui a alerté sur le manque de moyens de France Media Monde dans le contexte géopolitique actuel.
« Le point d’accord se fait sur une ponction supplémentaire de 80 millions d’euros », résume Laurent Lafon, président centriste de la commission de la culture et de la communication, « ça vaut pour point d’atterrissage en commission mixte paritaire (CMP). Il ne s’agit pas qu’il y ait une ponction supplémentaire opérée en CMP », espère le centriste.
« C’est le coût des postes dans l’éducation, c’est le coût du retrait de la période de carence pour les fonctionnaires », lance le sénateur LR Cédric Vial
Avant que Rachida Dati ne vise les socialistes, Cédric Vial avait commencé, lors de la discussion générale, à renvoyer la faute de cet effort supplémentaire sur le PS. Pour le sénateur de la Savoie, les 50 millions que voulait d’abord rajouter le gouvernement, « ne sont finalement rien d’autre que la facture des concessions faites au Parti socialiste par le gouvernement. C’est le coût des postes dans l’éducation, c’est le coût du retrait de la période de carence pour les fonctionnaires », lance Cédric Vial.
Ce proche de Michel Barnier est encore revenu à la charge ensuite : « Si les socialistes n’avaient pas voté la motion de censure face au premier ministre Barnier, on serait à 50 millions, peut-être à 65. On ne serait pas à 80 millions. C’est une conséquence. Je ne dis pas que vous l’avez fait exprès ». Il continue : « Les fameux 4.000 postes dans l’éducation, c’est entre 160 et 180 millions d’euros. Là, il y en a 15 millions (en plus). C’est 10 % de la facture. Et la liste est longue. Vous avez reçu trois pages d’accord avec le premier ministre… » « Il faut que vous assumiez le dialogue entre vous et le gouvernement. Il s’est dit des choses et ces choses ont un coût », a renchéri le sénateur LR Max Brisson.
« Je m’associe totalement aux arguments du sénateur Brisson », rebondit Rachida Dati, qui ajoute qu’« il y a des mesures qui ont été prises, qui ont été annoncées aussi dans cet hémicycle. Ça nous oblige à négocier certaines mesures ».
« Il y a une certaine hypocrisie à faire croire que c’est selon l’accord avec les socialistes que se décideraient les coupures que vous avez décidées », dénonce Yan Chantrel
Sans surprise, les socialistes ont peu apprécié les attaques de la droite et du gouvernement, tout comme ce coup de rabot supplémentaire. « Nous sommes contre la baisse déjà opérée des 50 millions d’euros, par l’ancien gouvernement, et la négociation de 15 millions supplémentaires qui font 65 millions. Donc sur le nouvel amendement du gouvernement, nous ne sommes pas pour », a commencé la socialiste Sylvie Robert, qui raille « une sorte de marché de tapissiers » qui mène aux 80 millions d’euros, « on n’est pas à la hauteur des enjeux ». Pour la sénatrice PS, « l’audiovisuel public doit devenir un secteur stratégique » et doit être protégé des coupes. Pour le reste, elle se dit « un peu agacée » par ceux « qui disent que c’est à cause des socialistes, qu’on se retrouve à faire ces arbitrages ». « Sur les causes de ces suppressions de crédits supplémentaires, on peut parler du vote de la censure. On peut aussi parler du péché originel de la dissolution, la cause de ces difficultés », rétorque Adel Ziane, sénateur PS de Seine-Saint-Denis, par ailleurs « fier de porter » la non-suppression de 4.000 postes dans l’éducation.
S’adressant à la droite, le sénateur PS Yan Chantrel soutient qu’« il y a une certaine hypocrisie de ce côté de l’hémicycle, à faire croire que c’est selon l’accord avec les socialistes que se décideraient les coupures que vous avez décidées », lance-t-il, renvoyant à la question des « recettes ». Dénonçant « des amendements décidés en catimini par le gouvernement, à la dernière minute, sans que ça passe devant tous les parlementaires, les commissions », il pointe « des méthodes inacceptables » (voir vidéo ci-dessus). Et de prévenir : « Nous serons au rendez-vous pour que ces coupures ne soient pas votées, […] sinon votre gouvernement sautera ! » « Ce qui sera décisif, ce sera la CMP et l’arbitrage final », conclut Sylvie Robert, qui insiste : « 80 millions d’euros, c’est beaucoup trop aujourd’hui ».