Visite de l’usine Perrier a Vergeze

Affaire des eaux en bouteille : un rapport du Sénat dénonce « un scandale industriel » doublé d’un « scandale politique »

A la suite de la polémique sur le non-respect de la réglementation des eaux en bouteille en janvier dernier, les sénateurs avaient lancé une mission d’information. Ils remettent leurs conclusions ce mercredi 16 octobre. Si le géant Nestlé est particulièrement visé pour sa lenteur de mise en conformité, les élus mettent aussi en lumière le manque de clarté de la position des autorités publiques et demandent plus de transparence aux industriels comme à l’Etat.
Quentin Gérard

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L’affaire avait fait beaucoup de bruit. Fin janvier 2024, le Monde et Radio France ont révélé qu’une large partie des eaux vendues sous l’étiquette « minérale naturelle » ou « de source », subissaient des traitements de purification similaires à ceux utilisés pour l’eau du robinet. Plusieurs grandes marques sont concernées par cette pratique illégale. Notamment Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar et Contrex) qui a dissimulé au grand public la contamination de l’eau qu’il puisait et a utilisé des méthodes de purification interdites tout en gardant l’étiquette « minérale naturelle ».

L’eau minérale naturelle et l’eau de source se distinguent de l’eau rendue potable par traitement par leur « pureté originelle ». Les deux premières, puisées dans les nappes souterraines profondes, sont censées être naturellement saines et ne peuvent subir qu’un nombre très restreint de traitements. Les méthodes de filtration utilisées par Nestlé, révélées en janvier dernier, sont donc interdites. Le groupe n’aurait pas dû pouvoir vendre ses bouteilles en tant qu’« eau minérale naturelle ». Ce qui fait dire à Antoinette Guhl, rapporteure de la mission d’information, que c’est « un scandale industriel », doublé d’un « scandale politique », car les gouvernements successifs auraient trop laissé faire.

À la suite de ces révélations, les sénateurs avaient lancé une mission d’information pour essayer de comprendre les défaillances. Ils dévoilent leurs conclusions ce mercredi 16 octobre. Dans l’élaboration de sa mission, Antoinette Guhl, déplore le « manque de transparence de certains acteurs privés comme publics ». Mais la sénatrice écologiste de Paris retient surtout la « lenteur de la mise en conformité de Nestlé en l’absence de mesures plus volontaristes de l’Etat ». Et plus globalement, le rapport met en évidence deux phénomènes : « Le manque de clarté de la position des autorités » et la « vulnérabilité à la pollution des sources d’eaux souterraines ».

Des signalements dès 2020

Dès 2020, des traitements non-conformes de l’eau sont signalés aux autorités par un salarié des Sources Alma (Cristalline). Une enquête du Service national d’enquêtes (SNE) de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – qui contrôle la loyauté des produits – est déclenchée. Elle est ensuite élargie à d’autres exploitants et débouche sur un signalement au procureur en juillet 2021 pour « tromperie ».

Plus d’un mois après, Nestlé Waters reconnaît avoir recours à des traitements interdits dans certaines usines de conditionnement d’eau minérale naturelle. « Ils ont avoué parce qu’ils savaient que leurs pratiques auraient été découvertes », souligne Antoinette Guhl. Le groupe utilisait des filtres à charbon actif et des traitements par lampe UV. L’entreprise promet ensuite que ces traitements n’ont jamais affecté la composition minérale naturelle de leurs eaux. Pourtant, comme expliqué, c’est la « pureté originelle » qui donne à l’eau minérale et naturelle sa dénomination de « naturelle ». « Cette dénomination est donc remise en cause par ces traitements qui modifient la composition microbiologique de l’eau », indique le rapport de la mission d’information. Les servies de l’Etat ont indiqué à la rapporteure, Antoinette Guhl, qu’en « absence de signalement, ces pratiques n’auraient pas pu être décelées et auraient sans doute perduré ».

Une réponse de l’Etat « tardive et confidentielle »

En novembre 2021, les ministres Agnès Pannier-Runacher et Olivier Véran saisissent l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour une mission concernant des usines de conditionnement d’eau en France. Les résultats indiquent des pratiques non-conformes dans près de 30 % des cas. L’Igas estime encore ce taux sous-évalué face aux difficultés d’identifier les pratiques et du caractère déclaratif des réponses. La mission d’information déplore « qu’aucune mesure de suivi immédiat n’a été prise pour éviter la mise sur le marché d’eau minérale naturelle ne remplissant pas les conditions requises pour être commercialisées ». Mais aussi que la réponse de l’Etat, en ayant simplement saisi l’Igas, a été « tardive et confidentielle ».

Le rapport de l’Igas s’inquiète aussi du développement de la microfiltration, très utilisée par Nestlé. C’est un procédé physique de séparation entre une phase finement divisée et une phase liquide, utilisant une membrane. 85 % des industriels ont eu recours à cette technique. Si aucune harmonisation européenne n’existe en la matière, le seuil de coupure de 0,8 micron est considéré comme acceptable par les autorités. Or la mission de l’Igas met en évidence la « généralisation de seuils de coupure à 0,45 micron ». Le ministère de la Santé a préconisé aux Agences régionales de santé (ARS) le maintien des microfiltrations inférieures à 0,8 micron sous réserve que l’exploitant apporte la preuve que ce traitement ne modifie pas le microbisme de l’eau. Le rapport de la mission d’information dénonce « un accroissement de la tolérance administrative à l’égard de la microfiltration ». Il recommande l’adoption d’une « position claire et générale des autorités sur le seuil de microfiltration acceptable dans le cadre d’un dialogue européen ».

Le plan de transformation de Nestlé

Tout au long de l’année 2023, un plan de transformation est présenté par Nestlé Waters aux autorités politiques sous l’égide des services de l’Etat. Il repose sur le retrait des traitements de désinfection en contrepartie du recours à une microfiltration jusqu’à 0,2 micron. Ces demandes prennent notamment effet dans les Vosges et le Gard. La rapporteure souligne « la lenteur de la cessation des pratiques explicitement interdites par la réglementation ». Antoinette Guhl, sénatrice écologiste de Paris poursuit : « Dans les Vosges, elles ont cessé près d’un an et demi après les révélations de Nestlé Waters à l’Etat et dans le Gard, c’est deux ans après ».

En avril 2023, la Direction générale de la Santé (DGS) met en place une « surveillance renforcée » des zones exploitées par Nestlé Waters dans les Vosges. Le même contrôle est ensuite mis en place dans le Gard. La mission d’information note que cette « surveillance renforcée n’a pas permis de lever les doutes quant au respect en toute circonstance des critères de ‘pureté originelle des ressources’ ». Face à des « doutes persistants », Antoinette Guhl préconise de poursuivre et d’étendre la surveillance renforcée, notamment dans les endroits encore peu surveillés aujourd’hui.

« Une mauvaise collaboration entre les autorités compétentes »

Il y a une « mauvaise collaboration entre les autorités compétentes et au sein de celles-ci, tant à l’échelle centrale qu’à l’échelle locale », conclut un rapport d’audit de la Commission européenne. Pour citer quelques exemples, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’a pas eu connaissance du rapport de l’Igas avant sa publication en février 2024, alors que ce dernier indique qu’il a été présenté aux trois ministères en juillet 2022. De son côté, l’Anses – qui joue un rôle central dans l’appréciation technique des pratiques concernées – témoigne tout au long de la séquence d’un déficit d’information. Le rapport recommande donc de « considérablement développer le travail en réseau entre les autorités compétentes pour le contrôle des eaux minérales naturelles et les eaux de source ».

La mission d’information pointe aussi un manque de « transparence des relations de l’industriel avec les pouvoirs publics ». Comme en août 2021, malgré les problèmes évoqués, Nestlé Waters n’a pas pris attache avec le ministre de la Santé alors qu’il a une large compétence sur le sujet. La mission évoque également une « communication parfois parcellaire ». Nestlé a par exemple indiqué en avril 2024 aux médias avoir procédé à la destruction de deux millions de bouteilles de la marque Perrier par précaution. Ces faits ont ensuite été infirmés. La demande avait en réalité été formulée par le préfet du Gard sur proposition de l’Agence régionale de santé. Et ce sont près de trois millions de bouteilles qui ont été détruites.

Des « mesures de publicité » en cas de non-conformité

Pour éviter toute entrave dans les contrôles, la sénatrice Antoinette Guhl recommande de « pérenniser les inspections inopinées ». Elle réaffirme « l’obligation pour les exploitants de laisser les agents de contrôle pénétrer immédiatement sur le site », quand un contrôle est effectué. L’élue écologiste poursuit en préconisant des « mesures correctives » assorties de « mesures de publicité » en cas de non-conformité pour porter à l’attention du consommateur le problème.

Le rapport s’interroge aussi sur des pratiques qui attaquent « la pérennité et la qualité de la ressource en eau minérale naturelle ». Notamment les prélèvements excessifs, l’artificialisation des sols ou l’émission de polluants issus des activités humaines. Le changement climatique apparaît quant à lui comme un « facteur aggravant » de la vulnérabilité des sources. Pour disposer d’une meilleure information sur la soutenabilité et la vulnérabilité de la ressource, la rapporteure préconise de lancer « une campagne d’études des hydrosystèmes exploités par les industriels », de « rendre publique les quantités d’eau prélevées par les exploitants », mais aussi « d’actualiser le plan d’action sur les micropolluants en y incluant les eaux conditionnées afin de disposer d’informations complètes sur leur niveau de pollution ».

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