Accord CVC-LFP : sous le feu des questions, Vincent Labrune défend un accord « exceptionnel » et étrille Mediapro

Au cours d’un échange animé et tendu de près de 2h30, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), a défendu l’accord avec le fonds d’investissement, qui prévoit l’injection de 1.5 milliards d’euros dans la société commerciale LFP Media, en contrepartie d’une prise de participation de 13 %. Interrogé également sur l’échec Mediapro et la forte tension entre la LFP et Canal + qui en a résulté, Vincent Labrune reconnaît un « sentiment de trahison » vécu par la chaîne cryptée.
Alexis Graillot

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C’est un Vincent Labrune tendu qui s’est présenté ce mercredi 26 juin face aux sénateurs, dans le cadre de la commission d’enquête sur la financiarisation du football français. Une commission créée dans le contexte de grave crise économique que traverse depuis plusieurs années le football français, en particulier depuis l’échec de Mediapro, qui a placé le football français dans un état de « grande précarité financière ».

Pour autant, la stratégie de la LFP sur cet accord avec CVC suscite « un certain nombre de questions », comme le souligne le président centriste de la commission, Laurent Lafon.

Mediapro ? « Il n’y avait pas de renégociation possible »

Se présentant à la commission avec le souhait de « rétablir un certain nombre de vérités », le président de la Ligue est revenu sans détour sur le krach du diffuseur Mediapro, quelques semaines seulement après sa prise de fonction en 2020, dans un « contexte dramatique », marqué également par la crise sanitaire. Pour Vincent Labrune, il s’agit d’une « erreur stratégique majeure », dont il précise qu’il a « mis en danger les clubs ».

« Mediapro ne pouvait pas honorer ses engagements » assure-t-il, reconnaissant bien volontiers un « échec ». « Il n’y avait pas de renégociation possible », ajoute le président de la LFP, pour qui « chaque jour qui passait coûtait 2 millions d’euros ». S’en prenant de manière très virulente au groupe audiovisuel espagnol, il considère que celui-ci a adopté un « comportement de contournement de ses obligations ».

Un modèle « gagnant-gagnant » avec CVC

Face à cette « crise sans précédent », Vincent Labrune explique que cette situation a constitué un « électrochoc » pour la Ligue, qui lui a imposé de prendre des « mesures fortes et innovantes ». La première d’entre elles a évidemment consisté à « mettre fin au partenariat avec Mediapro », se félicitant par ailleurs du « délai record » pour « obtenir un dédommagement inespéré », aux alentours de « 100 millions d’euros ». Louant le partenariat avec CVC, le président de la Ligue met en avant un « modèle de développement aux côtés d’un partenaire fiable, loyal et de long terme, qui représentait la meilleure solution financière dans l’intérêt des clubs, et qui lui, tient ses engagements », un dernier propos qui résonne comme une pique supplémentaire à l’encontre de Mediapro.

C’est un « accord exceptionnel », salue Vincent Labrune, basé sur un « modèle gagnant-gagnant », avec « une valeur ajoutée considérable sur les aspects commerciaux ». Du côté de la Ligue, c’est en effet l’injection de 1.5 milliard d’euros, échelonné en 3 fois, un plan d’affaires que « tous les clubs ont validé ». Du côté de CVC, non seulement le fonds d’investissement dispose d’une prise de participation de 13.04 % dans la société commerciale sur une durée illimitée (contre 50 ans en Espagne, et que la ligue allemande a refusé un tel accord), mais la gouvernance s’avère également très partagée entre la LFP et le fonds d’investissement, puisque le comité de supervision de LFP Media est composé de 3 membres de la LFP et de 2 membres de CVC.

Ces derniers peuvent également faire jouer un « droit de veto » quant à la nomination et la révocation de certains dirigeants, notamment si le budget prévisionnel pour 2 années consécutives est inférieur de 20 % à celui fixé par l’accord. Sur ce sujet, pas d’inquiétude pour Vincent Labrune, qui estime que les intérêts des clubs, de la Ligue et du fonds, sont « parfaitement alignés ». En outre, CVC dispose de la possibilité d’augmenter sa participation à 14.2 %, dans le cas où le fonds prendrait la décision de revendre ses actions si le résultat n’est pas celui escompté. Et quid d’une éventuelle participation supplémentaire du fonds ? « Cela n’a jamais été envisagé », rétorque Vincent Labrune.

Pour autant, les sénateurs ont semblé dubitatifs face à ce plan d’affaires, demandant à plusieurs reprises, si la LFP n’avait pas vu trop gros. « On croit de bonne foi que sur le long terme, si la Ligue élève son niveau de performance, ces chiffres sont accessibles », avance l’ex-président de l’OM, qui explique que le calcul du montant des droits TV s’est fait en se basant sur « les montants du top 3 européen » (NDLR : Angleterre, Allemagne, Italie).

 Si on avait eu la possibilité de vendre la ligue 1 en un seul lot, on aurait vendu début 2023 

Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel (LFP)

« Il y a eu beaucoup de ressentis et une blessure forte » avec Canal +

De lui-même, le président de la Ligue est ensuite revenu sur les relations très tendues entre la LFP et son partenaire historique de diffusion, Canal +. Si la rupture n’est pas totalement consommée, Vincent Labrune semble faire preuve de pessimisme quant aux suites. « Il y a eu beaucoup de ressenti et une blessure forte », depuis l’épisode Mediapro, admet Vincent Labrune, qui fait état d’un « sentiment de trahison », pour la chaîne cryptée, qui n’avait pas été mise au courant de l’entrée de ce nouvel acteur.

Vincent Labrune assure cependant avoir tout fait pour restaurer les liens distendus avec Canal +, depuis sa prise de fonction : « C’était ma priorité totale de renouer le dialogue », avance-t-il, expliquant cependant avoir été confronté à un « principe de réalité ». Le montant proposé par Canal + pour l’ensemble des matches de Ligue 1 en 2021 était en effet inférieur de 70 millions d’euros à celui proposé par Amazon pour 8 matches, en plus de celui de Canal + pour les 2 matches restants. Et ce même si Canal + avait inclus un bonus de 70 millions, susceptible de rejoindre à terme, l’offre du géant américain : « La partie variable est virtuelle, les clubs ne peuvent pas prendre de décisions au doigt mouillé », défend-il. Avant d’ajouter : « 70 millions par an, sur 3 saisons, c’est plus de 200 millions ».

Un argumentaire qui n’a pas semblé convaincre les sénateurs, dont le rapporteur LR de la commission, Michel Savin, qui s’est voulu volontairement provocateur : « Pensez-vous être un blocage dans les relations avec Canal ? », demande-t-il. Question à laquelle Vincent Labrune répond : « Je ne pense pas. Il y a un a priori très fort de Canal contre le foot français », constate-t-il, déclarant « espérer que le temps de la raison arrivera prochainement ».

Imbroglio autour de la rémunération de Vincent Labrune ? Le président de la LFP pointe un « déficit d’informations » entre LFP Media et CVC

L’audition du président de la LFP constituait également l’occasion d’effectuer une opération de clarification pour le dirigeant, alors que les dirigeants de CVC avaient semblé « découvrir » le montant de sa rémunération en pleine audition, sous les regards surpris de Laurent Lafon et Michel Savin.

Confirmant une rémunération portée à « 1,2 million d’euros annuels », Vincent Labrune explique que la refacturation à la société commerciale de la Ligue s’explique pour des raisons « procédurales », pointant un « déficit d’information » entre le fonds d’investissement et LFP Médias. « Ma rémunération est portée par la LFP », assure-t-il, expliquant que si tel n’était pas le cas, cela équivaudrait à un « acte anormal de gestion », qui serait « non conforme à l’administration fiscale ».

Quant à l’absence de présence du montant de la rémunération dans le procès-verbal des assemblées générales de la Ligue, le directeur général de l’instance, Arnaud Rouger la justifie car « les montants n’avaient pas encore été arrêtés ».

Vers la création d’une chaîne « 100 % Ligue 1 » ? « Une hypothèse » parmi d’autres

Enfin, dernier sujet mais pas des moindres, celui des droits TV, qui n’ont toujours pas été attribués pour la saison de Ligue 1 à venir. Un enjeu crucial pour certains clubs, à l’image de Montpellier, qui dépendent massivement des droits TV. Pas question pour autant de renégocier la répartition des droits en fonction des clubs, comme proposé par Jean-Michel Aulas, la semaine dernière au Sénat : « Ce sujet n’existe pas », tempête-t-il.

Quant aux négociations, il reconnaît que ces dernières sont « très compliquées », se félicitant cependant de « résultats très satisfaisants » sur les droits de la Ligue 2, obtenus hier par beIN Sports pour près de 40 millions d’euros.

« Ce serait plus facile de vendre les droits avec Messi, Mbappé et Neymar », admet-il cependant, mettant en avant le doublement de la vente des droits à l’international. « On croit à nos équipes, à notre formation », martèle le dirigeant, qui n’exclut pas cependant la création d’une nouvelle chaîne en l’absence de diffuseur : « Si la solution est de créer notre propre chaîne, on le fera », assène-t-il, estimant toutefois que cela ne constitue qu’une « hypothèse » parmi d’autres. Et quid du prix de cette chaîne, alors qu’un montant de 25 euros a été évoqué ? « Les 25 euros sont des hypothèses de travail. Il n’y a rien de gravé dans le marbre », tempère-t-il, critiquant par ailleurs la dispersion des matches sur plusieurs chaînes, qui coûte « très cher » au téléspectateur. Avant d’asséner une dernière pique sur la législation actuelle, qui fixe la vente des droits TV par lots, une méthode qu’il ne juge « plus du tout en phase avec la réalité du marché ». « Si on avait eu la possibilité de vendre la ligue 1 avec un seul lot, on aurait vendu début 2023 », regrette-t-il, sans toutefois évoquer l’acheteur.

Dans tous les cas, ce sujet devra être tranché dans les prochains jours, au risque de voir le football français se retrouver dans une situation encore plus dramatique qu’elle ne l’est déjà. A en voir la tension sur le visage du président de la Ligue durant toute son audition, pas sûr que l’on puisse être plus rassuré après ces 2h30.

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La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. 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