Paris:Hemicycle of the natioanl assembly without deputies

Abrogation de la réforme des retraites : la proposition de loi de La France insoumise peut-elle aboutir ?

Ce matin sur France Inter, Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, a annoncé le dépôt d’une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites adoptée l’année dernière. Au regard de l’Assemblée nouvellement composée, cette proposition de loi pourrait-elle être adoptée ?
Camille Gasnier

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« Aujourd’hui, nous déposons une proposition de loi pour abroger la réforme de la retraite à 64 ans. La retraite à 64 ans a été imposée de force à la représentation nationale par 49.3 contre l’ensemble des syndicats et contre l’immense majorité du peuple. ». Voilà ce qu’a annoncé ce matin Mathilde Panot. Une proposition qui fait écho à celle déposée par Bertrand Pancher, en avril dernier. Le président du groupe LIOT à l’Assemblée nationale avait finalement retiré son texte à l’issue de la discussion générale en séance publique. L’article 1er du texte visant à abroger le recul de l’âge légal de départ à la retraite et les amendements qui y étaient reliés avait été déclarés irrecevables en vertu de l’article 40 de la Constitution. En avril dernier, des sénateurs socialistes avaient aussi déposé une proposition de loi pour abroger cette réforme. Elle avait finalement été rejetée en commission.

Comment fonctionne l’article 40 de la Constitution ?

L’article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. » Cette disposition empêche le Parlement de diminuer des ressources publiques ou de créer une charge. Néanmoins, il est possible de réduire une recette à condition de la compenser par la création d’une autre ressource. C’est ce que l’on appelle un « gage ».

Pour les propositions de lois, l’irrecevabilité financière est examinée préalablement et postérieurement à son dépôt. L’article 89 du règlement de l’Assemblée nationale précise que l’appréciation de la recevabilité d’une proposition appartient à une délégation du Bureau de l’Assemblée nationale. Cette délégation peut alors s’opposer au dépôt d’une proposition de loi lorsque son adoption « aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution ». Après son dépôt, l’article 89 du règlement précise que l’irrecevabilité financière d’une proposition de loi peut être invoquée à tout moment de la procédure législative. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé dans une décision rendue le 25 juin 2009.

Tout au long du processus législatif, plusieurs instances sont chargées de contrôler la recevabilité financière d’une proposition de loi ou des amendements qui y sont apportés. Lors de l’examen en commission, c’est le président de la commission saisie au fond qui se prononce. Il peut être assisté par son bureau et demander l’avis du président de la commission des finances ou du rapporteur général du budget. Avant la séance publique, au Sénat, c’est le président de la commission des finances ou le rapporteur général qui se prononcent, à l’Assemblée nationale, c’est le rôle de la présidente de l’Assemblée sur avis du président de la commission des finances. Durant la séance publique, c’est le président de l’assemblée concernée qui intervient, sur avis de la commission des finances. Après l’adoption de la loi, le Conseil constitutionnel peut être saisi. Les juges constitutionnels ont un mois pour se prononcer.

La proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites pourrait-elle être votée par l’Assemblée nationale ?

Suite aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers, le renouvellement des instances de l’Assemblée pourrait potentiellement avoir des conséquences sur le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires. En ce qui concerne la proposition de loi annoncée par Mathilde Panot ce matin sur France Inter, « l’article 40 pourra être invoqué », selon Dominique Rousseau. Le constitutionnaliste souligne que le bureau de l’Assemblée nationale, à présent composé de 12 députés issus du Nouveau Front populaire, « pourrait considérer que la proposition de loi n’est pas contraire à l’article 40 de la Constitution et accepter que cette proposition de loi progresse ». C’est également ce que pense Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public : « sa composition jouera évidemment en faveur de la recevabilité. La présidente peut peser de tout son poids mais le texte est clair, le bureau se prononce, pas le président ».

Néanmoins, ce texte devra être mis à l’ordre du jour. Par ailleurs, une fois la procédure législative engagée, « vu la composition de la commission des finances dirigée par Éric Coquerel et Charles de Courson, ils donneront un avis favorable à la poursuite de la discussion », selon Anne-Charlène Bezzina. Elle ajoute que « la pratique souple d’Éric Coquerel pourrait faciliter la recevabilité », considérant qu’« en réalité, tout revient plus ou moins aux mains du président de la commission des finances pour appréciation, soit avant, soit au cours de la discussion ». Pour autant, cela ne veut pas dire que cette proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites serait votée. Pour Anne-Charlène Bezzina, plusieurs scénarios aboutiraient au rejet de cette proposition de loi : « La commission saisie au fond, sûrement celle des affaires sociales, dont le président est Paul Christophe, député Horizons du Nord, pourrait réussir à abroger l’article litigieux. Dans ce cas, la présidente aurait tout pouvoir pour déclarer irrecevables des amendements qui viseraient à rétablir le texte. C’est ce qu’il s’est passé pour la proposition de loi déposée l’année dernière par le groupe LIOT. » Aussi, le texte pourrait être rejeté durant la discussion parlementaire : « Ajoutons à cela la rigueur budgétaire du Sénat, sans financement la mesure n’aura pas de chance de passer sur le fond. Au final, on peut même imaginer une censure du Conseil constitutionnel, qui serait saisi, étant donné le risque pour les finances publiques qui pèserait sur la mesure d’abrogation ».

Les députés Rassemblement national voteront cette proposition de loi

Mathilde Panot a appelé « l’ensemble des députés qui, lors de la précédente législature, allaient voter contre [la réforme des retraites] » à voter leur proposition de loi. La présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale estime qu’« avec des députés de droite, des députés de LIOT, les 193 députés du Nouveau Front populaire, nous avons la majorité pour abroger la réforme des retraites ». Selon Éric Coquerel, cette proposition pourra « indéniablement » être adoptée. Ce matin, sur BFMTV, Laurent Jacobelli, député Rassemblement national de la Moselle, a annoncé que le Rassemblement national voterait cette proposition de loi : « C’était dans notre programme » a-t-il affirmé. Sur X/Twitter, Denis Masséglia, député Ensemble pour la République du Maine-et-Loire a déclaré : « abroger la réforme sans proposer de financement alternatif est irresponsable. Au final, soit les travailleurs paieront plus, soit les retraités toucheront moins ».

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