SNCF : les sénateurs dénoncent « l’indécence du gouvernement » dans la non-reconduction de Jean-Pierre Farandou

Quelques heures après l’annonce de son départ après les JO dans un communiqué du gouvernement, Jean-Pierre Farandou était auditionné par la commission de l’aménagement du territoire du Sénat. L’occasion pour les élus de saluer son bilan à la tête du gouvernement et de tirer à boulets rouges sur la méthode de l’exécutif.
Simon Barbarit

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Cette audition est annuelle devant la commission de l’aménagement du territoire du Sénat mais elle prend cette année une tournure particulière pour l’actuel P.-D.G. de la SNCF, puisque ce sera la dernière. Nommé en 2019 à la tête de l’entreprise publique, Jean-Pierre Farandou qui n’aurait atteint la limite d’âge qu’en juillet 2025, ne sera pas renouvelé au-delà de la période des Jeux olympiques, comme l’a confirmé un communiqué du gouvernement.
De quoi entraîner une certaine liberté de ton de la part de Jean-Pierre Farandou et une reconnaissance unanime des membres de la commission pour son action. Les premières questions ont porté, bien évidemment, sur la signature d’un accord sur les fins de carrière, entre la direction et quatre syndicats représentatifs. Un accord brocardé par le locataire de Bercy, Bruno Le Maire qui avait estimé qu’il n’était « pas satisfaisant à [ses] yeux » allant jusqu’à parler de « dysfonctionnement ». « Un accord est signé qui engage effectivement les équilibres de la réforme des retraites et les équilibres financiers de la SNCF. Je n’ai pas été averti », avait-il tancé, la semaine dernière sur BFMTV.

Le gouvernement au courant de l’accord sur les retraites

Devant les élus, le patron de la SNCF a longuement justifié le bien-fondé de cet accord (lire notre article), ne se privant pas au passage, de préciser que les négociations avaient été ouvertes à la demande de Matignon l’année dernière. Il souligne que l’État, des membres de la haute administration de Bercy étaient représentés au sein du conseil d’administration du groupe. « C’est Matignon qui conduisait la réforme des retraites et qui avait des contacts avec les partenaires sociaux et qui souhaitait ouvrir une perspective de sortie de crise en disant qu’il serait bienvenu que les entreprises ouvrent des négociations. C’est ce qu’on a fait […] ça tombait bien puisqu’on avait un vieil accord de 2008 qui ne tenait pas compte des trois réformes de retraites successives, Fillon, Touraine et la dernière », a-t-il rapporté.

« Abominable »

« Je trouve abominable que le gouvernement n’assume pas sa décision et trouve un fusible » a dénoncé le président de la commission, Jean-François Longeot qui vient de rejoindre Horizons. Il a également fustigé « un mépris du Parlement » de la part de l’exécutif, puisque les commissions compétentes des deux assemblées doivent se prononcer sur les nominations des dirigeants de la SNCF. « Je trouve ça déplorable. Cette action est hypocrite », a ajouté l’élu en saluant le bilan de Jean-Pierre Farandou.

En 2019, il avait été nommé avec pour mission principale de redresser les comptes de la SNCF et de faire appliquer la réforme ferroviaire de 2018 sur la fin des recrutements au statut. « Que de chemin parcouru […] La trajectoire financière est assainie », a-t-il affirmé. En 2019 le chiffre d’affaires du groupe était de 35 milliards d’euros, il est passé en 2023 à 42 milliards. Le résultat net de moins de 300 millions s’est élevé à +1,3 milliard en 2023.

« On ne peut pas transformer contre ses salariés une entreprise publique de 150 000 cheminots »

Son passage à la tête de l’entreprise a pourtant été marqué par plusieurs crises, à commencer par celle de la pandémie de covid-19, qui a mis les trains à l’arrêt pendant plusieurs mois. Son mandat n’a pourtant été perturbé par deux mouvements sociaux propres à la vie de l’entreprise la dernière en date en février, sans compter les grèves liées aux réformes des retraites en 2019 et 2023. « J’estime ce résultat honorable. Deux grèves, deux week-ends, en quatre ans et demi », a-t-il souligné.

Il a rappelé à ce titre son attachement au dialogue social. « On ne peut pas transformer contre ses salariés une entreprise publique de 150 000 cheminots à forte culture maison. Il faut donner du sens et embarquer les salariés dans un projet d’entreprise attractif ».

Des propos qui tranchent avec ceux du sénateur LR, Philippe Tabarot, qui fustigeait quelques minutes plus tôt « les arrangements catégoriels obtenus par des pratiques inavouables » avant de regretter que le gouvernement tourne le dos à une proposition de loi « qui s’attaque au véritable fond du problème : le chantage permanent et le détournement du droit de grève à la SNCF ».

« Il faut 1,5 milliard de plus par an pour rajeunir ce réseau »

En ce qui concerne les 100 milliards d’investissements annoncés par le gouvernement afin de doubler la part du train dans les déplacements de personnes et de marchandises d’ici 2030, deux tiers portent sur « des projets » comme de nouvelles lignes à grande vitesse, que « la SNCF n’est pas amenée à financer ». La SNCF Réseau sera, en revanche, sollicitée pour la remise en état du réseau ferroviaire, pour un coût de 30 milliards. Sur ce sujet, il a rappelé que le réseau français avait accumulé beaucoup de retard. Et les 3 milliards par an alloués à entretenir un réseau, vieux de trente ans en moyenne ne suffisent pas. « Il faut 1,5 milliard de plus par an pour rajeunir ce réseau », a-t-il annoncé. « Oui, il faut mettre de l’argent public dans le ferroviaire si l’on veut coller à l’objectif et que l’on ne veut pas de décalage entre le discours et les actes ».

JO : « On répète, chacun sait exactement ce qu’il va faire jour par jour »

Jean-François Longeot a relevé que le mandat de Jean-Pierre Farandou avait été habilement prolongé juste après les Jeux Olympiques, « comme ça, s’il arrive quelque chose, vous servirez encore de fusible », a-t-il noté. Pour ce dernier grand chantier, le PDG de la SNCF déclare « avoir confiance ». « On répète, chacun sait exactement ce qu’il va faire jour par jour, en fonction des épreuves, dans les gares, les dépôts, les ateliers. Les renforts sont là. Plus de 10 000 vacataires, des volontaires de la SNCF, des enfants de cheminots », a-t-il cité. Les principaux défis concerneront l’Ile-de-France. « Il y a énormément de sites. Pour la première fois, le Stade de France sera rempli et vidé deux fois dans la même journée. On ne l’a jamais fait », a-t-il déclaré.

Quelques minutes après son audition, un communiqué de la commission était publié pour dénoncer l’indécence du gouvernement, qui feint de découvrir le contenu (de l’accord), alors même que Jean-Pierre Farandou s’était exprimé à ce sujet dans la presse et que des administrateurs de l’État siègent au sein du conseil d’administration du groupe ».

Elle déplore « cette décision hypocrite et salue, de façon unanime et transpartisane, le bilan de Jean-Pierre Farandou au cours de ses cinq ans à la tête du groupe SNCF. Interlocuteur privilégié du Parlement, fin connaisseur des dossiers, président résolument engagé en faveur du développement du transport ferroviaire, infatigable du dialogue social ».

 

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