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Zéro artificialisation nette : les sénateurs proposent une loi sur mesure pour les collectivités locales
Par Public Sénat
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Être un phare dans la nuit pour les collectivités locales. C’est l’ambition portée par la proposition de loi (PPL) de la Mission conjointe de contrôle du Sénat relative à la mise en application du « Zéro artificialisation nette » (ZAN) déposée le 14 décembre 2022. Les 20 sénateurs membres de la mission, issus de tous les groupes politiques, veulent guider les collectivités vers cet objectif de sobriété foncière formulé par la loi « Climat et Résilience » adoptée en 2021. Concrètement, il s’agit de réduire de moitié, d’ici à 2031, la surface des sols bétonisés par apport à la décennie précédente, soit à 125 000 hectares. Le but étant de ne plus artificialiser un hectare d’espace naturel en 2050.
Cette demande de la Convention citoyenne pour le climat, reprise par Emmanuel Macron et votée dans cette loi, inquiète fortement les élus locaux sur ses modalités d’application puisqu’elle pose des questions de développement économique et d’aménagement du territoire. « Pour les maires et notamment ceux du monde rural, le sujet numéro un, c’est le droit à construire dans les années qui viennent. L’inquiétude s’est répandue », souligne Philippe Bas, questeur du Sénat (Les Républicains).
Manque de temps et de moyens
Et cette inquiétude n’est pas nouvelle. Estimant que les décrets d’applications du gouvernement contreviennent à l’esprit de la loi Climat, le Sénat avait demandé un moratoire sur le ZAN à l’été 2022. La mission conjointe de contrôle était créée dans la foulée, en septembre, et c’est elle, présidée par la sénatrice Valérie Létard (Union Centriste), qui a rédigé cette proposition de loi « pour réussir la transition écologique des territoires en donnant du temps et des moyens aux élus », explique son rapporteur Jean-Baptiste Blanc (Les Républicains).
Le texte des sénateurs vise à « corriger la loi ». Jean-Baptiste Blanc pointe deux éléments n’ont pas fonctionné. Premièrement, le non-accompagnement par le préfet des élus locaux pour leur fournir de l’ingénierie et des espaces de dialogues afin de faire des propositions dans le sens du zéro artificialisation nette aux régions qui sont chargées de fixer l’objectif pour son territoire. Deuxièmement, le délai de discussion de ces propositions entre les régions et les collectivités locales est jugé trop court puisqu’il a commencé le 22 octobre et se termine en février. Ils demandent donc que le ZAN puisse être inscrit dans les documents d’urbanismes en 2024 et pas en 2023 comme la loi le prévoit.
Une gouvernance plus locale
C’est la logique même de l’application de la loi Climat sur le ZAN qui est contestée par les parlementaires du Palais du Luxembourg : « On souhaite une territorialisation de l’objectif en opposition avec la démarche centralisatrice de l’État qui s’appuie sur les régions et leurs schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) devenus contraignants », détaille Jean-Baptiste Blanc. La première ministre, Élisabeth Borne, avait ouvert la voie à une territorialisation du ZAN lors du congrès des maires de France. Les sénateurs veulent donc ouvrir le débat avec le gouvernement avec ce document législatif : « Le cadre du ZAN doit évoluer. Nous ne voulons pas de la fin de la loi Climat, il faut seulement sortir les collectivités du flou général », assure Valérie Létard.
Parmi les 25 mesures du texte présenté par les sénateurs, l’une d’entre elles s’attaque au cadre dans lequel s’exerce la territorialisation des objectifs. « Les collectivités et leurs représentants demandent un dialogue et un suivi renforcé au niveau de la région », relaie Valérie Létard. Les objectifs du ZAN sont fixés dans les SRADDET et sont déclinés dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT), deux documents de planification de l’aménagement du territoire. Le premier est régional quand le second dépend des intercommunalités.
Afin d’améliorer la représentation et des élus des communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans le dialogue sur l’aménagement du territoire, les sénateurs veulent créer une « conférence régionale du ZAN » en remplacement de la « conférence des SCOT ». Cette instance se réunirait au moins une fois par an et se chargerait du suivi des trajectoires du ZAN. Elle émettrait aussi des avis simples sur les modifications du SRADDET régional et se positionnerait sur les projets d’intérêts régionaux et nationaux. « Nous voulons redonner les outils aux territoires sans que ce soit une démarche descendante », résume le sénateur socialiste Christian Redon-Sarrazy.
Ne pas défavoriser les communes rurales
Le fil rouge de l’action des sénateurs, nourris par 38 auditions et une consultation en ligne des élus locaux par la mission de contrôle, revient à prendre en compte la particularité de chaque commune. Certains élus de petites communes s’inquiétaient de savoir comment ils pourraient continuer à se développer. « C’est la double peine pour ceux qui ont peu construit, parce que la moitié de peu, ça fait encore rien », explique Christian Redon-Sarrazy. Pour remédier à cet impensé de la loi Climat, la proposition de loi souhaite instaurer un « droit universel d’un hectare », « un filet de sécurité », d’après les mots du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, afin de laisser la possibilité aux communes de construire.
Au-delà de ce droit à la construction, la proposition de loi permettrait aux maires de suspendre des permis de construire pour des projets qui porteraient atteinte à leur objectif ZAN, d’ici à 2031. A l’inverse, ils seraient autorisés de préempter des terrains victimes de spéculation foncière par des acteurs privés si ces derniers peuvent les aider à naturaliser leurs villes. Autre mesure : la prise en compte des « efforts » de renaturation depuis l’adoption de la loi en 2021 alors que dans l’état actuel du droit, ils ne figureraient pas au bilan des collectivités.
« Nous voulons consacrer un droit au projet et donc une enveloppe réservée au développement territorial », affirme Valérie Létard. L’exemple le plus concret est celui d’une gendarmerie, d’une centrale de bus dans une commune. Les sénateurs craignent un frein au développement d’infrastructures et à l’accès aux services publics si un projet comme celui-là ne rentre pas dans l’enveloppe d’hectares constructibles de la commune. C’est pour cela qu’ils veulent la création d’une enveloppe supplémentaire au niveau intercommunal pour pouvoir piocher dedans et réaliser la construction.
Responsabilité de l’Etat
Avec la même philosophie, les sénateurs estiment que l’État doit « s’appliquer à lui-même ce qu’il demande aux élus locaux », martèle Jean-Baptiste Blanc. En conséquence, il doit sortir des enveloppes régionales, les projets d’envergures nationales et européennes. « J’ai une prison qui doit être construite dans mon département et ça va être décompté de l’enveloppe de la commune », pointe le rapporteur LR. « Le canal Seine Nord dans ma région des Hauts-de-France fait 2 400 hectares, le grand port autonome de Dunkerque 1 400 hectares, image Valérie Létard. Si vous ne sortez pas les grands projets d’intérêts nationaux, un cinquième de l’artificialisation totale des sols autorisés jusqu’en 2030 serait consommé par ces projets, souvent conduits par l’Etat, qui n’est pas soumis au ZAN. »
Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s’était dit favorable à ce que les grands projets figurent dans un décompte national. Mais la question de la définition de ces projets reste en suspens. Qui doit décider qu’un projet est d’envergure nationale ? Pour les sénateurs, ce doit être les élus locaux. Dans leur proposition de loi, cette décision revient à la région après l’avis de la « Conférence régionale du ZAN ». Un autre point de discorde avec le gouvernement était la définition de la nomenclature. L’Association des maires de France (AMF) avait contesté deux des trois décrets d’application au mois de juin. Que peut-on considérer comme un projet qui artificialise les sols ? Tentative de réponse des sénateurs dans leur texte avec la comptabilisation des parcs et des jardins comme des surfaces non artificialisées.
Dialogue avec le gouvernement
Sur le plan politique, les sénateurs insistent sur leur travail collégial. Des groupes politiques de tous bords participent à cette mission de contrôle. Le groupe Socialiste Écologiste Républicain (SER), groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), Les Républicains (LR) et Union Centriste (UC) étaient représentés lors de la présentation du texte. La proposition de loi sera débattue et votée au Sénat la dernière semaine du mois de février 2023.
« Ensuite, on compte sur l’Assemblée nationale et le gouvernement pour se saisir du texte. Il y a urgence à traiter cette question », appuie Valérie Létard. Pendant la présentation de cette proposition de loi, le ministre Christophe Béchu répondait dans l’hémicycle sénatorial aux questions au gouvernement. Il a déclaré attendre « la fumée blanche » du Sénat pour « amender le dispositif dans un esprit d’ouverture que le gouvernement a indiqué depuis le mois d’août quand il a suspendu les décrets. » « On est les premiers à tirer avec des propositions fortes : c’est le début de la discussion », se réjouit Jean-Baptiste Blanc. La fiscalité est l’autre question épineuse liée au « zéro artificialisation nette ». « Ce sera dans la saison 2 au premier trimestre 2023 », avance le rapporteur. La suite au prochain épisode.