Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
WhatsApp et webinaires à la rescousse du Sénat : le travail parlementaire à l’heure du confinement
Par Public Sénat
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Les préjugés ont la vie dure. Certains pourraient penser que la technologie s’est arrêtée aux portes du palais du Luxembourg. Évidemment, il n’en est rien et le numérique vole au secours des sénateurs, réduits au télétravail depuis leur domicile, comme pour tous les métiers ou fonctions qui le permettent. Le travail parlementaire survit, tant bien que mal, grâce aux outils numériques.
De nombreuses commissions permanentes se sont ainsi organisées ces derniers jours avec des groupes sur la messagerie WhatsApp : Affaires économiques, Affaires sociales, Culture et Éducation ou encore Aménagement du territoire… Ou via des webminaires. « Vive la technique. Cela permet d’assurer la continuité du travail », résume Céline Boulay-Espéronnier, sénatrice de Paris rattachée au groupe LR. L’objectif est d’y aborder, pour une large partie, l’épidémie et de ce que celle-ci implique, mais aussi de ne pas oublier certains dossiers au long cours, comme des rapports ou les missions d’information en cours (leur existence est limitée à six mois, rappelons-le).
« Nous tenons absolument à ce que le Parlement joue son rôle, tel qu’il le jouait avant »
Une fois les mesures d’urgences votées, la suspension de tous les projets de loi, qui étaient censés occuper l’agenda du printemps, libère du temps. « Je suis venue avec des dossiers que je n’aurais pas pu traiter en temps normal. Cela va nous permettre de faire un travail de fond encore plus important », témoigne Nathalie Goulet, sénatrice UDI confinée à son domicile dans l’Orne.
Le travail de contrôle en commission n’est pas en pause. Des auditions, à distance, de ministres sont également prévues (lire notre article), avec un nombre limité de sénateurs. « Nous tenons absolument à ce que le Parlement joue son rôle, tel qu’il le jouait avant cette situation exceptionnelle », explique le sénateur RDSE Henri Cabanel, quelques heures après une réunion par visioconférence de la commission des Affaires économiques. « On était heureux de s’entendre. »
« On est en mode dégradé » : l’inflation des notifications
Certains vivent plus ou moins bien le travail dématérialisé et la barrière de l’écran. Beaucoup jugent qu’en l’absence de réunions physiques, le traitement des dossiers et les échanges ont perdu en fluidité. « On est en mode dégradé, il faut dire les choses. Une réunion, ce n’est pas remplaçable, c’est extrêmement précieux. C’est un espace clos dans le temps », considère le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. « Les boucles s’enchaînent », constate-t-il, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas d’autre solution : une présence physique soumettrait les agents du Sénat et les collègues « à des risques ».
D’autres soulignent l’inflation des boucles. « Parfois quand on envoie un message, c’est 30-40 derrière. Il faut éviter de se retrouver avec 40 000 boucles WhatsApp, c’est un piège dans lequel on pourrait tomber », raconte une sénatrice de la majorité sénatoriale.
L’activité des commissions n’est pas la seule à être maintenue : pas d’arrêt non plus pour les autres organes parlementaires. Vendredi 27 mars, les membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), commun aux deux assemblées, se sont retrouvés dans une visioconférence afin d’étudier une note. Idem pour la délégation sénatoriale aux Droits des femmes, très active sur WhatsApp au moment où les chiffres des violences conjugales explosent dramatiquement avec le confinement (lire notre article).
Quant à la vie des groupes parlementaires, la boucle WhatsApp s’est, là aussi, imposée comme une manière de maintenir la cohésion et le lien d’information à l’intérieur de chaque famille politique. Le potentiel de notifications diffère suivant l’importance numérique du groupe. La situation n’est pas la même entre les groupes restreints comme le groupe communiste (16 sénateurs) ou RDSE (23 sénateurs) et les plus grands groupes de la Haute assemblée. « Il y a beaucoup de posts, ce n’est pas l’outil le plus efficace pour réguler les positions et des autres », observe le sénateur Vincent Eblé, membre du groupe socialiste, qui compte 71 membres. Autre limite de l’exercice : les collaborateurs n’en sont pas membres, contrairement à réunions en chair et en os. D’où une crainte de déperdition des informations.
La réunion de groupe du mardi matin, une permanence qui survit au confinement
Le groupe PS pourrait se lancer prochainement dans des audio ou vidéoconférences. Chez les Républicains, le groupe majoritaire, ce type d’outil est déjà utilisé et a déjà fait preuve de son efficacité. Le 18 mars, les sénateurs LR étaient connectés simultanément pour discuter des projets de loi d’urgence, avec l’apparition à l’écran de Gérard Larcher, le président du Sénat, Bruno Retailleau, le président du groupe, ou encore Philippe Bas, président de la commission des Lois et rapporteur de l’un des textes. Le rendez-vous numérique a été reproduit le 24 mars, avec l’idée de reconduire le rituel immuable de la réunion hebdomadaire de groupe du mardi matin à 11 heures. « Même à plus d’une centaine en téléconférence, ça se passe plutôt pas mal. On n’entend pas tout le monde parler en même temps », relate Alain Joyandet, le sénateur LR de la Haute-Saône.
Comme dans le « monde d’avant », ces instants sont l’occasion d’aborder les points d’actualité et de partager les expériences. « Ces visioconférences permettent de continuer le travail, c’est la continuité des institutions. Cela permet aussi d’anticiper la sortie de crise. Et aussi de rompre l’isolement entre les sénateurs », considère Céline Boulay-Espérionnier. Au groupe communiste, les préoccupations, sur la situation inédite que vit le pays, sont aussi permanentes. « On a une extrême vigilance sur deux points : le besoin de respecter l’État de droit, et la situation des salariés », résume Pierre Ouzoulias.
Dans ces séances cathartiques, les uns et les autres font remonter les inquiétudes et l’état sanitaire de leurs différents départements confrontés à la pandémie. L’idée est souvent de centraliser et de compiler, au niveau du groupe, les différentes informations qui arrivent. Des chiffres notamment.
Des visioconférences plus fois par semaine avec les préfets
La matière première ne manque pas. Il va sans dire que l’image du sénateur arpentant chaque canton de son département est mise en sommeil temporairement. Mais grâce aux audioconférences, les parlementaires restent en prise avec leurs circonscriptions. « J’ai trois réunions par semaine avec les collègues de mon département. Des points réguliers avec le préfet », relate Nathalie Goulet. Loin d’être un cas isolé. Des points de situation se mettent en place également avec des professionnels de santé, des inspecteurs d’académie, des entreprises ou encore les chambres d’agriculture. Régulièrement, les sénateurs sont régulièrement interpellés, par tout type de canal, par leurs électeurs directs : les maires. « Il y a de nombreuses sollicitations. Ils se posent beaucoup de questions », raconte Henri Cabanel.
Les rustines numériques ne couvrent cependant tout le champ des fonctions parlementaires. Le travail à distance s’est révélé peu propice pour l’écriture de la loi. L’hémicycle et les commissions ont dû débattre dans l’enceinte du Sénat, en effectifs réduits, des textes urgents du 19 au 22 mars. Idem pour l’une des séances de contrôle du gouvernement les plus suivies par les Français : les questions au gouvernement (QAG). Elles ont été maintenues mais allégées dans leur dispositif.