La fin, d’un mélodrame diplomatique ? Le Premier ministre, Anthony Albanese est en visite officielle à Paris. Le dirigeant australien a rencontré ce 1er juillet, Emmanuel Macron pour tenter de relancer une relation bilatérale franco-australienne mal en point, au plus bas depuis la résiliation le 15 septembre 2021, du « contrat du siècle » prévoyant la livraison de douze sous-marins par l’industriel français Naval Group. « Un coup de poignard » selon les mots des officiels français à l’époque, puisque l’Australie avait préféré privilégier un partenariat avec ses alliés historiques, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis pour se doter de sous-marins à propulsion nucléaire pour sa marine dans le cadre de l’accord Aukus.
Pour Romain Fathi, Senior Lecturer à l’université de Flinders en Australie et chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po Paris, il faudra du temps et de l’engagement, pour rebâtir une relation de confiance entre les deux pays. Toutefois, cette visite constitue une première étape « importante » après des mois de crise diplomatique. Entretien.
Est-ce que cette visite du Premier ministre australien à Paris, est l’occasion de clôturer définitivement la « crise des sous-marins » entre Canberra et Paris ?
Pas vraiment, cette visite du Premier ministre travailliste, Anthony Albanese est un premier pas important mais ne va pas définitivement tourner la page de cet épisode. Il existe deux volets à considérer dans cette crise, l’un est contractuel : Canberra s’est engagée à verser des indemnités [555 millions d’euros de dédommagement ; ndlr] à Naval Group pour la rupture du « contrat du siècle. » Le second volet est d’ordre diplomatique et géostratégique, le mal qui a été fait dans la relation bilatérale est considérable. L’affront est important, il ne s’agissait pas simplement de sous-marins ; mais d‘un partenariat clé qui aurait dû sceller une entente étroite et durable entre les deux pays qui a été jeté à la poubelle et le Quai d’Orsay a la mémoire longue. Paris proposait une troisième voie dans la région indo-pacifique, en dehors de la rivalité sino-américaine, sans pour autant antagoniser la Chine. Ce plan proposait un espace pacifié, en discutant avec tous les pays et partenaires de la région.
Il faudra du temps pour réparer les pots cassés. Il y a une volonté de la part du gouvernement travailliste, de faire tout son possible pour appliquer la pommade mais dans la réalité, il est difficile pour Canberra de s’éloigner de Londres et Washington. La question à se poser est de savoir jusqu’où va aller cette réouverture des canaux diplomatiques entre Paris et Canberra ?
Quel est le regard porté par les Australiens et les médias locaux sur cette visite ? Cette « crise des sous-marins » a-t-elle été l’un des enjeux de la campagne des élections fédérales ?
Le prédécesseur d’Anthony Albanese, le conservateur Scott Morrison a isolé diplomatiquement l’Australie, réduit le budget du ministère des Affaires étrangères et entériné le retour de Canberra dans le giron de Londres et de Washington. C’est davantage l’orientation de la politique étrangère australienne du gouvernement et la doctrine diplomatique qui ont été fortement critiquées par l’opposition, un projet jugé hasardeux par la presse et les adversaires de Scott Morrison. Aujourd’hui, les travaillistes veulent diversifier les contacts avec leurs partenaires, renouer des liens avec des pays voisins négligés ces dernières années, notamment la France mais également des pays de la région Asie-Pacifique comme l’Indonésie. Il y a un important travail à accomplir. On assiste à un réengagement de l’Australie en faveur du multilatéralisme.
La crise des sous-marins n’a pas été un élément important ou décisif de la campagne. Les thèmes majeurs concernaient la situation sanitaire et la montée de l’inflation. Les Australiens ne connaissent pas la force de projection française dans la zone Indo-pacifique alors que c’est un pays voisin avec la Nouvelle Calédonie. De plus, l’Australie a les yeux tournés vers Washington. Il faut rappeler ce facteur historique et culturel. Pendant la Seconde guerre, un million à deux millions de soldats américains ont stationné en Australie. Les Etats Unis ont pour les Australiens, sauvé leur pays face à la menace d’une invasion japonaise.
Si en France, la souveraineté est la valeur clé de la politique étrangère. En Australie, c’est la sécurité. Depuis la fondation de l’Australie, chaque génération est confrontée à une menace ou à une peur qu’elle soit avérée ou non. C’est un facteur historique et culturel inscrit dans l’imaginaire collectif depuis la colonisation. Les Australiens ont craint une invasion française, russe, japonaise et maintenant chinoise. Canberra cherche une protection et n’hésite pas à se tourner vers « le grand frère » américain. Toutefois, la présidence de Donald Trump a fait réaliser aux Australiens que la stabilité américaine n’est pas totalement garantie.
La France est-elle prête à renouer une relation de confiance avec l’Australie ? Emmanuel Macron a-t-il la volonté d’entreprendre ces efforts diplomatiques ?
Je pense que oui, le Président de la république, Emmanuel Macron, a répété à plusieurs reprises qu’il attendait des signes de l’Australie. Le gouvernement est en train de lui les donner. Je ne vois pas ce que le Premier ministre pourrait faire de mieux. Anthony Albanese a acté de l’indemnisation de Naval Group. Il se rend à Paris. L’Australie, c’est loin, pendant son absence, il doit déléguer une partie de ses fonctions et la gestion des affaires courantes.
On assiste à une reprise tiède et progressive des relations. Est-ce que cette relation bilatérale est vouée à s’améliorer ? Paris sait que le gouvernement australien change en moyenne tous les trois et demi.