« La protection des mineurs n’a rien gagné ce soir », conclut amère la présidente de la délégation des Droits des femmes, Annick Billon (centriste), à l’issue du vote de l’article 2. L’examen du texte de Marlène Schiappa renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles s’est sensiblement crispé autour de cet article qui concerne les infractions sexuelles sur mineurs. Dans la nuit de mercredi à jeudi, les sénateurs ont rejeté les amendements du gouvernement qui contenait l’essentiel de l’article et ce malgré le geste d’apaisement de Marlène Schiappa en début de séance.
Soucieuse de calmer les esprits après plusieurs reculs dans la rédaction de son projet de loi, la secrétaire d'Etat a effectivement renoncé à introduire « l’augmentation des peines encourues pour atteinte sexuelle avec pénétration » à l’article 2. Selon les associations, cette disposition aurait pu encourager les juges à requalifier le viol en atteinte sexuelle, soit de transformer un crime en délit, dans certains cas. « Le viol est un crime et ne doit pas être jugé à la sauvette comme un délit », s'est félicitée la ministre de la Justice, Nicole Belloubet (Lire notre article).
Violences sexuelles sur mineurs : trois propositions irréconciliables
Durant plus de trois heures de débat, trois visions du renforcement des sanctions concernant les violences sexuelles sur mineurs se sont confrontées : celle de la commission des Lois, celle de la délégation des Droits des femmes et celle du gouvernement. (Lire notre article).
L'amendement du gouvernement instaurant un « abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes » pour les mineurs de 15 ans a été rejeté par les sénateurs. Pour le président de la commission des Lois, cette solution présentait deux défauts majeurs : d’une part « l’introduction d’un seuil d’âge » qui « ne permet pas de protéger tous les enfants et d’autre part c’est une simple disposition interprétative sans portée juridique ».
Adopté en commission des Lois au Sénat, l’article défendu par Philippe Bas vise à instaurer une présomption de contrainte pour tous les mineurs. Un outil qui permettrait d’inverser « la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d'âge significative entre l'auteur et la victime mineure ».
Pour la délégation des Droits des femmes, ces deux propositions ne vont pas assez loin. Elle souhaitait l’introduction d’un « crime de violence sexuelle sur enfant » pour que « tout acte de pénétration sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure de treize ans soit un crime de violence sexuelle sur enfant, puni des peines de 20 ans de réclusion criminelle ». Les amendements en ce sens ont occupé une grande partie des discussions avant d’être rejetés par les sénateurs.
« Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable »
« Vous pensez qu’en écrivant treize ans vous allez sanctuariser or, vraiment, vous vous trompez car vous allez de facto affaiblir les (mineurs de) 13-15 », s’est opposée Marie Mercier, rapporteur de la commission des Lois sur ce texte. Pour la sénatrice centriste, l’amendement porté par la délégation ne pouvait de tout de façon pas ouvrir les portes du Conseil d’État comme ça a été le cas de la première mouture du texte de Marlène Schiappa.
« Il faut quand même rappeler que ce n’est pas n’importe quoi une Constitution (…) Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », a renchéri le président de la commission des Lois, Philippe Bas. Une posture de sachant que la sénatrice Laurence Rossignol a vivement critiqué.
Violences sexuelles : Laurence Rossignol défend ses amendements
L’argument de l’inconstitutionnalité d’une telle mesure a été remis en cause par les membres de la délégation des Droits des femmes. « Il faut dire clairement qu’aucun enfant ne peut donner son consentement éclairé à un acte sexuel », fulmine encore la sénatrice socialiste, Marie-Noëlle Lienemann qui ne comprend pas comment « la Constitution française ne garantit pas ça » alors même qu’une révision constitutionnelle est en préparation. Plusieurs associations ont d’ailleurs joint leur voix à celle de la délégation des Droits des femmes pour obtenir une forme de présomption de non-consentement. Mais cette mobilisation ne s’est pas retrouvée au sein de l’hémicycle.
Les débats reprendront jeudi 6 juillet. Après l’adoption de l’article 1 qui porte de 20 à 30 ans la prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs et le vote de l’article 2, il sera question de l’introduction d’un délit d’outrage sexiste et de la lutte contre le cyber harcèlement.