Violences à Dijon : l’organisation du renseignement territorial en question

Violences à Dijon : l’organisation du renseignement territorial en question

Prises au dépourvu par les affrontements à Dijon, les forces de l’ordre ont-elles manqué d’informations ? Les violences dans la ville bourguignonne relancent le débat sur les failles des services de renseignement intérieurs.
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Le calme est revenu à Dijon mais plusieurs d’élus locaux se demandent pourquoi ces violences, qui ont éclaté durant quatre nuits, n’ont pas pu être anticipées. Dans le quartier sensible des Grésilles, des membres de la communauté tchétchène ont cherché à venger l’un des leurs, agressé par des jeunes, sur fond de trafic de drogues. Le maire (PS) de la ville, François Rebsamen y voit un raté des services de renseignement. « Le renseignement territorial est censé informer les autorités sur ce qui peut advenir. Or, ces Tchétchènes sont passés à travers les filets. Ils ont déboulé dans la ville et, pendant trois jours, ils ont cherché ces Français qui avaient tabassé ce jeune Tchétchène », déclare-t-il ainsi au Figaro.

Le constat a également été partagé par Christophe Castaner, ce 17 juin, aux questions au gouvernement du Sénat. « Il n’y a pas eu d’anticipation en matière de renseignements », a considéré le ministre de l'Intérieur (voir notre article).

C’est la principale raison qui explique, selon François Rebsamen, pourquoi les forces de l’ordre n’étaient pas préparées et suffisamment nombreuses pour stopper ces affrontements. Ce n’est pas la première fois qu’une accusation est portée aux services de renseignement lorsqu’un évènement échappe aux forces de l’ordre. Les débordements dans de nombreuses manifestations depuis quatre ans, occasionnés par la présence d’individus prêts à en découdre, ont régulièrement braqué les projecteurs sur la responsabilité du renseignement territorial.

Les effets de la réforme de 2008 se font encore sentir

Michel Boutant, l’un des quatre sénateurs membres de la délégation parlementaire au renseignement (elle seule pouvant en assurer le contrôle), estime, lui aussi, que les services ont mal détecté de qui allait se produire à Dijon. La réorganisation administrative du renseignement territorial, entreprise au début des années 2010, n’est pas étrangère à ces défaillances constatées à Dijon, mais aussi dans d’autres villes. Rationalisées, la Direction centrale des Renseignements généraux (RG) avait fusionné avec la direction de la surveillance du territoire (DST), pour former la direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI), remodelée en 2014. « Je crois qu’il y a un vieux malaise, qui perdure encore, qui remonte à la loi de 2008 sur la réforme du système de renseignement et qui a vu la disparition des renseignements généraux qui sont devenus le renseignement territorial, mais privé d’une partie de leurs prérogatives », explique le sénateur socialiste.

La perte d’un maillage fin du territoire est quelque chose qui est régulièrement mis en avant dans les bilans de ces réformes. Auditionné au Sénat en 2018 par la commission d’enquête sur le malaise des forces de sécurité intérieure, l’ancien ministre Bernard Cazeneuve a lui aussi convenu que la disparition des RG avait été « très préjudiciable pour ce qui concerne la détection de signaux faibles ». L’ex-locataire de la place Beauvau a notamment regretté la « perte de capteurs sur le plan territorial ».

Plus récemment encore, en décembre 2019, Bernard Rougier, professeur à l'université Sorbonne-Nouvelle, spécialiste d’islam radical, tenait le même genre de discours. « La destruction des Renseignements généraux a considérablement nui à la connaissance des tissus sur le territoire. La reconstruction est lente et pas encore accomplie », expliquait-il devant la commission d’enquête sur la radicalisation.

La lutte antiterroriste a absorbé la plus grande partie des moyens à partir de 2015

La réorganisation des services n’est pas le seul élément à avoir nui à leur efficacité. La question des effectifs a longtemps alerté les parlementaires, même si les effectifs ont été réajustés à la hausse sous le précédent quinquennat, après un recul marqué entre 2008 et 2013. À la veille des attentats de 2015, « les effectifs du renseignement territorial représentaient moins de 60 % de ceux des anciens renseignements généraux », soulignait la sénatrice écologiste Leila Aïchi, à l’occasion d’un débat en séance publique, en 2016, sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. De 2013 à 2016, la délégation parlementaire au renseignement avait observé que le nombre d’agents relevant de la « communauté du renseignement », avait progressé de 10,5% (le nombre étant confidentiel). Mais 80 % des nouveaux moyens ont été mobilisés pour la lutte antiterroriste.

Autre faille, régulièrement mise en lumière dans les rapports parlementaires : le manque de coordinations dans les services. Philippe Dominati, sénateur de Paris rattaché au groupe LR, avait regretté à plusieurs reprises l’empilement des services. En 2016, la délégation parlementaire s’était toutefois montrée « dubitative » sur l’opportunité de réorganiser à nouveau les services, trois seulement après la loi de 2013. « Trop de réformes successives nuisent à l'efficacité des services et à leur coordination, même s'il s'agit de mettre en place une ligne hiérarchique plus fort », mettait-elle en garde, ne recommandant pas la fusion du Service central du renseignement territorial (qui relève de la Direction générale de la Police nationale) et la Sous direction de l'anticipation opérationnelle de la Gendarmerie nationale.

Ces deux branches du renseignement territorial occupent le « premier niveau », le « haut du spectre » étant géré par l’apanage de la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure). À l’occasion de la loi de finances de 2016, Philippe Dominati avait recommandé de « donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial », qui reste, selon lui, « le parent pauvre du renseignement intérieur ».

« Les RG avaient une marque de fabrique : le renseignement humain. Sans doute y a-t-il des insuffisances de ce côté-là »

Au-delà des effectifs, Michel Boutant pointe aujourd’hui certains choix stratégiques qui ont contribué à affaiblir certains capteurs. « Le renseignement humain est moins développé qu’à l’époque. On a beaucoup mis l’accent sur le renseignement technique et c’est le cas dans tous les services de renseignement d’ailleurs. Les RG avaient vraiment une marque de fabrique qui était le renseignement humain. Sans doute y a-t-il des insuffisances de ce côté-là », nous détaille-t-il.

Et de la même manière que les nouveaux effectifs ont été fléchés en priorité vers l’antiterrorisme, les demandes techniques ont suivi la même tendance. Selon la Commission nationale de contrôle technique du renseignement (CNCTR), dans son rapport de 2019, la prévention du terrorisme continue de concentrer l’essentiel des demandes, suivie par la prévention de la criminalité organisée. « La prévention des violences collectives a pris, depuis la fin de l’année 2018, une part plus importante qu’auparavant, l’invocation de cette finalité continuant cependant à faire l’objet d’une vigilance particulière », souligne la CNCTR.

Sur notre antenne, ce 17 juin, le président (LR) de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Christian Cambon, n’a pas fait le lien entre les évènements de Dijon et la situation du renseignement intérieur, mais assure qu’il faudra en tirer tous les enseignements. « Nous avons bien l’intention de comprendre. Comment se fait-il qu’une communauté aussi belliqueuse, aussi armée, aussi violente, peut se trouver sur le territoire et se livrer à de telles exactions ? » a expliqué ce membre de la délégation parlementaire au renseignement.

Dijon : « Nous avons bien l’intention de comprendre », réagit Christian Cambon
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