Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Une résolution sénatoriale entend garantir aux salariés le versement des salaires en cas de faillite d’entreprise
Par Jules Fresard
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C’est un des paradoxes engendrés par la crise sanitaire. Selon les chiffres fournis par la Banque de France, entre 2019 et 2020, le pays a connu une baisse de 30 % dans les faillites d’entreprises. La raison est évidente. Les nombreuses aides mises à disposition par l’État, que ce soit les prêts garantis, l’exonération des charges ou le chômage partiel, ont permis de garder à flot une grande partie des firmes françaises, incluant certaines dont le modèle économique n’était plus viable.
Mais cette parenthèse n’est pas appelée à se poursuivre. Ainsi, selon l’assureur Euler Hermès, le nombre de faillites pourrait atteindre 50 000 en 2021, soit autant qu’en 2019, et 60 000 en 2022. À terme, 200 000 emplois seraient menacés uniquement cette année, si l’on en croit les chiffres de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
Une directive européenne qui fragiliserait les salariés
Autant dire que la directive européenne du 20 juin 2019, sur « la restructuration et l’insolvabilité », qui doit être transposée dans le droit national avant la fin du mois de mai, intervient à un moment inopportun. Cette dernière vise à rendre plus efficaces les procédures de restructuration d’entreprises, mais aussi d’insolvabilité et de remise de dette. Le document, publié sur le site législatif de l’Union Européenne, est d’ailleurs clair sur un point, « les entreprises non viables, n’ayant aucune perspective de survie, devraient être liquidées le plus rapidement possible ». Et dans le cadre de son application hexagonale, une mesure est spécifiquement controversée.
Jusqu’à maintenant, dans le cas d’une procédure en liquidation judiciaire, c’est l’Association pour la Gestion du Régime de Garantie des Créances des Salariés (AGS), qui se charge de verser leur salaire aux employés quand l’entreprise fait défaut, en mettant à disposition des fonds aux mandataires. À ce titre, l’AGS a déboursé en 2019 près de 1,5 milliard d’euros.
L’organisme se finance d’abord à majorité par une cotisation patronale obligatoire payée par toutes les entreprises. Et pour 25 %, l’AGS récupère ses avances sur les fonds de l’entreprise une fois qu’elle va mieux, ou en cas de faillite, sur la vente de ses actifs. Car l’organisme possède ce que l’on appelle un « super-privilège » dans l’ordre des créanciers, lui permettant de récupérer d’importantes sommes. Ainsi, dans la hiérarchie des organismes à même de récupérer des fonds sur les entreprises, l’AGS arrive juste derrière l’État, et devant les banques, assurances, experts, avocats, mandatés par les tribunaux.
Mais avec la transposition de la directive européenne, ce « super-privilège » est appelé à être fortement réduit, mettant à mal les finances de l’AGS, et in fine, le versement des salaires aux employés. Selon les organisations syndicales, le texte du ministère de la Justice prévoirait ainsi que les mandataires comme les banques, assurances, experts ou avocats auraient dorénavant priorité dans l’ordre des mandataires, relayant en queue de peloton l’AGS.
À la clef, l’organisme, qui touchait jusqu’à maintenant 55 % des sommes disponibles dans le cas d’une liquidation judiciaire grâce à sa situation de « super-privilégié », verrait sa part baisser à 11 % avec la réforme, selon une note du cabinet Rexecode, consultée par l’Obs. Une situation encore plus dommageable dans le contexte actuel. La hausse des faillites annoncée entraînerait dans le budget de l’organisme un déficit de 500 millions d’euros rien que cette année, engendrant le risque de voir des salariés privés de leur salaire.
Conscient des craintes engendrées par cette réforme, le gouvernement a demandé en mars à René Ricol, ancien commissaire à l’investissement, de réaliser un rapport sur le sujet. Remis à Matignon le 21 avril, le document confirme d’abord les peurs des syndicats, en indiquant qu’avec l’actuel projet, le rang de l’AGS dans le cas des procédures en liquidation judiciaire serait bien relayé derrière celui des mandataires judiciaires, comme cela avait été dénoncé.
René Ricol demande également au gouvernement de « reprendre l’état actuel du droit », et donc de conserver le statut de super-privilégié de l’AGS, afin de garantir le versement des salaires aux employés d’une entreprise en liquidation judiciaire.
Une proposition de résolution pour pérenniser le statut de l’AGS
S’inscrivant dans la même lignée que les conclusions du rapport, Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat, a déposé le 19 mars une proposition de résolution au Palais du Luxembourg, qui « invite le gouvernement à réaffirmer le caractère fondamental et inamovible du surprivilège de l’AGS ».
Reprenant les craintes formulées par les organisations syndicales et patronales, la résolution s’inquiète dans l’exposé de ses motifs de la « menace de rétrograder ce surprivilège du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers » avec le risque de voir, à terme, « à ce que le personnel des entreprises en faillite, ou au bord de la faillite, ne puisse plus être payé ».
La proposition entend même aller plus loin, en proposant d’élargir le rôle de l’AGS. L’organisme pourrait ainsi être appelé à prendre part dans le reclassement des salariés dont l’emploi est menacé, avec l’ « élargissement du champ d’intervention de l’AGS à des mesures de reclassement des salariés » ainsi qu’à ouvrir « l’ouverture d’une protection spécifique de garantie des salaires des indépendants durement éprouvés par la crise ».
La proposition de résolution, qui vise à faire prendre au Sénat une position politique sur un sujet donné, sera discutée mardi 4 mai en séance publique. Le gouvernement, dans un communiqué de presse, a lui annoncé qu’il « finalisera l’avant-projet d’ordonnance en vue de sa promulgation d’ici l’été sur la base des recommandations du rapport et engagera des travaux sur les pistes de réforme proposées à plus moyen terme ».