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« Une communication trompeuse » : le budget de la lutte contre les violences conjugales étrillé au Sénat
Par Public Sénat
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Un « tour de passe-passe » budgétaire, « loin du milliard d’euros annoncé ». Dès la fin 2019, à l’occasion du projet de loi de finances pour 2020, la commission des Finances du Sénat avait dénoncé le chiffre en trompe-l’œil des moyens budgétaires accordés pour la politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Le gouvernement avait communiqué avec grand bruit sur le milliard d’euros mobilisé (1,12 précisément). De leur côté, les sénateurs avaient tempéré ce montant, en précisant que l’augmentation s’expliquait en grande partie par le triplement des fonds alloués aux programmes diplomatiques et de développement à l’étranger, soit 834,5 millions d’euros. L’essentiel était d’ailleurs des autorisations d’engagement – la limite des dépenses qui peuvent être engagées et échelonnées sur plusieurs années – et non des crédits de paiements – ce qui peut être consommé dans l’année.
Un rapport, publié le 27 août, conduit par les sénateurs de la commission des finances Arnaud Bazin (LR) et Éric Bocquet (communiste), s’est penché de manière plus précise sur les ambitions réelles de la grande cause du quinquennat. « Il y a eu des annonces un peu tonitruantes. Plus d’un milliard d’euros qu’on n’a pas retrouvé dans le document budgétaire, ça nous a mis la puce à l’oreille », raconte Éric Bocquet.
Interrogée dans la matinale de France Inter, ce lundi 31 août, l’ancienne secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, devenue en juillet ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, a répondu aux critiques du rapport. « Ça ne se soustrait pas, ça s’additionne […] C’est l’honneur de la France que de mettre de l’argent à l’étranger pour soutenir les femmes partout dans le monde. Ce n’est pas du tout une découverte », a-t-elle soutenu. Et d’ajouter : « On peut travailler et communiquer ».
Une communication gouvernementale « hâtive et trompeuse » selon le rapport sénatorial
Les sénateurs ont poursuivi leurs investigations dans les détails du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », en vertu de leur pouvoir de contrôle de l’action du gouvernement. La réalité de l’enveloppe de 360 millions d’euros, annoncés pour lutter contre les violences faites aux femmes au lendemain du Grenelle en 2019, est également embellie, reproche le rapport. « Hâtive et trompeuse », peut-on même y lire. Les deux parlementaires dénoncent un « décalage constant entre les opérations de communication gouvernementale sur les moyens engagés et la réalité des crédits mis en œuvre. »
« 360 millions d’euros consacrés spécifiquement à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2020 : à vingt millions d’euros près, quand on les compare à 2019, ce sont les mêmes. Il y a une légère augmentation, mais sûrement pas dans les proportions évoquées dans la communication de la ministre », relève Arnaud Bazin. La hausse traduit notamment la hausse du nombre de places d’hébergement d’urgence. Le rapport résume ainsi les choses : « Nous constatons la quasi-absence de mesures nouvelles ».
Avec son collègue, il regrette le morcellement des crédits, une nouvelle maquette budgétaire floue et les périmètres mouvants d’un exercice budgétaire à l’autre. « Il y a un vrai travail de transparence qui est dû aux parlementaires et à tous les citoyens sur ce sujet-là », réclame-t-il. « Il y a plus 250 % de budget sur les droits des femmes entre 2017 et 2020. Si on part de 2012, il a été multiplié par cinq », s’est défendu Marlène Schiappa sur France Inter.
« Je ne m’attendais pas à une réalité autant en décalage avec les déclarations »
Pour l’année 2020, Éric Bocquet explique avoir mis « les mains dans le cambouis ». « On n’est pas dupes. Très souvent il y a un écart entre la réalité et les chiffres communiqués – chiffres magiques, carrés, qui visent à marquer l’opinion. Là, j’étais surpris pendant l’examen des chiffres dans le détail, je ne m’attendais pas à une réalité aussi effarante, autant en décalage avec les déclarations […] On est assez sidérés. »
Le rapport s’attache notamment à mettre en garde contre la situation fragile des structures associatives, indispensables pour l’accompagnement des victimes. « Seul un nombre restreint d’associations a bénéficié d’une hausse de leurs crédits, qui semble néanmoins insuffisante. Certaines associations reçues se sentent précarisées et débordées depuis le mouvement Me too et le confinement qui ont donné une visibilité (bienvenue) au sujet des violences », expliquent ses auteurs. Pire encore, certaines structures doivent « parfois limiter leur accueil ou activités, en dépit d’une demande croissante ». Un exemple est particulièrement frappant. L’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AFVT) a dû se résoudre à fermer sa permanence téléphonique en 2019 alors qu’elle était la seule association ouvrant sur le champ des violences au travail.
La prochaine loi de finances déjà dans le viseur
Dans leurs préconisations, les sénateurs conseillent de mieux identifier les crédits existants et de renforcer la visibilité de cette politique publique, de la doter d’un vrai pilotage national et interministériel mais aussi d’une « vraie administration » et de renforcer le maillage territorial.
L’essentiel des travaux d’enquête a été conduit avant le confinement, mais jusqu’ici le duo sénatorial n’avait pas été reçu par le gouvernement, malgré une nouvelle sollicitation cet été. Un rendez-vous pourrait finalement avoir lieu avec Élisabeth Moreno, la nouvelle ministre chargée de l'Égalité entre femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances.
À l’heure où les arbitrages sont en train d’être rendus pour le prochain projet de loi de finances, Éric Bocquet se met à espérer que le rapport, après le confinement qui « a exacerbé » le problème des violences conjugales, « poussera le gouvernement à agir ».