Uber : « La Cour de cassation envoie un message au législateur : trouvez des solutions »
Uber le redoutait, mais la Cour de cassation a tranché. Mercredi, la plus haute juridiction française a reconnu l’existence d’un contrat de travail entre un chauffeur VTC et une plateforme VTC. Un message clair pour le législateur, selon Me Masson. Le groupe CRCE, qui bénéficiera d’une niche parlementaire fin avril, pourrait en profiter pour inscrire à l’ordre du jour sa proposition de loi « relative au statut des travailleurs des plateformes numériques »
Par Ariel Guez
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Vers la fin de l’ubérisation ? Dans un arrêt rendu mercredi, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, considère que le lien de subordination entre un chauffeur et la plateforme qu’il utilise est celle d’un « contrat de travail ». Selon la Cour, son statut d’indépendant n’est « que fictif ». Un séisme pour les plateformes de mise en relation entre particuliers comme Uber donc, mais aussi Deliveroo ou Kapten, auxquelles pourrait s’appliquer une nouvelle jurisprudence.
« Le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport. L’itinéraire lui est imposé par la société et, s’il ne le suit pas, des corrections tarifaires sont appliquées. La destination n’est pas connue du chauffeur, révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient », explique la Cour de cassation dans son communiqué.
Ce matin sur Europe 1, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a réagi à cet arrêt et a annoncé une mission pour « inventer des règles qui permettent la liberté mais aussi la protection », en lien avec le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Problème : elle existe déjà. En effet, le Premier ministre a confié le 14 janvier dernier à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, « une mission afin de définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes numériques ».
Pas de changements dans l’immédiat
« Mais quand on discute, une grande majorité d'entre eux (des chauffeurs, N.D.L.R.) veulent être indépendants, sans être soumis à n'importe quelle firme », poursuivait ce jeudi la ministre du Travail. Dans l’immédiat, rien ne va changer pour les travailleurs des différentes plateformes. Même si certains souhaitent être reconnus comme des salariés, les 30 000 chauffeurs Uber ne seront pas automatiquement requalifiés après la décision de la Cour de cassation.
Pour ce faire, il faudra que tous les demandeurs survivent à un véritable parcours du combattant. Car même si l’arrêt de mercredi va faire jurisprudence, rien n’empêchera la plateforme à multiplier les appels puis d’utiliser les pourvois en cassation, sur chaque cas, pour retarder une requalification en contrat de travail, « Procédurierement, oui, mais je serais Uber, je ne jouerais pas cette carte-là », explique Maître Fabien Masson à publicsenat.fr.
Pourtant, Uber n’entend pas bouger d’un iota son modèle économique, alors qu’une cinquantaine de dossiers sont en cours de traitement à Paris et à Lyon, selon l’avocat. « On a un groupe qui ne se soumet pas à la décision de la plus haute juridiction du pays. C’est très curieux ! Je n’arrive pas à comprendre cette posture figée », regrette Me Masson.
Sur son site internet, l’avocat qui a défendu M. Petrovic, chauffeur Uber à l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation, propose gratuitement aux chauffeurs un modèle de courrier qu’ils peuvent adresser à leurs plateformes. Il a reçu à ce jour une vingtaine de prises de contact.
Sur son site internet, Fabien Masson propose gratuitement aux chauffeurs un modèle de courrier à adresser à la plateforme Uber.
Capture d'écran fabienmasson.com
« La première des solutions, ce serait le salariat »
Du côté du Sénat, on salue aussi la décision de la Cour de cassation. « C’est un nouveau camouflet pour le gouvernement dans ce dossier », se félicite dans un communiqué de presse le groupe socialiste « qui poursuivra son engagement pour la reconnaissance des droits et du statut légitimes des salariés ».
En janvier dernier, les socialistes avaient d’ailleurs déposé une proposition de loi (PPL) afin de « rétablir » les droits des travailleurs qui exercent une activité grâce aux plateformes qui les mettent en relation avec des clients sur Internet. Le groupe voulait notamment faire en sorte que ces travailleurs soient « entrepreneurs salariés ou associés d’une coopérative d’activité et d’emploi ». Le texte avait été rejeté par le Palais du Luxembourg, avec 70 voix contre 270.
Cette décision de la Cour de cassation est une grande victoire pour ceux qui ont fait ces démarches-là », affirme ce jeudi à publicsénat.fr la socialiste Monique Lubin, cosignataire de la PPL étudiée en janvier. « Je ne sais pas si le gouvernement va se saisir du sujet, mais l’idéal serait qu’on arrive à une loi, et la première des solutions serait le salariat », explique la sénatrice des Landes, qui fustige l’article 20 de la Loi d'orientation des mobilités, qui crée les conditions de la mise en place d’un « sous-prolétariat », selon elle.
Une proposition de loi à l’étude en 2020
Reste la proposition de loi des communistes, qui eux aussi se sont félicités de l’arrêt rendu par la plus haute juridiction française. « C’est un moment extrêmement important d’un point de vue de la justice (…) C’est extrêmement encourageant. », explique Pascal Savoldelli à publicsenat.fr
La PPL, conçue sur plusieurs mois en étroite association avec les travailleurs du secteur, et déposée à la présidence du Sénat en septembre, devrait être étudiée durant la session parlementaire 2019-2020 au Palais du Luxembourg, dans le cadre d’une niche du groupe CRCE. « C’est l’une des priorités de notre groupe », insiste le sénateur du Val-de-Marne, qui considère que la décision de la Cour de cassation peut peser dans les débats. « L’avis rendu fait la démonstration que l’article 1er et l’article 2 de notre proposition de loi vont de soi », affirme Pascal Savoldelli.
« On ne peut pas rester dans cette situation »
Reste l’article 3, qui touche à la rémunération, sur lequel le débat « devrait essentiellement se concentrer », prédit le sénateur communiste, qui explique que la PPL fait le trait d’union entre la volonté d’indépendance de certains travailleurs et leur protection sociale. « On verra ce que sortent des travaux des différents groupes (…) Pour lutter contre le développement du sous-prolétariat, toutes les initiatives sont bonnes à prendre », conclut Monique Lubin.
Outre l’avis juridique, « la Cour de cassation envoie au législateur : trouvez des solutions », analyse Me Masson. « Et les solutions, on les connaît, il y en a sur la table », précise-t-il, citant la création d’un statut intermédiaire comme en Espagne, ou le fait de donner la possibilité de renoncer au statut du droit du travail, en échange de contreparties. « On ne peut pas rester dans cette situation ».
En mars 2019, une union transpartisane était apparue dans l’hémicycle pour rejeter l’article 20 du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), qui a finalement donné la possibilité aux plateformes numériques d’instaurer des chartes de droits sociaux. Mais facultatives. Une nouvelle union sacrée pour les travailleurs des plateformes numériques ? Réponse certainement fin avril, date de la prochaine niche parlementaire des communistes.
Quand le Sénat donnait le même avis que la Cour de cassation.
Il y a un an, le Sénat rejetait quasi unanimement l’article 20 du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), qui était étudié en première lecture au Palais du Luxembourg. L’article visait à donner la possibilité aux plateformes telles qu’Uber à « une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ». Une « mise en relation » qui n’entrait pas dans le cadre du salariat, et qui a été rejetée en bloc par les sénateurs.
Débat au Sénat sur l'article 20 de la Loi d'orientation des mobilités - Séance publique du 26/03/2019
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