« C’est avec un grand découragement » que la réalisatrice et autrice, Ovidie s’est présentée devant la mission d’information du Sénat sur les dérives de l’industrie du porno. Des dérives révélées au grand jour ces derniers mois par l’affaire dite « du porno français » ou « french bukkake » dans laquelle une cinquantaine de victimes sont déjà identifiées, et une dizaine de producteurs et acteurs sont mis en examen pour viols en réunion, traite d’êtres humains et proxénétisme.
Un autre aspect intéresse particulièrement les sénatrices et sénateurs de la délégation aux droits des femmes : l’accessibilité des contenus pornographiques aux mineurs. La loi du 30 juillet 2020 impose aux sites pornographiques la mise en place d’un contrôle de l’âge de leurs visiteurs mais dans les faits cette obligation n’est pas respectée malgré des mises en demeure de l’Arcom.
Dans son ouvrage, « À un clic du pire - La protection des mineurs à l’épreuve d’Internet » (ed. Anne Carrière), Ovidie indique « que depuis la démocratisation des smartphones, l’âge moyen de la découverte des premières images pornographiques est de neuf ans ».
C’est sur ce point que les élus ont souhaité entendre la réalisatrice, qui dès le début de son propos a tenu à rappeler son passé d’actrice porno. « Tout ça pour vous dire que je ne suis pas dans la rédemption ou pour servir à un quelconque lobby conservateur ».
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« Les fournisseurs d’accès à Internet traînent des pieds »
« Ces Youtube du porno existent depuis 15 ans […] on sait qu’ils ne respectent pas la loi française […] et il ne se passe rien », s’étonne-t-elle. Ovidie, qui a l’habitude d’être auditionnée sur ce sujet, a pu observer que c’était « les fournisseurs d’accès à Internet qui traînaient des pieds ». « On n’a jamais essayé d’appliquer même une sanction symbolique, comme quand on exclut pour quelques jours une personne sur les réseaux sociaux. Non, ça fait 15 ans qu’il n’y a aucune sanction ».
Pour mémoire, le mois dernier, conformément à la nouvelle législation, l’Arcom a saisi la justice afin de demander le blocage de cinq sites pornographiques qui n’ont pas respecté les mises en demeure les contraignant à interdire leur accès aux mineurs. C’est désormais au tribunal judiciaire de Paris d’ordonner aux principaux fournisseurs d’accès à internet d’empêcher l’accès à ces sites.
Une autre « grande désillusion » d’Ovidie est d’avoir constaté ces dernières années « que l’Etat est bien peu puissant face aux Gafam ». « Voyons ce que ça va donner toutes ces mises en demeure. Personnellement, je n’en attends pas grand-chose ».
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Entre 2018 et 2020, la réalisatrice a mené une action de prévention sur l’exposition aux images pornographiques dans les établissements scolaires du département de la Charente. Ovidie a pu relever que les deux heures d’enseignement obligatoire à la vie sexuelle et affective n’avaient pas eu d’effets sur les collégiens et lycéens. « Ce sont des discours un peu culpabilisants du type : le porno, ce n’est pas la réalité… Ce type de discours là, c’est un échec », tranche-t-elle.
« Le combat contre les plateformes porno, c’est presque un combat hier »
Nés au milieu des années 2000, au moment de l’émergence des sites pornographiques, ces jeunes constituent ce qu’Ovidie appelle « une génération cobaye ». « Cette génération entre dans la sexualité en étant biberonnée au porno. Mais en même temps, elle a été conscientisée aux notions de consentement […] Ils sont très conscientisés autour des notions de harcèlement, de notions anglo saxonnes comme le slut-shaming, revenge porn […] Ils sont très lucides, mais ça ne veut pas dire que le porno ne les influence pas […] Tout ça à un impact sur leur rapport au corps, sur leur pratique d’épilation ».
Ovidie insiste : « Le combat contre les plateformes porno, c’est presque un combat hier. (Cette génération) a accès à ces images par les réseaux sociaux et ils ont appris à développer des stratégies d’autodéfense numérique […] Depuis qu’ils ont 8, neuf ans, ils arrivent à repérer les prédateurs du net […] Ce qui est fou, c’est que c’est vers eux qu’il faut se tourner pour avoir des solutions ».
« C’est dans un contexte apaisé, qu’on peut les amener à réfléchir »
La rapporteure communiste de la mission d’information, Laurence Cohen a souhaité en savoir plus sur la prévention. « Comment l’école peut développer une éducation sexuelle réelle et à la fois leur esprit critique ? »
« Le luxe, c’est le temps », lui a répondu Ovidie. « Je crois qu’il faut les amener à produire leur propre réflexion. Le problème c’est que les intervenants lorsqu’ils arrivent dans les établissements c’est parce qu’il y a eu un problème dans l’établissement, comme une agression sexuelle […] Ce n’est pas dans ce contexte-là, qui n’est pas apaisé, qu’on peut les amener à réfléchir ».
Laurence Rossignol, rapporteure socialiste de la mission d’information, se dit « perplexe » de voir déployer des moyens publics pour limiter l’impact d’une industrie de la pornographie lucrative.
« C’est un peu comme si on se disait pourquoi mener des actions de prévention contre la drogue alors qu’il suffirait d’arrêter la drogue », lui a répondu la réalisatrice.
Pour Ovidie, « la réglementation sera toujours mieux que l’interdiction d’une activité qui de toute façon va continuer à exister ».