Statut des travailleurs des plateformes : les sénateurs face aux excès de l’ubérisation

Statut des travailleurs des plateformes : les sénateurs face aux excès de l’ubérisation

Chauffeurs VTC, livreurs à vélo… En France, 200 000 personnes travaillent pour des plateformes numériques. Des autoentrepreneurs largement dépendants de ces entreprises. Pendant plusieurs semaines, le journaliste Fabien Recker a suivi les travaux de la mission d’information sénatoriale chargée de trouver des solutions à l’ « ubérisation de la société » ; il nous en livre les coulisses dans un nouvel épisode de « Sénat en action ».
Public Sénat

Par Victor Missistrano

Temps de lecture :

4 min

Publié le

« On voyait des publicités un peu partout, des belles voitures, on pensait que c’était la belle vie. » Comme beaucoup de chauffeurs VTC, Nabil Chibane a cru au conte de fées, à une nouvelle vie, faite des avantages offerts par l’indépendance, en travaillant à son compte et à son rythme pour un salaire confortable. Avant de rapidement déchanter face aux difficultés et au manque de protection des travailleurs.

Il y a quatre ans, ce père de famille lillois devient chauffeur Uber. À 50 ans, il pense mettre de l’argent de côté en vue d’acheter une maison pour sa femme et ses enfants. « Les cinq étoiles » attribuées par ses clients après chaque course le font remonter dans l’algorithme. Il devient rapidement « le driver numéro 1 de Lille », lui annonce l’application. « J’étais fier d’être considéré comme l’un des meilleurs chauffeurs », se remémore avec amertume Nabil.

La loi de l’algorithme

Mais le chauffeur va découvrir que ce système de notation peut se montrer perfide. Une course se passe mal. « Deux jeunes faisaient des choses que je ne voulais pas dans la voiture ». En partant, les clients envoient un mail à Uber pour dire leur mécontentement. Nabil se voit définitivement déconnecté, sans véritable explication : « Je n’ai même pas pu m’adresser à quelqu’un d’humain. L’entreprise n’a pas cherché à savoir si c’était vrai ou faux ».

Sur les plateformes, l’algorithme fait la loi. Le dialogue entre la société et les travailleurs est inexistant. Le sénateur communiste Pascal Savoldelli se bat contre ce fonctionnement : « Ce modèle déshumanise complètement la relation de l’activité. »

Désillusions

Du jour au lendemain, Nabil Chibane se retrouve privé de ressources. Il décide alors de rentrer dans la lutte au sein de l’Intersyndicale nationale des VTC. Son cas est révélateur de la situation des travailleurs indépendants, auxquels les plateformes imposent des règles mais qui ne bénéficient pas du statut de salarié, et des protections qui vont avec.

L’indépendant ne fixe rien : ni les prix, ni les horaires, ni les conditions de travail explique Kevin Mention

Pas de protection sociale, ni de congés et encore moins de chômage. « Les plateformes contrôlent et sanctionnent les travailleurs comme des employés. Donc on est plus dans l’indépendance », estime l’avocat Kevin Mention, qui défend des travailleurs des plateformes. « L’indépendant ne fixe rien : ni les prix, ni les horaires, ni les conditions de travail. Il s’agit donc de salariat déguisé ». La société Uber s’en défend, et affirme se considérer comme une « une entreprise d’intermédiation ». « Si ces puissantes plateformes estiment qu’elles ne subordonnent pas leurs travailleurs, et qu’ils sont effectivement indépendants, qu’elles en fassent la démonstration ! », s’agace Olivier Jacquin, sénateur (PS) de Meurthe-et-Moselle.

Car si les travailleurs dépendent de l’application, ils supportent seuls les charges liées à leur activité. Depuis son exclusion d’Uber, Nabil Chibane est désormais chauffeur pour le concurrent « Heetch ». Il travaille 10 à 12 heures par jour et voit l’entretien du véhicule et les pleins d’essence faire fondre ses revenus.

Instaurer les conditions d’un dialogue social

Face à l’absence de dialogue entre travailleurs et entreprises, le gouvernement a promulgué en avril 2021 une ordonnance instaurant les conditions d’un dialogue social entre les travailleurs indépendants et les plateformes. Des élections professionnelles devraient être organisées pour élire les représentants des livreurs et chauffeurs VTC début 2022 : les prémisses d’un dialogue social nécessaire, et peut-être le rééquilibrage du rapport de force entre les travailleurs et les plateformes toutes puissantes. D’ici là, les sénateurs remettront leur rapport le 30 septembre 2021. En mai dernier, le Sénat avait écarté la proposition d’Olivier Jacquin qui proposait d’empêcher le dévoiement du statut d’indépendant.


Revoir le reportage de Fabien Recker

Dans la même thématique

Paris: French Government Weekly Cabinet Meeting
5min

Politique

Pour Bruno Retailleau, les conditions sont réunies pour rester au gouvernement

Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.

Le

Statut des travailleurs des plateformes : les sénateurs face aux excès de l’ubérisation
4min

Politique

Retraites : « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », dénonce Ian Brossat

C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».

Le

Statut des travailleurs des plateformes : les sénateurs face aux excès de l’ubérisation
4min

Politique

« Consternés », « dépités », « enfumage » : après sa rencontre avec François Bayrou, la gauche menace plus que jamais le Premier ministre de censure

Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.

Le