Pourquoi Sophia Loren est-elle aussi célèbre en France ?
Après-guerre, la question des budgets élevés des films en couleur a été résolue par de nombreuses coproductions franco-italiennes. Par ce biais, un certain nombre d’acteurs italiens, dont Gina Lollobrigida et Sophia Loren, deviennent des stars françaises dans les années 1950. Cette dernière est aussi connue en France parce que son mari Carlo Ponti organise sa médiatisation de façon extrêmement efficace.
Comment va-t-elle devenir l’icône dont on a l’image aujourd’hui ?
À travers cette médiatisation, elle participe à des événements mondains, et fait la couverture de magazines populaires. Je dirais aussi qu’elle incarne un type féminin sensuel, voluptueux, qui correspond beaucoup à des fantasmes masculins de l’époque. Elle ne sort jamais sans être parfaitement maquillée, coiffée, et habillée par les grands couturiers.
Incarne-t-elle autre chose que ce physique ?
Sa carrière s’est construite via des films où elle a incarné une féminité dans un registre comique ou dramatique, en étant souvent associée à des grands acteurs masculins. Le paradoxe, c’est que dans ses deux films les plus marquants pour les cinéphiles, La Ciociara en 1961, et Une journée particulière en 1977, elle est au contraire dépouillée de tout l’apparat de cette féminité hors normes. Cela reste deux films marginaux de sa filmographie ; elle ne s’est donc pas détachée de cette image. C’est en grande partie dû au choix que Carlo Ponti a fait pour elle, qui l’a construit du côté d’une féminité excessive. Dans les années 1950, Sophia Loren était très souvent qualifiée de vulgaire par le public français.
Aujourd’hui, le cinéma est-il sorti de cette façon de satisfaire les fantasmes masculins ?
Ah oui, complètement. Ces corps aux formes extrêmement généreuses, c’est fini. C’est désormais perçu comme vulgaire par tout le monde. Aujourd’hui, les seuls corps féminins montrés comme désirables sont en général des corps androgynes. Cette époque est donc révolue. Le mouvement féministe est passé par là.
Aussi, les actrices comme Sophia Loren et Gina Lollobrigida sont associées à un cinéma populaire qui n’existe plus. On parle d’une époque où le cinéma constituait le loisir principal des classes populaires et moyennes. Ce cinéma-là a disparu. Entre-temps, il y a eu la vague « yé-yé », qui a imposé d’autres normes du féminin, comme Françoise Hardy ou Sylvie Vartan, qui n'ont rien à voir avec Sophia Loren.
Mais on entend en ce moment beaucoup parler d’un regard masculin (male gaze) qui imprègne la façon de filmer…
Parce qu’on en a pris conscience. Autrefois il était tellement hégémonique qu’il s’agissait du seul regard possible. Dans les années 1950, il n’y a qu’une seule femme cinéaste en France. À partir des années 1970, des femmes proposent d’autres corps féminins. Mais effectivement, toute cette culture autour de la jolie fille sexuellement attirante, est issue d’un regard masculin qui n’est plus totalement hégémonique. Aujourd’hui, la domination masculine passe par d’autres biais, plus discrets.
Geneviève Sellier (Droits réservés)
Professeure émérite en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne, Geneviève Sellier est aussi directrice de publication du site Le Genre et l’écran.
Revoir le documentaire, Sophia Loren : Des faubourgs de Naples à Hollywood.