Le gouvernement n’a pas peut-être jamais autant compté sur le Sénat. La Haute assemblée a achevé dans la nuit de jeudi 31 mai au vendredi 1er juin l’examen de la réforme ferroviaire, après de longues heures en séance, où les élus ont pris le temps de débattre. Le vote solennel a lieu ce mardi.
Train de sénateur et train de nuit en somme. La ministre Elisabeth Borne, qui est restée inflexible sur le fond de la réforme face aux communistes, qui ont mené la bataille pied à pied, a pu compter sur la majorité sénatoriale LR-UDI pour faire avancer son texte. Le cœur du projet de loi n’a pas bougé : ouverture à la concurrence, selon les règles européennes, fin du statut et passage de l’entreprise en société anonyme.
Les principaux apports du Sénat portent sur le renforcement du volet social, sur le vote de l’incessibilité qui permettra, en principe, d’empêcher la privatisation de la SNCF. Les sénateurs ont également adopté un article sur la préservation de l’aménagement du territoire, via des contrats de service public, pour assurer la déserte des villes moyennes.
« Une fois la loi votée, il sera temps d'arrêter la grève »
La ministre et le rapporteur du texte, Gérard Cornu, ont marché main dans la main. Une « co-construction », assumée et revendiquée par le sénateur LR. L’objectif est clair : mettre fin au mouvement. « Les syndicats attendent un signal. Ils l'auront (...) Une fois la loi votée, il sera temps d'arrêter la grève », a exhorté Gérard Cornu. En portant des mesures chères à la CFDT et à l’UNSA, l’exécutif espère casser l’unité syndicale.
Pour donner un peu plus de grain à moudre aux syndicats réformistes, les sénateurs ont même lâché, un peu plus de lest envers les cheminots sur le droit d’option au retour. Gérard Cornu entend ainsi « montrer un signe auprès des cheminots et de tous ceux qui veulent sortir de cette impasse ». De son côté, le groupe communiste s’est fortement mobilisé, ferraillant amendement par amendement tout au long des débats. Dès l’ouverture, le groupe PCF n’a pas hésité à venir dans l’hémicycle avec des gilets fluo de la SNCF.
Réforme de la SNCF : coup d’éclat des sénateurs communistes
Après le vote solennel, le texte arrivera en commission mixte paritaire le 11 juin, et non le 13, comme prévu à l'origine. Cette commission – qui sera présidée par le sénateur UC et président de la commission de l’aménagement du territoire, Hervé Maurey – donnera l’occasion aux parlementaires de se mettre d’accord sur une version commune aux deux assemblées. Ce qui ne devrait pas poser de difficulté.
Apports du Sénat sur le volet social
Les conditions de transfert et de retour des cheminots à la SNCF en cas de départ vers la concurrence est un sujet cher aux syndicats réformistes. Sur ce point, les sénateurs ont adouci le texte en élargissant la fenêtre de retour possible qui passe de 3 à 6 ans à une période de 3 à 8 ans. Une modification adoubée par la ministre des Transports, Elisabeth Borne, qui s’est dite « favorable » à cette évolution pour « aménager cette fenêtre pour le droit d’option », qui « renforce encore les garanties données aux salariés ».
Elisabeth Borne sur les conditions de retour des cheminots
La fin du recrutement au statut des cheminots est prévue à partir du 1er janvier 2020. Le gouvernement a profité du passage du texte au Palais du Luxembourg pour ajouter la date de la fin du statut, qui n’avait pas été précisée à l’Assemblée. Une convention collective, discutée entre syndicats et représentants du patronat, devra prendre le relais pour les nouvelles embauches. Elle devra être finalisée avant le 31 décembre 2019.
L’incessibilité pour faire taire le soupçon d’une privatisation
L'article sur l’incessibilité de la SNCF et de ses filiales a été adopté mercredi dernier. Selon le gouvernement, il s’agit de garantir que l’entreprise ne sera pas privatisée mais pour les communistes le changement de statut de la SNCF, qui devrait devenir une société anonyme, est une porte ouverte à la privatisation.
L’article 1er A du projet de loi prévoit que « la société nationale à capitaux publics SNCF et ses filiales constituent un groupe public unifié », « le capital de la société nationale SNCF est intégralement détenu par l'État. Ce capital est incessible », ainsi que ceux de SNCF Réseau et Mobilité.
Un article clair en apparence, mais qui ne répond pas à la question posée par le sénateur PCF, Fabien Gay : pourquoi ce « passage de trois Epic en société anonyme » alors que « ni l’Union européenne », « ni les usagers » ne « le demandent » ? Pour la sénatrice PCF, Éliane Assassi, la réponse est claire : « On investit pour privatiser ensuite ».
Mesures pour la préservation de l’aménagement du territoire
Tout au long des débats, les sénateurs se sont fait les porte-voix de petites lignes. Leur crainte : que l’ouverture à la concurrence amène les régions, qui seront gestionnaires, à fermer les lignes non rentables.
Contre l’avis du gouvernement, le Sénat a adopté trois amendements pour éviter que les régions aient à souffrir une hausse des péages ferroviaires décidée par SNCF Réseaux. « Il faut qu’on ait la garantie que demain l’État ne dira pas aux régions : « Puisque c’est vous qui voulez cette ligne-là, c’est vous qui allez payer » », justifiait le sénateur écologiste, Ronan Dantec, pendant les débats. Ces contrats de service public permettront d’assurer la desserte des villes moyennes sans que l’usager soit obligé de changer de train.