Quatrième jour de grève sur le rail en France depuis le début du mouvement le 3 avril. Le bras de fer entre les cheminots et le gouvernement ne s’est pas relâché ces dernières heures, chacun campant ses positions.
Les tractations sur la réforme ferroviaire semblent dans l’impasse. Vendredi, les syndicats sont ressortis très mécontents de leurs rencontres au ministère des Transports. La CGT cheminots a même menacé d’étendre la grève au-delà du mois de juin.
La réplique du gouvernement n’a pas tardé. Dimanche, le Premier ministre a fait part dans Le Parisien de la « détermination » du gouvernement, assurant que ce dernier irait « jusqu’au bout » et que les grandes lignes de la réforme ne seraient pas « négociables ».
« Chacun montre ses muscles de chaque côté »
C’est peu dire que le message de fermeté de l’exécutif est mal passé auprès des principaux syndicats. « On est face à un mur », a résumé ce matin Philippe Martinez, le patron de la CGT (sur Europe 1). Pour lui, « c’est le gouvernement qui contraint » les cheminots à la grève.
Chacun se renvoie la balle. Sur RFI, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a appelé les syndicats à « reprendre le chemin de la négociation », estimant que le rapport de force engagé ne mènerait « nulle part ». La ministre des Transports Élisabeth Borne estime que le gouvernement a déjà fait des concessions, notamment sur les garanties sociales des cheminots de la SNCF qui rejoindraient un opérateur privé.
L’escalade inquiète Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, qui réclame de la « discussion » et une « négociation », plutôt qu’un affrontement où « chacun montre ses muscles de chaque côté ».
Ce lundi, le mouvement de grève est resté très suivi parmi les personnels de la SNCF les plus mobilisés : 75% des conducteurs se sont déclarés en grève (contre 74% le 4 avril), selon la direction de la SNCF.
« Le gouvernement s’y prend très mal sur la forme »
Le message d’Édouard Philippe ne laisse personne indifférent. « Certes, le Premier ministre parle aux Français. Mais je ne suis sûre que ce soit le plus habile. Cela fait monter une pression inutile », réagit auprès de PublicSenat.fr la sénatrice (LR) Frédérique Puissat, qui soutient l’ouverture à la concurrence. Selon l’élue de l’Isère, le « gouvernement s’y prend très mal sur la forme ». « Que ce pays soit difficile à réforme, c’est une certitude. Par contre, il est possible de faire des concertations qui soient respectueuses des partenaires sociaux ».
De son côté, le sénateur communiste Éric Bocquet invite le gouvernement à la retenue. « L’histoire nous a appris qu’il valait mieux être prudent dans la gestion des conflits sociaux », nous déclare-t-il. « Je conseillerais beaucoup de prudence et de d’humilité, et de ne pas mettre des pseudo-concertations d’où rien ne sort. »
Derrière la bataille du rail, la bataille de l’opinion
Sur notre antenne, le sénateur (rattaché au groupe LR) Philippe Dominati se satisfait de l’attitude du Premier ministre mais préfère voir « les actes ». « S’il y a fermeté, il sera soutenu. Il est temps de faire une réforme ».
SNCF : « S’il y a fermeté, le gouvernement sera soutenu », promet Philippe Dominati
La sénatrice (Union centriste) Catherine Morin-Desailly a, elle aussi, apporté un soutien très franc au chef du gouvernement. Sur Twitter, la présidente de la commission de la Culture déclare « souscrire à la fermeté du Premier ministre ». « Les Français ont encore pu constater de très, trop nombreux dysfonctionnements de la SNCF, dont la reforme n’a que trop tardé », écrit-elle.
Jouer l’opinion publique contre les cheminots pourrait être l’une des stratégies de l’exécutif, qui se montre inflexible. Certaines enquêtes semblent lui donner raison, comme notre sondage OpinionWay, qui indique que 56% des Français approuvent la fermeté du gouvernement. Cependant, la même enquête précise qu’en un mois, la part du nombre de Français qui trouvent « justifié » le mouvement des cheminots a progressé de cinq points à 45%.
Présent aux côtés des cheminots en gare de Dunkerque, le sénateur communiste Éric Bocquet est conscient que « la bataille de l’opinion fait rage » mais constate que l’accueil des grévistes par les usagers n’est pas « hostile ». « Ils comprennent que les cheminots ne sont pas dans un conflit catégoriel. Ils défendent l’idée qu’il existe un service public. Ce message passe », selon le sénateur du Nord.
La sénatrice (LR) Frédérique Puissat regrette que beaucoup de choses se mélangent dans l’argumentaire du gouvernement. « On a confondu l’ouverture d’un marché, la performance d’un service avec les statuts des cheminots et les enjeux d’aménagement du territoire. » « Les cheminots ne sont pas des nantis de la société », met au point la sénatrice de l’Isère.
Celle qui avait cosigné avec d’autres élus de toutes tendances politiques une tribune appelant à ne pas sacrifier les petites lignes dans la réforme, reproche à l’exécutif de ne pas afficher clairement la couleur. « Ce que je demande au gouvernement, c’est qu’il soit clair dans ses orientations, en termes de services rendus à la population et d’aménagement du territoire ».
Emmanuel Macron « veut sa statue à Davos »
SNCF : « Le gouvernement cherche à faire un exemple », selon Rachid Temal (PS)
Au Parti socialiste, le sénateur Rachid Temal considère que le « gouvernement veut faire de la SNCF un exemple ». « Heurté et choqué » par une « réforme ferroviaire » qui n’était pas inscrite dans le projet présidentiel, le sénateur de Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin compare le statut des cheminots à un « chiffon rouge ». « C’est une provocation. Emmanuel Macron veut sa médaille, la SNCF est un totem, une réforme que personne n’a osé entreprendre. Il va se payer les cheminots pour avoir sa statue à Davos », s’agace-t-il. L’un des enjeux du secteur tient avant tout dans l’avenir de la dette, selon lui.
Justement, sur une éventuelle reprise de la dette de 46 milliards d’euros du groupe SNCF, le ministre de l’Économie a répété que le gouvernement était « prêt à traiter le problème », mais sans entrer dans les précisions.
Le mouvement de grève devrait reprendre vendredi pour 48 heures. En attendant, les députés devraient avoir achevé l’examen en hémicycle du projet de loi sur « un nouveau pacte ferroviaire », entamé ce lundi. Emmanuel Macron, qui doit donner deux interviews télévisées jeudi et dimanche, est également attendu sur ce conflit.