Protéger les informations économiques confidentielles sans porter atteinte à la liberté d'information: les députés examinent mardi soir une proposition de loi LREM sensible sur le "secret des affaires", sujet qui inquiète médias et associations depuis plusieurs années.
Ce texte sur "la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués" vise à transposer une directive qui, lors de son adoption au Parlement européen en 2016, avait déjà provoqué de vifs débats sur un risque d'atteinte à la liberté de la presse et à la protection des lanceurs d'alertes.
"Il s'agit de protéger nos entreprises contre l'espionnage économique, le pillage industriel ou la concurrence déloyale", plaide le rapporteur LREM Raphaël Gauvain. Et "nos concurrents, en particulier les États-Unis, disposent depuis longtemps d'un arsenal performant", alors que la France a échoué, à cinq reprises depuis 2004, à se doter d'une telle législation.
La directive doit être transposée par les États membres d'ici le 9 juin. Elle ne laisse que de "rares marges de manœuvre" aux parlementaires qui ne peuvent revenir, selon cet avocat, sur la définition du secret des affaires, à l'origine de la polémique.
Selon le texte, est protégée toute information qui n’est pas "généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur […] traitant habituellement de cette catégorie d’information", dont la valeur commerciale est due à son caractère secret, et qui a "fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables".
Toute atteinte à ce secret engagera la responsabilité civile de son auteur. Pour fixer les dommages et intérêts, le juge prendra en compte "le préjudice économique, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par l’auteur de l'atteinte".
Dans une tribune la semaine dernière, un collectif de sociétés de journalistes, de syndicats et d'associations a dénoncé une définition "si vaste que n'importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie".
"Des scandales comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les +Panama Papers+ ou +LuxLeaks+ pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens", ont jugé les signataires, pour qui il faudra alors "espérer que les tribunaux fassent primer la liberté d’expression et d’informer".
- Dérogations "trop faibles" -
Une vision partagée à la gauche de l'hémicycle: le texte est "une arme de dissuasion contre la liberté d'informer", selon le communiste Stéphane Peu, et permettra "aux multinationales de venir taper les lanceurs d'alerte", pour l'Insoumis François Ruffin. Les socialistes souhaitent, via des amendements, restreindre le champ d'application du texte aux seuls acteurs économiques concurrentiels.
Selon ces trois groupes, les dérogations prévues à la protection du secret pour empêcher les poursuites de syndicalistes, lanceurs d’alerte ou journalistes sont "trop faibles".
La majorité et la droite les jugent suffisantes. "Le danger sur les lanceurs d'alerte dans le texte tel qu'il est n'existe pas", affirme le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde.
Le secret n'est plus protégé pour "exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse"; "pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général", prévoit le texte.
Et il n'est plus protégé "pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit", et notamment "l’ordre public, la sécurité publique, la santé et l'environnement"; ou encore dans le cadre "du droit à l'information des salariés ou leurs représentants".
Pour répondre "aux craintes exprimées par les journalistes et les lanceurs d'alerte" sur les procédures dites "bâillon", des "sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive" ont été ajoutées, à l'initiative du rapporteur en commission.
L'amendement adopté prévoit une amende civile qui pourra aller jusqu'à 20% du montant de la demande de dommages et intérêts (ou jusqu'à 60.000 euros en l'absence de demande).