Si la France n’est pas un pays du Sahara, loin sans faut, la question de l’eau y est toutefois de plus en plus inquiétante. Les nappes phréatiques, réservoirs naturels d’eau et principale source d’eau potable en France, ont atteint des niveaux historiquement bas pour la saison. En cause, un hiver trop sec marqué par des déficits pluviométriques de 30 à 40 % - atteignant jusqu’à 80 % dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Avec un été annoncé « chaud, voire très chaud », ces réservoirs censés alimenter les cours d’eau lorsqu’il ne pleut pas risquent d’être asséchés plus tôt que les autres années.
Pour Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences en géographie, au déficit pluviométrique s’ajoute un déficit du manteau neigeux : « On est dans le deuxième plus faible manteau neigeux depuis 1959. » Par conséquent, « les cours d’eau ne seront pas alimentés par la fonte des neiges ». Cette absence de précipitations a des conséquences immédiates sur la recharge des nappes phréatiques qui va elle-même avoir une importance sur les cours d’eau.
Parmi les 15 départements touchés par la sécheresse, le Maine-et-Loire, la Vienne, les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime, la Charente, l’Ain, la Drôme, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse ont dépassé le seuil d’alerte : « Aussi tôt dans l’année, c’est unique » réagit Magali Reghezza-Zitt. Selon Météo-France, cet épisode de chaleur est en effet « remarquable par sa précocité, sa durabilité et son étendue géographique. »
Les récoltes françaises menacées par la sécheresse
Les cultures céréalières sont particulièrement menacées par la sécheresse. Magali Reghezza-Zitt rappelle que ce déficit pluviométrique « intervient au moment où les cultures sont montées en rendement, au moment où elles sont en train de croître ». En d’autres termes, l’épisode de sécheresse intervient au stade du grossissement du grain, là où sans eau, l’engrais nécessaire reste au sol et ne peut pas monter dans la tige. Ainsi, la géographe estime que trois-quarts de l’orge et la moitié du blé seraient concernés par les pertes de rendement liées à la sécheresse.
La géographe précise que cette sécheresse touche les bassins de production céréaliers en France mais aussi en Pologne et en Allemagne : « C’est donc un problème qui touche toute l’Europe. »
Ces extrêmes sécheresses vont augmenter dans les prochaines années
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique que le risque d’extrême sécheresse va augmenter dans les prochaines années. Il compte parmi les quatre risques majeurs pour l’Europe, avec les vagues de chaleur, la remontée du niveau marin et les épisodes de pluie intense.
Les préconisations du GIEC sont alarmantes : plus le réchauffement global sera important, plus la fréquence des événements de ce type augmentera. Magali Reghezza-Zitt explique : « Chaque dixième de degré compte : sur une vague de chaleur ou des épisodes caniculaires – différents des sécheresses –, on sait qu’une canicule comme celle de 2019 a aujourd’hui une chance sur cinquante de se produire ; à +1.5C° degré, c’est une chance sur dix et à +2 C°, c’est une chance sur 4. »
« Dans dix ans, on aura des hivers de plus en plus courts, des printemps de plus en plus précoces et des étés de plus en plus longs. »
La chercheuse estime que ces épisodes de sécheresse de plus en plus récurrents auront quatre types de conséquences.
Une première sur l’agriculture, qui a déjà souffert en janvier avec les gelées tardives sur les bourgeons précoces : « Dans dix ans, on aura des hivers de plus en plus courts, des printemps de plus en plus précoces et des étés de plus en plus longs. » Les prix agricoles vont donc augmenter, avec des répercussions sur le pouvoir d’achat.
Mais aussi un impact majeur sur les forêts, qui sont « un puits de carbone naturel pour la France ». Elle explique : « Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre que la France s’est fixée ne pourront pas être atteints si les forêts vont mal. » Elle évoque une troisième conséquence sur les sols argileux et donc sur les bâtiments privés et publics (écoles, hôpitaux publics, patrimoine historique…) « ce qui implique des travaux et donc de prévoir un accompagnement des assurances ou des indemnités pour couvrir ces frais ».
Et enfin, la sécheresse impactera évidemment l’approvisionnement en eau et donc tous les secteurs, au-delà de l’agriculture : industrie, énergie, tourisme, activités quotidiennes, transfert d’eau (pour lesquels on n’a pas les infrastructures à l’échelle nationale).
« Dans les années qui viennent, les Français vont connaître une probable baisse de leur pouvoir d’achat. »
La géographe explique que le réchauffement climatique – combiné à la guerre en Ukraine -, impacte les cultures agricoles, les rendements des agriculteurs et réduit la production. Tout cela a donc des conséquences directes sur le pouvoir d’achat des Français : « On n’est plus dans une guéguerre entre scientifiques : on se rend compte que le réchauffement climatique a un impact sur le pouvoir d’achat. Dans les années qui viennent, les Français vont avoir une probable baisse du pouvoir d’achat. »
Tous les secteurs sont concernés par la sécheresse : « On a besoin de planification écologique »
Pour Magali Reghezza-Zitt, l’adaptation au réchauffement climatique n’est pas seulement un problème écologique : « Les ministères de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, des transports, de l’industrie, de l’énergie, et évidemment Bercy : tous sont concernés. » Elle prend pour exemple la canicule de l’été 2019 : « Si un été sur quatre, il y a une canicule comme celle de 2019, cela signifie qu’on ne peut pas faire passer des examens, par exemple, car on ne peut pas tout faire climatiser. » Elle conclut : « Il faut vraiment adapter et repenser toute notre vie collective : il y a des conséquences majeures sur la santé publique, la sécurité sociale, l’emploi. Quand on observe ce qui s’est passé l’été dernier au Canada, on se rend compte que ces événements impliquent un ensemble de dysfonctionnements : restaurants fermés, chantiers en arrêt, impact sur le tourisme… »
Repenser notre vie collective, c’est aussi réfléchir au rôle et à la formation des forces de sécurité civile face à ces périodes de sécheresse récurrentes : « Cette sécheresse, qui peut se combiner aux vagues de chaleur, fait que le risque d’incendies augmente, y compris dans le nord de la France. On peut tout à fait imaginer des feux comme en Californie (en 2018). Il y aura donc des répercussions sur les forces de sécurité civile, sur le rôle et la formation des militaires. » La chercheuse fait état d’un passage de 7 jours de canicule par an à 23 jours en 2030 « C’est demain ! On a besoin de plans d’adaptation beaucoup plus robustes, c’est pour ça qu’on a besoin de planification écologique. »
Emmanuel Macron a annoncé vouloir faire de son futur mandat un « quinquennat écologique » ; pour preuve, le chef du prochain gouvernement sera ainsi chargé de « la planification écologique ». Si certains voient là un effet d’annonce, sans nul doute la question cruciale de l’eau devra-t-elle être une priorité de son agenda. C’est là une attente forte des agriculteurs comme des associations et, d’une manière générale, un sujet de plus en plus crucial pour les citoyens.