Un problème de timing
« Y avait-il urgence à se déclarer candidat ? » se demande le sénateur communiste Éric Bocquet. « Je ne suis pas convaincu de l’opportunité de cette annonce dans le contexte actuel. Il y a une crise sanitaire et une grave crise sociale » regrette l’élu du Nord, qui dit néanmoins « prendre acte » des annonces de Jean-Luc Mélenchon dimanche 8 novembre. Un problème de timing que relève également la vice-présidente du nouveau groupe écologiste Esther Benbassa : « Il a décidé d’officialiser sa candidature dans cette période très compliquée. C’est son droit. Peut-être que ce n’est pas le meilleur moment pour le faire. Mais il n’y a peut-être jamais de bon moment pour se déclarer candidat », relativise la sénatrice de Paris.
Sans surprise, l’annonce de la candidature de l’ancien sénateur socialiste de l’Essonne (entre 1986 et 2000, puis entre 2004 et 2010) a été accueillie froidement par ses anciens camarades. « Jean-Luc Mélenchon a réuni 7 millions de voix en 2017. Il est donc légitime qu’il aspire à être candidat. Mais cette annonce est anachronique. Nous faisons face à une crise sanitaire et sociale, il y a un temps pour tout » selon le patron du groupe socialiste Patrick Kanner. Certains tentent de comprendre les raisons de cette candidature précoce: « Il accélère son calendrier par peur que sa participation à l’élection soit contestée au sein de son propre parti. Est-ce qu’il y avait plus mauvais moment pour lancer une candidature ? » fait mine de se demander le sénateur de Paris Rémi Féraud (PS).
Moins philosophe, François Patriat voit lui une « forme d’indécence » à se déclarer candidat dans un contexte de « triple crise, sanitaire, économique et sécuritaire ». Le président du nouveau groupe de la majorité présidentielle au Sénat (RDPI) dénonce une « envie de revanche » de la part du leader de La France insoumise, après ses défaites de 2012 et 2017.
La question de la méthode
Formellement néanmoins, Jean-Luc Mélenchon n’est pas encore candidat. Le tribun de 69 ans a en effet conditionné sa « candidature définitive » à une « investiture populaire » : 150 000 personnes devront « parrainer » sa participation à la course présidentielle par le biais d’une plateforme numérique (Nous sommes pour). Ce qui ne devrait pas poser de problème. Quelques heures après le lancement du site internet, la barre des 80 000 signatures avait déjà été franchie.
La méthode suscite cependant quelques railleries au Palais du Luxembourg : « Il a voulu marquer son terrain avec un gadget, le gadget des parrainages… 150 000 signatures seulement ? C’est petit bras ! 1 million de signatures ça aurait eu de la gueule. Soit vous demandez un véritable soutien populaire, soit c’est de la communication, et cela ne sera rien », déplore Patrick Kanner. Le patron des socialistes au Sénat pointe également du doigt l’absence d’esprit collectif chez Jean-Luc Mélenchon: « Sans union, la candidature de Mélenchon est une candidature de témoignage ». Le seul moyen pour la gauche de gagner en 2022 est de se rassembler ». Autrement dit, d’envisager une forme d’union de la gauche. Un avis largement partagé au sein de la gauche sénatoriale : « Il est l’heure de construire des ponts, pas de faire cavalier seul » pour la sénatrice Génération.s Sophie Taillé-Polian. « Je ne suis pas surprise par la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Mais sa méthode laisse peu de place à une convergence des forces de la gauche. Tout le monde doit reconnaître la nécessité d’avancer sur un projet commun », ajoute celle qui a rejoint en septembre le nouveau groupe écologiste au Sénat.
Malgré ces réserves, la plupart des élus voient dans Jean-Luc Mélenchon une voix importante au sein de la famille de gauche. « On ressent actuellement un besoin très fort de radicalité dans la population. Et Mélenchon est le seul à l’incarner. À gauche, il est le seul à encore parler aux classes populaires, et il peut élargir sa base électorale pour 2022 » souffle un parlementaire. À dix-huit mois de l’élection présidentielle, le bras de fer est bien lancé à gauche.