« Si la situation le nécessite, 12 000 lits de réanimation pourront être disponibles », affirmait le ministre des Solidarités et de la Santé fin août. À en croire les anesthésistes réanimateurs auditionnés ce 14 octobre en fin d’après-midi devant la commission d’enquête du Sénat sur la gestion des épidémies en France, la signification réelle du chiffre est pour le moins discutable. « La capacité de 12 000 est possible, en termes de lits identifiés : ce sont les lits armés au cours de la première vague. Mais il y a un problème de personnel », a mis en garde le professeur Éric Maury, président de la société de réanimation de langue française. « Sans déprogrammation, je ne comprends pas très bien comment on pourra faire fonctionner ses unités de réanimation au plan du personnel. Sans déprogrammation des soins, on est à notre capacité maximale », a-t-il ajouté. « Le problème, c’est un problème de personnels. Les structures, les respirateurs, on les a. »
Chaque lit nécessite du personnel, formé. Pour cinq patients placés en réanimation, il faut deux infirmières, ainsi qu’un aide-soignant pour quatre patients, « ainsi qu’un nombre conséquent de médecins », a listé Marc Leone, chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital universitaire de Marseille.
La France compte 5700 lits de réanimation de manière permanente sur son territoire. Selon les professionnels, le chiffre pourrait même s’élever à 6300, sans un manque chronique de personnels. « On peut monter théoriquement jusque 10 à 12 000 lits, mais nous n’aurons pas le personnel à mettre en regard », a confirmé Marc Leone. Selon lui, les lits de réanimation occupés par des patients Covid-19 représentent actuellement 30, voir même 40 % des places actuelles. « Les 50 % qui restent sont occupées par des patients non Covid ». Éric Maury a indiqué qu’au plus fort de la crise au printemps, on comptait plus de 7000 patients Covid-19 en réanimation. Auquel il fallait ajouter des patients non atteints du coronavirus.
« On est arrivés au bout de ce qu’on peut faire »
Patrick Pelloux, le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUF), lui aussi présent à l’audition, a considéré que la deuxième vague serait « une autre paire de manches » pour le système hospitalier. « On est arrivé au bout de ce qu’on peut faire », a-t-il alerté, rappelant que la vague est cette fois-ci nationale, et que les renforts de personnels d’une région à l’autre ne seront pas envisageables. « Les réserves, on ne les a pas ! » s’est-il exclamé, indiquant que le Service de santé des armées (SSA) était lui aussi « exsangue ».
Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence a, elle, insisté devant les sénateurs que tout engorgement dans les services de réanimation se traduirait par des patients qui « stagnent dans les urgences », entraînant des complications et des décès. « Cela entraîne une surmortalité de 9% de l’ensemble, et 30 % chez les formes les plus graves », a-t-elle affirmé. Le docteur Marc Leone, qui était encore de garde la nuit dernière, a expliqué que la typologie des patients n’avait pas changé par rapport au printemps. « Ce sont les mêmes que lors de la première vague ». Il a d’ailleurs rappelé que le manque de médicaments qui s’est fait sentir lors de la première vague aurait pu être très préjudiciable aux services. « Heureusement, la première vague s’est arrêtée à la limite du moment où on n’avait plus de produits d’anesthésie pour assurer la sédation de ces patients. À quinze jours près. »
« Arrêtons de dire qu’il y a 10 000 lits en Allemagne ! »
Au cours de ses interventions, Hervé Bouaziz président de la Société française d'anesthésie-réanimation, a également cherché à tempérer la comparaison avec l’Allemagne, sur les capacités en lits de réanimation. « Les Allemands disaient que s’ils avaient eu à faire face à la même vague qu’en France, ils auraient eu un problème de personnel. Arrêtons de dire qu’il y a 10 000 lits en Allemagne ! » Le professeur a par ailleurs indiqué que des leçons avaient été tirées depuis la première vague, notamment pour mieux gérer et identifier les déprogrammations de soins.
Face au discours inquiétant sur les risques de comorbidité, induits par le retard des prises en charge et des opérations repoussées, plusieurs sénateurs ont pâli. « C’est une audition redoutable de lucidité. Cela fait mal d’entendre ce qu’on entend sur les constats et sur cette solution qui n’en est pas une. On sait bien que c’est ce que vous ne souhaitez pas. »
L’audition a été l’occasion pour certains participants de faire passer des messages. « On a besoin aujourd’hui de la population pour aider à la prendre en charge. Pour diminuer la propagation de l’épidémie. On ne va pas trouver des soignants dans des pochettes-surprises », a prévenu Agnès Ricard-Hibon. Paraphrasant l’un de ses confrères, Marc Leone a qualifié la réanimation d’ « illusion ». « Si des mesures ne sont pas prises en amont, elle sera comme la ligne Maginot. Elle ne servira à rien. »