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Saisine du Conseil constitutionnel : pourquoi Giscard a-t-il donné plus de pouvoirs à l’opposition ?
Par Public Sénat
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Troisième président de la Ve République, Valéry Giscard d’Estaing a, dès son arrivée au pouvoir, mené un train de réformes libérales : abaissement de la majorité à 18, droit à l’avortement, divorce par consentement mutuel… Moins marquante pour l’opinion publique, la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974, qualifié de « gadget » à l’époque sera pourtant un tournant. En ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs, l’opposition parlementaire va disposer désormais d’un moyen inédit pour mettre en cause le programme législatif du gouvernement ou de sa majorité. Jusque-là, seul le Président de la République, le Premier ministre, et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat disposaient de ce pouvoir.
« N’oublions pas que Valéry Giscard d’Estaing est le premier Président minoritaire de la Ve République » rappelle le constitutionnaliste, Jean-Philippe Derosier. En 1974, le président de la République élu n’est, en effet, pas issu du principal groupe politique à l’Assemblée nationale, les gaullistes.
Mais les motivations de cette réforme sont-elles uniquement à chercher dans la volonté du Président, qui voulait « décrisper la vie politique » et ainsi élaborer un statut de l’opposition ?
D’autres raisons politiques et juridiques en sont à l’origine.
La décision du 16 juillet 1971
La révision constitutionnelle de 1974 intervient trois ans après une célèbre décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 relatif à la liberté d’association. Par cette décision, les Sages de la rue Montpensier intègrent dans le bloc de constitutionnalité le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
« Dans la logique institutionnelle de Michel Debré et de de Gaulle, le Conseil constitutionnel était un régulateur de compétences entre les pouvoirs législatif et exécutif répartis entre l’article 34 et 37 de la Constitution. Ce n’était pas le gardien des droits et libertés comme maintenant. La décision de 1971 et la révision de 1974 vont entraîner la judiciarisation du Conseil. » appuie Jean-Philippe Derosier.
« Il y avait une forme de cohérence à accorder la possibilité aux parlementaires de l’opposition de se saisir des questions relatives aux libertés publiques. S’il n’y avait pas eu la décision de 1971, je doute qu’il aurait réformé la saisine » souligne Pascal Jan, constitutionnaliste, auteur d’une thèse sur la saisine du Conseil constitutionnel.
« La raison cachée »
Pascal Jan évoque également « une raison cachée » politique qui fait d’ailleurs suite à la décision de 1971. « Ce qui transparaît dans les débats parlementaires de l’époque, c’est la crainte pour le gouvernement de voir porter atteinte aux libertés économiques comme la liberté d’entreprendre. C’était une façon de prévenir une arrivée au pouvoir de la gauche aux législatives de 1978 dont le programme commun prévoyait, entre autres, la nationalisation d’entreprises ».
« Transformer des défaites politiques en victoires juridiques »
Paradoxalement, en 1974, la gauche combattait cette réforme. Lors du Congrès, le député socialiste André Chandernagor qualifiait la révision constitutionnelle « d’inopportune, dérisoire, inadéquate enfin aux problèmes particuliers qu’elle prétend résoudre ».
« Le Conseil constitutionnel était considéré par la gauche comme un organe politique composé de personnalités proches du pouvoir. De plus, dans leur programme, ils avaient prévu une Cour Suprême. Par la suite, ils vont réaliser que le Conseil se montrera impartial. Ils vont pouvoir transformer des défaites politiques en victoires juridiques » ajoute Pascal Jan.
De 1974 à 1976, le Conseil constitutionnel sera saisi plus souvent que lors des seize années précédentes. De 1958 à 2020, les députés l’auront saisi 447 fois, les sénateurs 313 fois contre 51 fois pour le président de la République et 190 fois pour le Premier ministre.
« Cette réforme du mode de saisine a également eu une incidence sur les débats parlementaires où l’on retrouve régulièrement des argumentations constitutionnelles ce qui n’existait pas avant. C’est une mise en garde faite au gouvernement qui annonce bien souvent une saisine. Le Conseil constitutionnel peut ainsi préparer ses décisions en amont » relève Pascal Jan.
Valéry Giscard d’Estaing « n’a jamais signé une décision QPC »
La révision constitutionnelle de 2008 permet à toute personne ou instance parties à un procès, de saisir le Conseil constitutionnel pour soutenir qu’une disposition législative qui pourrait porter atteinte aux droits et libertés, via la question prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Depuis sa mise en place, on en dénombre 871. « Valéry Giscard d’Estaing était contre la question prioritaire de constitutionnalité. Il considérait que le Conseil n’était pas une Cour et que les particuliers n’y avaient pas leur place. En tant que membre de Conseil constitutionnel, il a participé à de nombreuses décisions DC (Contrôle de constitutionnalité), mais jamais, il n’a signé une décision QPC » rappelle Philippe Derosier.