Certaines archives ont une saveur particulière, en politique. Samedi, Edouard Philippe a dégainé par surprise le 49-3 sur la réforme des retraites. On voyait mal comment le gouvernement allait se passer de cette arme législative que lui donne la Constitution, mais c’est le timing – le jour d’un Conseil des ministres spécial sur le coronavirus – auquel on ne s’attendait pas.
« J'ai décidé d'engager la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi instituant un système universel de retraite. Non pour mettre fin aux débats mais pour mettre fin à cet épisode de non-débat » a justifié Edouard Philippe devant les députés, et « permettre à la suite du processus législatif de s'engager ».
Mais la magie de la politique, c’est parfois de constater l’évolution des prises de position, en quelques années. En juin 2016, Edouard Philippe, alors député LR d’opposition et soutien d’Alain Juppé, n’avait pas tout à fait la même vision du 49-3. Invité le 15 juin 2016 de Public Sénat, le futur premier ministre rejette alors avec force le recours au 49-3 sur la loi El Khomri par le gouvernement Valls.
« Ce gouvernement est totalement débordé par les événements »
« Si le gouvernement choisit une fois encore, à l’Assemblée, d’avoir recours au 49-3, c’est-à-dire à un texte (…) qui ne permet même pas aux députés de discuter le texte, la sanction automatique, prévue par la Constitution lorsque le gouvernement refuse la discussion aux députés, c’est évidemment le dépôt d’une motion de censure, il n’y a rien de surprenant là-dedans » estimait alors Edouard Philippe. Il ajoutait :
Le 49-3 n’a jamais été une arme destinée à museler l’opposition. C’est une arme destinée à museler la majorité. C’est quand le gouvernement n’a pas de majorité à l’Assemblée, quand il n’est pas sûr de faire adopter un texte par l’Assemblée, qu’il utilise le 49-3.
Aujourd’hui, le gouvernement fait pourtant le contraire sur la réforme des retraites. Il choisit le passage en force législatif pour mettre un terme à la stratégie d’obstruction assumée par LFI et le PCF, et non pour forcer une majorité récalcitrante, comme sous François Hollande.
Edouard Philippe continuait ainsi : « Est-ce à la hauteur des enjeux aujourd’hui ? Bien entendu, non. Mais est-ce que vous voulez accepter, lorsque vous êtes député de l’opposition, ce gouvernement qui est totalement débordé par les événements ? Il est débordé par le délitement de sa propre majorité. Il est débordé par la situation sécuritaire. Il est débordé par la crise sociale. Ce gouvernement est débordé » assénait l’ancien député-maire du Havre. Et de conclure : « Vous ne pouvez pas non plus nous demander d’accepter tout et n’importe quoi et de soutenir un gouvernement qui est débordé de son propre fait ». Il faudrait qu’Edouard en parle aujourd’hui à Philippe.