Le discours du Premier ministre devant le Cese devait clarifier les choix du gouvernement sur sa réforme des retraites. Il ne l’a été qu’en partie, car il reste encore des interrogations majeures et des questions cruciales à négocier. On sait désormais qui sera concerné par le projet de système de retraite à points. Les personnes nées dans la période allant de 1975 à 2003 y entreront en 2037. Et dès la génération 2004, ce passage s’effectuera dès 2022.
Les choses sont différentes pour l’instauration d’un âge pivot, l’âge en dessous duquel les Français qui décident de partir à la retraite verront leur pension diminuée d’un malus. Le gouvernement propose de fixer progressivement cet âge pivot à 64 ans en 2027. Par rapport à ce préconisait le rapport Delevoye, l’objectif d’équilibre du futur système universel de retraites est donc repoussé de deux ans. L’âge pivot est la solution centrale retenue par l’exécutif pour équilibrer les comptes du futur système, le franchissement de cette « ligne rouge » a fait basculer la CFDT dans la mobilisation contre la réforme.
L’âge pivot, principale mesure d’économies, crispe les relations entre le gouvernement et la CFDT
Ce jeudi matin, tous les ministres ont occupé les matinales pour préciser que ce point pouvait être négocié, étant donné que les partenaires sociaux seront appelés à assurer l’équilibre du régime. « C’est à eux de nous apporter la preuve qu’il existe des meilleures solutions », a par exemple déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. En réalité, la marge de manœuvre est étroite et beaucoup, comme le patronat, n’imaginent pas une seconde d’augmenter les cotisations retraites. Sans idée nouvelle, ce sera bien le choix du gouvernement qui sera retenu.
Pour le sénateur LR René-Paul Savary, spécialiste des retraites, la question de l’âge pivot pourrait être une stratégie délibérée du gouvernement dans la négociation avec les partenaires sociaux. Et aussi une « façon masquée » de rester dans la promesse présidentielle de ne pas toucher à l’âge légal de départ à 62 ans. « Le gouvernement sait très bien qu’en créant l’âge pivot, il braque la CFDT. Il a une idée derrière la tête, il va abandonner l’âge pivot. »
« C'est la première réforme des retraites qui va coûter », reproche Gérard Larcher
Ce parlementaire qui siège au sein du COR, le Conseil d’orientation des retraites, considère que s’appuyer sur une croissance plus élevée et une décrue du chômage « peut tenir », sur le papier. « Mais c’est une prise de risque énorme », avertit-il. Selon les projections du COR, le déficit du régime des retraites actuel, sans réforme, sera compris entre 8 et 17 milliards en 2025. Et les perspectives ne sont guère optimistes non plus pour les années 2030, compte tenu de la démographie. « Une somme relativement épaisse, mais pas tant que ça. On est sur l’épaisseur du trait », relativise René-Paul Savary.
Le reste de l’architecture de la réforme voulue par Emmanuel Macron inquiète la droite sénatoriale depuis un moment. L’exercice d’Édouard Philippe, hier, n’a rien changé. « C'est la première réforme des retraites qui va coûter », a alerté le président du Sénat, Gérard Larcher, dans notre matinale. Le nouveau système coûtera « plus cher », affirme également René-Paul Savary. Pour les sénateurs, c’est la phase de transition entre l’ancien et le nouveau système qui va peser sur les finances publiques. De nombreux salariés seront à cheval sur le régime actuel et le régime à points : comment convertir les droits qu’ils ont accumulé en points, sans faire de perdants ? Car – c’est logique – les périodes de travail retenues ne sont pas les mieux rémunérées de la carrière. Les jeunes actifs sont particulièrement touchés. D’où l’idée d’instaurer des compensations en rémunération pour garantir une forme d’équité.
La compensation des enseignants « va coûter du blé », admet un responsable de la majorité présidentielle
La question est soulevée depuis longtemps par les enseignants. L’intégration de primes (plus faibles que chez d’autres fonctionnaires) dans le calcul de leur retraite, et surtout la prise en compte de la totalité de la carrière au lieu de la fin de carrière dans le calcul de la pension, va devoir être compensé par l’État pour éviter une dégradation trop brutale des pensions. Sans correctif, celle-ci pourrait atteindre jusqu’à 30 % du niveau actuel de leurs pensions, selon les syndicats (relire notre article). Le gouvernement évoquait la semaine dernière un surcoût pour les finances de l’État de 400 millions d’euros par an. À Rodez, en octobre, le chef de l’État évoquait une revalorisation sur plusieurs années qui, bout à bout, pourrait se chiffrer, selon lui, à « dix milliards d’euros ». Mercredi, lors des questions d’actualité au gouvernement, le sénateur LR Philippe Dallier a demandé une réponse précise au gouvernement. « Je n’ai pas eu de réponse », a-t-il déploré sur notre antenne.
« Ce que je vois s’accumuler, ce sont les factures que ce gouvernement va laisser après 2022 » (Dallier)
« Ce que je vois s’accumuler, ce sont les factures que ce gouvernement va laisser après 2022 », note Philippe Dallier
Et qui à profitera ces revalorisations salariales ? La totalité du corps enseignant ou seulement les jeunes générations ? « On n’est pas dans une augmentation de tout le monde », nous a indiqué ce jeudi un responsable de la majorité présidentielle, convaincu que cette question « va coûter du blé ». Pour le sénateur LR René-Paul Savary, ces différences de traitement pourraient se révéler inconstitutionnelles.
« C’est d’une complexité inouïe », s’alarme le sénateur LR René-Paul Savary
Les conséquences de la transition vers un système à points vont aussi se poser pour d’autres catégories de travailleurs, dont la progression salariale varie fortement au cours du temps. Les conversions de points et la phase de transition vont également être délicates pour le cas des cheminots. Hier, Édouard Philippe a annoncé que la première génération concernée par le nouveau système sera celle de 1985. « On maintient des régimes pendant plus de 20 ans », souligne René-Paul Savary.
L’économiste Antoine Bozio, l’un des théoriciens d’un régime par points qui a inspiré le programme d'Emmanuel Macron, s’alarme dans deux quotidiens ce jeudi : on ne verra « pas les bénéfices [de la réforme pour un système universel] avant longtemps ».
René-Paul Savary en est convaincu, la France « aurait dû attendre » avant de se lancer dans une réforme systémique des retraites, au vu d’un contexte politique explosif et d’un déficit étatique important. Pour lui, le pays aurait dû s’en tenir à une réforme paramétrique (donc purement budgétaire). « On a découvert les problèmes de la transition ces deux dernières années, c’est d’une complexité inouïe. »