Depuis la rentrée, l’exécutif doit faire face à une certaine tension sociale, avec pour principal front le refus de la réforme des retraites par points et la fin des régimes spéciaux. Il y a 10 jours, la piste d’un report ou plutôt d’un étalement, selon les professions, de l’entrée en vigueur de la réforme prenait corps. Un début de recul ? Dans un entretien à RTL lundi matin, Emmanuel Macron a voulu montrer que son volontariste était intact.
« Je veux aller au bout de cette réforme, je pense qu'elle est nécessaire pour le pays, donc je la défendrai. Peut-être ça me rendra impopulaire, peut-être que des gens diront "c'est insupportable", "tout ça pour ça". Je ferai tout pour qu'il n'y ait pas ces blocages, je ferai tout pour qu'on soit en soutien de nos compatriotes qui seraient bloqués, mais je n'aurai aucune forme de faiblesse ou de complaisance » a prévenu le chef de l’Etat. De là à dire qu’il reste droit dans ses bottes… Mais vouloir avancer coûte que coûte n’est pas sans risque. En 1995, Alain Juppé en a fait l’amère expérience. Emmanuel Macron a cependant admis qu’« il faut donner du temps à la transition », faisant référence à la volonté d’étaler la réforme.
Ebullition
Autre front : l’hôpital. « Il va falloir qu'on remette des moyens » pour les urgences, a assuré le Président, alors que la ministre de la Santé a promis en septembre 750 millions d’euros. Une grande manifestation est prévue le 14 novembre par les personnels hospitaliers, à Paris.
Mais le plus costaud, pour l’exécutif, s’annonce avec le mouvement du 5 décembre, où CGT, FO, FSU et Solidaires ont appelé à « une première journée » de grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites, rejoignant les syndicats de la SNCF et de la RATP. Le mouvement lié au droit de retrait, après un accident survenu avec un TER, puis maintenant la grève qui touche la gare Montparnasse, en raison de l’arrêt de travail de cheminots d’un centre de maintenance, montrent que le SNCF est une véritable marmite. « Ils voient bien qu’il y a une ébullition en dessous » pense un sénateur.
« Edouard Philippe a toujours été dubitatif sur les retraites »
De quoi inquiéter le gouvernement et la majorité, qui se retrouvent en réalité partagés sur l’attitude à suivre. Le spectre d’un mouvement social d’ampleur est dans toutes les têtes. Avant la dernière prise de parole d’Emmanuel Macron, un député de la majorité préconisait ainsi :
« Sur les retraites, tout le monde a le souvenir de 1995. Ne refaisons pas le "droit dans mes bottes" » (un député LREM)
Le premier ministre lui, en ancien juppéiste, ne semble pas pressé non plus sur cette réforme. « Edouard Philippe est très prudent. Il voit qu’il y a une forme de fragilité sociale. Il est extrêmement prudent sur le sens des réformes. Il a toujours été dubitatif sur les retraites » souligne un sénateur centriste. La crainte de l’exécutif serait une convergence des luttes.
« On peut craindre un mouvement social relativement dur »
« On peut craindre un mouvement social relativement dur d’ici la fin de l’année. On voit bien qu’à la SNCF et la RATP, c’est un peu leur dernière carte. La question, c’est de savoir si ce mouvement peut se propager » estime le sénateur LR de Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier. « Mais comme le gouvernement reste dans le flou et reporte après les municipales les éclaircissements nécessaires, ils vont essayer de déminer comme ça » ajoute le vice-président du Sénat.
Pour le sénateur PS du Val-d’Oise, Rachid Temal, l’exécutif tiendrait une forme de double langage. « Il y a une première annonce où on dit "on reporte". Et là, il dit "je suis ferme sur la forme et souple sur le fond". Quand on est Président, ce n’est pas comme ça qu’on doit agir. Il faut entendre les syndicats qui disent que ça ne marche pas et avoir sur le fond une vraie concertation ». Selon le socialiste, « il n’y a pas de problème majeur tout de suite, car ils sont prêts à reculer l’entrée en vigueur de la réforme. Si c’est pour dire "je suis réformateur", ça ne vaut pas le coup de casser le modèle social. Il faut arrêter la stratégie du coup de menton ». Une stratégie d’autant plus risquée qu’elle risque de tendre tout le monde, syndicats comme salariés.
Le porte-parole du groupe PS du Sénat appelle à « suspendre » la réforme. Rachid Temal ajoute :
« Ne ne tombons pas dans le fétichisme de la date. Il faut que Macron sorte du "je ne bougerai pas", qu’il pose son sac à dos, qu’il boive frais, qu’on mette tout le monde autour de la table et qu’on discute ».
Pour Philippe Dallier, le gouvernement est déjà « en train de reculer sur différents points, comparé à ses annonces d’origine. L’idée d’avoir un système unique pour tout le monde a du plomb dans l’aile. La question c’est de savoir jusqu’où fait-il machine arrière ». Les avocats ont déjà eu gain de cause sur un point. Dans le cadre de l’examen du budget de la Sécu, à l’Assemblée, une mesure prévoyait un alignement des modalités de revalorisation des pensions de base des avocats sur celles des autres pensions de retraite. Devant la fronde, le gouvernement a déposé lui-même un amendement supprimant cette disposition. Mais ce ne sera pas suffisant. Les avocats demandent toujours de conserver leur régime de retraite spécifique.
« A chaque fois qu’il y a une grève, on pétoche » regrettait il y a 10 jours sur publicsenat.fr Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur Modem du budget de la Sécu au Sénat. A mi-mandat, l’exécutif est peut-être à la croisée des chemins avec la réforme des retraites. Tout l’enjeu pour Emmanuel Macron sera de montrer qu’il continue de réformer, le gouvernement faisant du réformisme l’un de ses marqueurs, tout en sachant lâcher ce qu’il faut de pression, pour que la marmite ne lui explose pas à la figure.