Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Répression du 17 octobre 1961 : « J’espère que le mot crime sera utilisé », demande Benjamin Stora
Par Public Sénat
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« Massacre ? » « Crime d’Etat ? », « Répression meurtrière ? » Quels mots pour qualifier la nuit du 17 octobre 1961. C’est la lourde tâche qui attend le chef de l’Etat, ce week-end pour le 60e anniversaire d’un drame longtemps passé sous silence.
Cette nuit-là, alors que la fin de la guerre d’Algérie se profile, une manifestation pacifique est organisée à Paris par FLN (Front de Libération National) contre le couvre-feu imposé « aux Français musulmans d’Algérie ». Elle est réprimée dans le sang par la police française dirigée par le préfet, Maurice Papon. 12 000 manifestants sont arrêtés et transférés Palais des sports, au Parc des expositions et au stade Pierre-de-Coubertin. Des manifestants sont tués par balles dans la rue, exécutés dans la cour de la Préfecture de Police, d’autres seront jetés dans la Seine. Le nombre de victimes n’est à ce jour, pas formellement établi.
Seuls deux présidents de la République se sont exprimés officiellement sur ce drame
Samedi 16 octobre, pour la première fois un président de la République se rendra à une cérémonie de commémoration. Emmanuel Macron est attendu dans l’après-midi sur le pont de Bezons (Val d’Oise) où des dizaines de d’immigrés algériens ont été tués par les forces de l’ordre.
La déclaration d’Emmanuel Macron sera scrutée de près. Début 2020, le chef de l’Etat avait affirmé vouloir faire de la guerre d’Algérie « le défi mémoriel » de son quinquennat. Un enjeu qui, expliquait-il, a « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ».
En 60 ans, seuls deux présidents de la République se sont exprimés officiellement sur ce drame. « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », avait écrit François Hollande dans un communiqué en 2012.
En 2018, Emmanuel Macron avait tweeté : « Le 17 octobre 1961 fut le jour d’une répression violente de manifestants algériens. La République doit regarder en face ce passé récent et encore brûlant ».
Pour l’historien, Benjamin Stora qui a remis un rapport au chef de l’Etat destiné à ouvrir la voie à la réconciliation des mémoires, il s’agit maintenant d’aller plus loin. « « J’espère que le mot crime sera utilisé. Parce que c’est un crime qui a été commis en 1961 […] Je pense qu’il faut avancer un petit plus sur la reconnaissance de cette tragédie qui est inexcusable, dans la mesure où il y a eu beaucoup de morts par balles, ce soir-là à Paris beaucoup de blessés, beaucoup d’arrestations. 12 000 arrestations, c’est considérable. Ça veut dire qu’il y avait une logistique de répression », rappelle-t-il en marge d’un colloque organisé au Sénat par la Ligue des Droits de l’Homme, sur la reconnaissance du 17 octobre 1961.
« Je raccroche. Ce sujet me met de mauvaise humeur »
Mais depuis la remise du rapport Stora au début de l’année, l’exécutif avance sur la pointe des pieds sur la question mémorielle et ne parvient pas à trouver un chemin entre repentance et réconciliation des mémoires. Le terrain est d’autant plus miné en cette pré période électorale où la droite et l’extrême droite fustigent fermement tout ce qui pourrait aller à l’encontre d’un récit national positif. « Qu’est ce qui s’est passé le 17 juin 1961 ? C’est une manifestation du FLN. Voilà tout est dit. Le chef de l’Etat veut-il poursuivre la préfecture de police pour crime contre l’Humanité ? De quoi décourager un peu plus les jeunes à s’engager dans la police. Je raccroche. Ce sujet me met de mauvaise humeur », lâche un cadre du groupe LR du Sénat.
Jean Castex lui-même avait fermé la porte à toute repentance sur le passé colonial français. « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais pas quoi encore ? », lançait-il l’année dernière.
>> Lire notre article: Propos sur la colonisation : un « en même temps » au sommet de l’État ?
Une proposition de loi pour reconnaître la responsabilité de la France
Au Sénat, le groupe socialiste a déposé une proposition de loi cette semaine visant à reconnaître « la responsabilité de la France dans la répression de manifestants algériens » et à inscrire la date le 17 octobre 1961 comme journée de commémoration nationale. « Il ne s’agit pas d’être dans la repentance. Mais nous avons besoin de cette commémoration et de cette reconnaissance de la France dans cette répression pour que la mémoire soit apaisée », explique le sénateur Rachid Temal, initiateur du texte.
>> Lire notre article: Emmanuel Macron « demande pardon » aux harkis et annonce une loi de réparation
Pierre Ouzoulias : « On met de côté des faits historiques au profit d’un récit national »
Plutôt réservé sur la pertinence d’une loi « mémorielle », Pierre Ouzoulias, sénateur communiste préfère plaider « pour un large mouvement d’accès aux archives ». « C’est un fait historique qui doit être analysé froidement, mais pour ça, il faut des sources. Le premier temps, c’est l’exposition des faits. C’est comme ça qu’on rend hommage aux victimes. En ce sens, les polémiques d’Éric Zemmour sont assez symptomatiques. On met de côté des faits historiques au profit d’un récit national qui est le fantôme d’une nation qui n’a jamais existé. On nous explique que tout allait très bien pendant les 30 glorieuses sans parler de la violence sociale extrême de l’époque. Par exemple, les 30 glorieuses se sont construites en grande partie sur la main-d’œuvre immigrée. C’est, d’ailleurs, cette main-d’œuvre qui a subi la répression du 17 octobre ».
Benjamin Stora : « Il y a des blessures qu’il faut savoir reconnaître »
Benjamin Stora note que « le président de la République a déjà avancé sur Boumendjel (avocat, proche du FLN tué par des militaires Français lors de la bataille d’Alger), et sur la question des harkis en demandant pardon ». « Il avance, aujourd’hui, sur la mémoire des travailleurs immigrés en France. Je pense qu’il peut avancer sur d’autres mémoires dans les mois qui viennent […] les appelés, les rapatriés, les pieds noirs, qui eux aussi, ont aussi souffert […] Il y a des blessures qu’il faut savoir reconnaître et le président de la République aurait intérêt à avancer successivement sur chacune de ces mémoires », conclut-il.