Les maires, plus que jamais des fantassins de la République ? Les municipalités sont l’une des institutions en première ligne face à la pandémie de coronavirus qui touche la France. Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé, en rendant hommage dans son allocution du 13 avril aux maires et élus locaux, engagés dans ce qu’il a nommé la « deuxième ligne ».
Une fois passés la reconnaissance et les remerciements, le chef de l’État a toutefois enjoint les maires à ne pas faire de zèle pendant les quatre semaines de reconduction du confinement. « Je demande à tous nos élus, comme la République le prévoit en cette matière, d'aider à ce que ces règles soient les mêmes partout sur notre sol. Des couvre-feux ont été décidés là où c'était utile mais il ne faut pas rajouter des interdits dans la journée », a demandé le président de la République. Sans guère plus de précisions.
Des signaux contraires
D’un autre côté, le chef de l’État a également demandé aux Français de respecter le confinement un mois de plus, tout en reconnaissant que des solutions avaient été trouvées « au plus près du terrain », dans cette crise sanitaire. De quoi envoyer des signaux contraires ?
Depuis le mois de mars, des arrêtés de diverses natures ont été signés dans de nombreuses communes, afin de répondre à des problématiques locales, ou dans le but de faire respecter le plus possible le confinement. Le panel de mesures est large, et va de l’instauration de couvre-feux, à la restriction d’activités sportives dans l’espace ou le temps, en passant par le port obligatoire du masque. Dans une période où différentes recommandations se contredisent parfois, certains peuvent y perdre leur latin.
« Je considère que ma responsabilité de veiller à la santé publique est engagée », explique le maire de Sceaux
L’un des rares maires qui avait décidé d’imposer une protection du visage (avec un masque industriel, alternatif ou un simple foulard) dans l’espace public, pour enrayer la propagation du coronavirus, ne cache pas sa déception. « Je pense que c’est une erreur. Emmanuel Macron aurait pu dire que c’était une vraie question, même si la forme ne lui convenait pas. Il aurait pu être positif. Au lieu de cela, il a parlé des maires pour dire qu’il fallait rouvrir les écoles », regrette le maire (UDI) de Sceaux, Philippe Laurent.
Dans cette commune des Hauts-de-Seine où s’est engagée une production artisanale de masques, un arrêté municipal du 6 avril imposait aux plus de 10 ans de se couvrir le nez et la bouche, à l’extérieur, sous peine d’une amende de 38 euros. Saisi en référé par la Ligue des droits de l’homme, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu le texte trois jours après, estimant que l’arrêté portait une « atteinte grave à la liberté fondamentale d'aller et de venir et à la liberté personnelle des personnes concernées » et n’était pas justifié par les circonstances locales. La ville fait appel ce mercredi 15 avril devant le Conseil d’État.
Inspiré par les préconisations de scientifiques et plus récemment de l’Académie de médecine, Philippe Laurent reconnaît que la portée trop générale de son arrêté était une « erreur », et que le texte aurait dû se limiter par exemple aux rues commerçantes. Il affirme que son choix s’imposait bien, pour réduire les risques de propagation du virus d’une personne à l’autre. « Je considère que ma responsabilité de veiller à la santé publique est engagée, et que je ne peux pas, en mon âme et conscience, me passer d’une mesure dont je suis convaincu qu’elle peut sauver des vies. Si l’État ne le fait pas, je porte cette responsabilité. »
À Val d’Isère (Savoie), le maire a choisi de maintenir un arrêté similaire. En Charente-Maritime, en revanche, le projet du maire de Royan a fait long feu, la préfecture estimant que cette décision lui appartenait et que le maire a outrepassé ses pouvoirs. La même logique a prévalu à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) où le couvre-feu a été suspendu. À Lisieux (Calvados), l’arrêté instaurant un couvre-feu n’est plus d’actualité, le tribunal administratif jugeant que les motifs invoqués étaient insuffisants.
Christophe Castaner veut une approche « unitaire », mais reconnaît qu’il peut y avoir des « renforcements » localement
Mais qu’en est-il de l’autre argument invoqué, celui de l’égalité territoriale ? Ce matin sur France Inter, le ministre de l’Intérieur a souhaité expliciter les propos du chef de l’État. Sur la ligne exprimée la semaine dernière devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, Christophe Castaner s’est défendu de toute « défiance » à l’égard des maires. L’enjeu est d’avoir une « approche un peu unitaire », selon lui. La place Beauvau reconnaît, dans le même temps, qu’il peut exister des appréciations différentes sur d’autres familles d’arrêtés. « Partout où on a eu le sentiment qu’il y avait du relâchement, j’ai demandé aux préfets de soutenir les élus locaux dans cette dimension du renforcement. » Pas question donc, pour le ministre de l’Intérieur, de mettre en cause le durcissement des règles à Paris par exemple. Dans la capitale, la course à pied a été interdite entre 10 heures et 19 heures, sur décision conjointe de la maire Anne Hidalgo et de la préfecture de police.
Un interdit similaire existe à l’échelle des Hauts-de-Seine, département voisin. Là, c’est la préfecture qui est à la manœuvre, et non des maires. « L’État n’a lui-même pas l’unité de raisonnement en la matière. Il n’y a pas de logique territoriale : dans les Yvelines, à l’ouest, l’interdiction ne vaut pas », relève Philippe Laurent, qui occupe par ailleurs les fonctions de secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF).
« Quand ils prennent ces arrêtés, ce n’est pas par acte d’autorité ou pour jouer les shérifs », insiste la sénatrice Françoise Gatel
Au sein de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, on constate que les maires étaient déjà dans une situation délicate, bien avant le discours du chef de l’État, sur cette question de l’uniformité territoriale. Mathieu Darnaud, sénateur LR de l’Ardèche, considère qu’il faut « témoigner de la confiance » aux maires, et ne pas envoyer des « ordres et des contre-ordres ». « On attend dans ces moments-là un soutien plein et entier de l’État aux élus locaux, sans empêcher leur capacité d’initiative. Dès lors qu’on leur demande d’être en première ligne pour faire respecter le confinement, il faut qu’ils puissent apprécier les choses (…) Si on revient sur leurs initiatives, on leur demande de n’être que des exécutants », estime le sénateur.
« Sensible » à l’hommage présidentiel rendu aux maires, la sénatrice (Union centriste) Françoise Gatel se dit « réservée » sur l’appel à la modération lancé en direction des maires. « Il faut reconnaître qu’il y a des territoires, des quartiers, où le respect du confinement est plus difficile, où les espaces sont plus réduits. Les maires, par souci de précaution sanitaire, adaptent les règles nationales », défend la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. « Quand ils prennent ces arrêtés, ce n’est pas par acte d’autorité ou pour jouer les shérifs, c’est parce qu’ils sont conscients du risque de propagation et qu’il faut ériger des barrières là où c’est nécessaire. »
Le président de la République qui a promis un masque « grand public » pour chaque Français, dans l’optique de la fin du confinement, parlant même d’un port « systématique » dans les transports, a pu créer encore plus de confusion chez les élus locaux qui étaient tentés d’imposer le port du masque obligatoire. « Cela va être intéressant de voir comment l’État expliquera aux communes que le port du masque va être généralisé », déclare la sénatrice Françoise Gatel, en pensant à l’exemple de Sceaux.
Quel que soit le scénario de sortie de crise, qui s’affinera dans deux semaines, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat appelle à privilégier le dialogue. « Il faut un dialogue nourri et positif, et qu’à partir des territoires, en coordination avec les préfets, on dimensionne des solutions qui permettent de sécuriser le confinement », insiste Françoise Gatel. « Il faut laisser un champ d’initiative, en bonne intelligence avec l’État », espère également son collègue Mathieu Darnaud. La porte-parole de l’AMF, Agnès Le Brun (maire de Morlaix) y est allée du même conseil, dans Les Échos : « Dans tous les cas, nous conseillons aux maires d'échanger avec le préfet avant toute chose. »
Ces bonnes relations entre élus locaux et État seront primordiales pour l’avenir. La réouverture progressive des écoles, dès la deuxième quinzaine de mai, donne déjà des sueurs froides aux maires.