Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Régionales en Bourgogne-Franche-Comté : « Tout est possible », y compris une victoire « historique » du RN
Par François Vignal, sonores Marion Vigreux
Publié le
« C’est un combat qui sera âpre ». Jérôme Durain, sénateur PS de Saône-et-Loire et président du groupe majoritaire de la région Bourgogne-Franche-Comté, détenue par la socialiste Marie-Guite Dufay, sait bien que le scrutin du 20 et 27 juin s’annonce difficile. Dans ce territoire qui mêle industrie, sur son flanc Est, et ruralité, notamment dans les départements de l’Ouest traversés par la « diagonale du vide », le Rassemblement national pourrait bien l’emporter. La première région industrielle de France est un terrain fertile pour l’extrême droite. Et si les regards se concentrent sur Paca ou les Hauts-de-France, c’est peut-être bien ici que le parti de Marine Le Pen a de sérieuses possibilités de gagner.
« Ce sera très serré »
François Patriat, à la tête des sénateurs macronistes et sénateur de la Côte-d’Or, prévient : « Tout est possible ». « Ce sera très serré chez nous », confirme le sénateur LR du Territoire de Belfort, Cédric Perrin.
Lors du précédent scrutin, en 2015, tout s’est joué dans un mouchoir de poche. Arrivée troisième au premier tour, la socialiste Marie-Guite Dufay l’a finalement emporté dans une triangulaire avec 20.000 voix d’avance sur le candidat de droite, François Sauvadet, qui lui-même ne devançait le FN que de 5.000 petites voix. « L’équation électorale n’a pas fondamentalement changé. On est une terre industrielle et agricole avec un électorat RN très fort, un sentiment de déclassement, un électorat populaire, qui correspond au panel des électeurs de Marine Le Pen. Ça va être dur évidemment », reconnaît Jérôme Durain, « mais on a fait du boulot ».
Marie-Guite Dufay « regrette énormément » la division à gauche et appelle à l’union pour le second tour
Ce sera d’autant plus dur que la gauche part divisée. Aux côtés de la liste de Marie-Guite Dufay (PS, PCF, PRG), on trouve celle de Stéphanie Modde (EELV et d’autres partis écologistes) et celle de Bastien Faudot (Gauche républicaine et socialiste, LFI, Place publique). Une gauche éparpillée qui tentera de recoller les morceaux du puzzle au second tour. Selon un sondage qui se passe sous le manteau, le RN serait en tête du premier tour, autour de 27 %, le PS, LREM et LR entre 16 et 20 % – avec une bataille pour la seconde place – les écolos vers 10/12 % puis GRS/LFI.
Une division que « regrette énormément » la présidente sortante, qui aurait aimé « faire l’alliance de toute la famille de gauche. Il y a des sujets qui nous divisent. Mais il y a beaucoup plus de choses qui nous rassemblent. Et à l’heure où nos concitoyens doutent de la politique, il est important de dire dès le départ sur quelle base on part. […] Je n’aime pas cette idée de dire qu’on part seul et on se retrouvera pour le second tour. C’est difficilement entendable ». Regardez (images de Marion Vigreux et de Hugo Lemonier) :
Pour Marie-Guite Dufay, « les écologistes sont nos alliés naturels. Et j’ai toujours mis au cœur de nos politiques publiques les questions de transition écologique ». Si la socialiste insiste autant, c’est pour se défaire du procès en Macron-compatibilité qui lui est intenté, depuis qu’elle a voté Emmanuel Macron en 2017… dès le premier tour.
La candidate EELV Stéphanie Modde veut « voir combien on pèse dans la région »
Stéphanie Modde assume de son côté, sa liste. « Un projet écologique fort et pertinent doit être présenté par un écologiste », soutient-elle. La candidate reconnaît aussi « que ça nous permet d’exister au premier tour » et de « voir combien on pèse dans la région ». Comme dans la majorité des cas, les écolos veulent se compter, ou prendre la place du PS. Selon un socialiste, Stéphanie Modde demandait la tête de liste, en cas d’union, ce qui a fait capoter les discussions avec le Parti socialiste.
La candidate écologiste, qui défend « une agriculture plus paysanne » et une industrie « relocalisée », affiche clairement sa volonté « d’alliance avec la gauche au second tour ». Car « pour garder la région, il faudra bien s’entendre avec le reste de la gauche ».
Bastien Faudot veut une « clarification » à gauche et fait campagne en randonnant
Pour la liste menée par Bastien Faudot, membre de la GRS (qui rassemble l’ex-aile gauche du PS d’Emmanuel Maurel et d’anciens chevènementistes du MRC) et soutenue par La France Insoumise, « un rassemblement de toute la gauche et des écologistes » sera possible au second tour, « mais rien que la gauche et les écolos, pas de gloubiboulga avec les macronistes », prévient le candidat. Il défend « un programme de clarification » et non « d’ambiguïté ». Bastien Faudot, qui emmène sur sa liste six conseillers régionaux de gauche sortants, pointe « le soutien par Marie-Guite Dufay à Macron dans la liquidation d’Alstom et le rachat par General Electric, ou son soutien à la réforme des retraites et de la SNCF ». Ce Belfortain ajoute : « Je l’entends dire qu’elle est de gauche, mais il faut des preuves d’amour, pas de déclaration d’amour ».
Pour l’heure, Bastien Faudot mène campagne en voiture et… à pied. « On fait huit randonnées thématiques, de 15 ou 20 km, dans chaque département », dit-il. Une manière de contourner les contraintes sanitaires et « d’aller dans la Bourgogne-Franche-Comté profonde ». Première rando, hier : l’ascension du Mont Beuvray, dans le Morvan, sur le thème de la forêt.
« Il y a une victoire historique qui est en ligne de mire », selon le candidat RN Julien Odoul
A l’autre bout de l’échiquier politique, le candidat du RN, Julien Odoul, espère bien tirer son épingle du jeu. Celui qui s’est fait connaître en demandant à une accompagnatrice scolaire, présente en séance à la région, d’enlever son voile, a reçu il y a quelques jours la visite de Marine Le Pen.
Julien Odoul ne s’en cache pas : il lie le scrutin à 2022. « Il y a une victoire historique qui est en ligne de mire. Ce serait un changement retentissant pour la qualité de vie dans la région mais aussi pour les échéances nationales. On sait bien que les départementales et les régionales, c’est quasiment le premier tour de la présidentielle. Voter pour nous les 20 et 27 juin, c’est évidemment changer la politique qui sera menée aussi au niveau du pays », soutient Julien Odoul. Regardez :
« Nos idées gagnent de plus en plus sur le terrain »
« Nos idées gagnent de plus en plus sur le terrain. On le constate tous les jours sur les marchés. […] Mais il faut que ce soit validé dans les urnes. J’appelle tout le monde à se mobiliser, s’ils ont envie que ça change », lance le candidat RN. Car s’il se dit « optimiste », il n’a « qu’un seul ennemi : c’est l’abstention ».
A gauche, on pèse la menace du RN. « Si ce n’est pas Marie-Guite Dufay, ce sera le RN. C’est eux ou nous », pense le sénateur PS Jérôme Durain. Il met en garde contre « un projet politique très inquiétant et très diviseur. C’est la ruralité contre les métropoles, les migrants contre les bons habitants de Bourgogne-Franche-Comté, l’art contemporain contre le patrimoine, le refus de la politique de la ville. C’est quand même du gros qui tâche… »
« C’est une des deux régions, avec Paca, qui peut passer au RN, très clairement »
« Il risque d’y avoir une quadrangulaire et que le RN soit très haut au premier tour, il ne faut pas se leurrer. C’est une des deux régions, avec Paca, qui peut passer au RN, très clairement », confirme Cédric Perrin. Le sénateur LR pense que « la gauche est aux abois. Marie-Guite Dufay, ce n’est pas la présidente de région la plus emblématique qu’on ait connue. Je ne pense pas qu’on arrivera devant le Front au premier tour, mais il y a une carte à jouer pour LR ».
La carte s’appelle Gilles Platret. « Aujourd’hui, on a besoin d’assurer l’alternance. Ça fait 20 ans que la même famille politique, le PS, gère cette région. C’est une région avec de fortes identités, un art de vivre. Or elle est en train de décrocher. […] On n’est pas accroché au peloton, on perd de la vitesse », alerte le candidat LR. Regardez :
Un candidat LR qui chasse très à droite
Un candidat LR qui chasse très à droite. Trop selon certains. Il bénéficie du soutien de Nicolas Dupont-Aignan, qui a soutenu Marine Le Pen en 2017. Si bien que Gérard Larcher, président LR du Sénat, a dénoncé cette alliance avec le président de Debout la France.
« Nous, on fait le rassemblement dès le premier tour. On travaille avec toute la droite, y compris la droite souverainiste de Nicole Dupont Aignan, l’UDI et les écologistes indépendants d’Antoine Waechter, qui sont pro nucléaires », défend Gilles Platret, qui avait voulu arrêter les menus de substitution sans porc dans les cantines de Chalon-sur-Saône. Nicolas Dupont-Aignan, « c’est une droite souverainiste, mais républicaine à mes yeux. […] Nous sommes tous les deux gaullistes », soutient le candidat, qui rappelle que les instances nationales de son parti lui ont donné l’investiture. « La liste du premier tour sera la liste du deuxième tour », ajoute le candidat LR, qui ne veut pas « d’alliance contre nature » avec « le parti présidentiel ». Une stratégie compliquée, faute d’alliés supplémentaires, et alors qu’une partie de l’UDI locale, notamment dans la Nièvre, lâche le candidat. « C’est sûr qu’il y a un sujet, qui est la réserve de voix pour le second tour », reconnaît Cédric Perrin.
Le candidat RN tend la main au candidat LR Gilles Platret pour le second tour
Julien Odoul a une solution : il lui tend la main. « A partir du moment où il ouvre sa liste à Nicolas Dupont-Aignan, et que nous avions sur le papier les mêmes valeurs, pourquoi il ne me soutiendrait pas au second tour ? Il faut être cohérent », lâche le candidat du RN. Un « baiser du diable » qui n’est pas fait pour arranger les affaires du candidat LR.
Pour François Patriat, président du groupe RDPI (LREM) du Sénat, c’est tout vu : « Gilles Platret n’est à pas à droite, il est carrément à l’extrême droite. Il développe les mêmes thématiques que le RN. Il est plus qu’une passerelle vers le RN, il en est un allié objectif », soutient le sénateur LREM de la Côte-d’Or.
Denis Thuriot (LREM) défend « une alternative raisonnable, républicaine »
La majorité présidentielle part dans cette campagne avec le maire de Nevers, Denis Thuriot (soutenu par LREM, le Modem, Agir). « La région mérite mieux », dit-il. En bon macroniste, il explique qu’« il n’y a pas de dogme. Est-ce qu’une région doit être à gauche, à droite ? Sûrement pas à l’extrême droite. Il faut une région pour tout le monde ». Denis Thuriot défend « une alternative raisonnable, républicaine ». Autrement dit, qui ne serait pas le RN, « qui serait terrible pour la région ». Il continue : « Si les gens pensent se retrouver à l’extrême droite, c’est parce qu’ils ne sont pas assez considérés. C’est ce que nous voulons porter. C’est notre slogan : une région partout. Elle est importante dans le moindre village, le moindre recoin ». Regardez :
Reste que Denis Thuriot « manque de notoriété », selon un bon connaisseur de la vie politique locale. Par ailleurs, le problème des réserves de voix pour le second tour se posera aussi à LREM. Sur ce point, Denis Thuriot esquive. « Pour parler du deuxième tour, il faut déjà finir le premier. Mon objectif, c’est de faire en sorte d’arriver très fort au premier tour. L’idée, pour l’instant, ce n’est pas de fusion ». Le candidat de la majorité présidentielle glisse cependant qu’il « parle à tout le monde », « mais il n’est pas question d’alliance pour l’instant ». Pour l’instant ? « Le reste, c’est de la cuisine. Je ne suis pas très bon en cuisine pour l’instant ». Mais l’appétit vient en mangeant.
« L’objectif de LREM est d’être deuxième. Et à ce moment-là, on est la force de rassemblement »
« Notre objectif est d’être deuxième. Et à ce moment-là, on est la force de rassemblement », espère François Patriat. Mais l’ancien président ex-PS de la région Bourgogne reconnaît que « le problème, c’est que Marie-Guite Dufay, depuis le début, a refusé de discuter avec nous. Elle dit qu’elle mène une liste de gauche et ne veut pas de LREM. On va attendre le premier tour et celui qui sera en position de force pourra imposer le débat ». Mais à ce petit jeu, le parti de Marine Le Pen pourrait s’y retrouver gagnant, en cas de quadrangulaire. A l’inverse, si LREM se retrouve en quatrième place, le choix de son maintien ou non sera essentiel pour « faire barrage » au RN. Une chose est certaine, les téléphones vont sonner au soir du 20 juin.
A voir le reportage de Marion Vigreux, ici