A l’approche de la journée de mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites, le gouvernement semble vouloir temporiser. Dans un document de travail transmis aux partenaires sociaux par Jean-Paul Delevoye, le Monsieur retraites du gouvernement, l’exécutif rouvre la discussion sur le calendrier d’application de la réforme, dans le cadre de la concertation.
« Rien n'est tranché »
Selon Les Echos, qui a eu copie de ce document, plusieurs options sont sur la table. A l’application à partir de la génération 1963, soit une entrée en vigueur en 2025, idée privilégiée par le gouvernement, s’ajoute l’idée de reporter l’entrée en vigueur de la réforme. La mise en œuvre se ferait « à partir de générations postérieures », voire seulement pour les « nouveaux entrants sur le marché du travail ». Le débat est ouvert. « Rien n'est tranché sur la durée de la période de transition », affirme Matignon à l’AFP ce jeudi.
Ces nouveautés n’en sont pas tout à fait, en réalité. « Ces deux options présentées aujourd’hui ne sont pas une découverte. Elles étaient dans le rapport cet été et avaient été annoncées lors du discours du premier ministre devant le Conseil économique social et environnemental. Ce n’est pas une surprise que le gouvernement essaie de différer pour tel ou tel régime l’impact de la réforme » recadre Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO du secteur de l'emploi et des retraites.
« Tentative de déminage »
« Cette proposition est peut-être une tentative de déminage », note le représentant syndical. Mais cela ne changera rien pour Force ouvrière. « Depuis le début, FO se dit contre la réforme par points du gouvernement. (…) Toute modification de la mise en place du calendrier de la réforme ne nous satisfait pas car nous demandons qu’elle n’ait pas lieu » lance Michel Beaugas, qui refuse son report « sur les générations futures ». Regardez (images de Samia Dechir) :
Michel Beaugas (FO) : « Depuis le début, FO est contre la réforme de la retraite par points du gouvernement »
« Le premier ministre a en tête, sans doute, les foules de 1995 contre la réforme de Juppé »
Côté parlementaire, on voit aussi ce nouveau document de travail comme un signe de fébrilité. « C’est sûr qu’au sein du gouvernement, il y a des gens plus frileux, qui n’ont pas tout à fait compris l’intérêt de cette réforme, qui ont peur d’une mobilisation générale. On peut le comprendre. Le premier ministre a en tête, sans doute, les foules de 1995 contre la réforme de Juppé » pense Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat. Plus clairement, le sénateur Modem du Pas-de-Calais ajoute : « Faut pas pétocher. A chaque fois qu’il y a une grève, on pétoche »…
« C’est une réforme difficile, particulièrement explosive. On comprend que le gouvernement, au pied du mur, commence à réagir » confirme le sénateur LR de la Marne, René-Paul Savary, qui suit les questions de retraite pour son groupe. Regardez :
Retraites : « C’est une réforme difficile, particulièrement explosive » selon René-Paul Savary (LR)
« Il ne faut pas hésiter à mettre en place une transition plus longue et surtout différenciée »
Sur le fond, Jean-Marie Vanlerenberghe n’est pas opposé à laisser du temps au temps. « Pour moi, le temps est un allié. Donc il ne faut pas hésiter à mettre en place une transition plus longue et surtout différenciée. Je vois bien les dangers qu’il peut y avoir sur les régimes spéciaux, qui veulent défendre leurs avantages, leurs acquis sociaux » explique le sénateur Modem. « Il peut y avoir au cas par cas des perdants, effectivement » reconnaît le sénateur, « et bien il faut les cerner et anticiper en prenant des engagements, en disant qu’on va compenser avec un petit chouia. Il faut faire en sorte qu’ils ne perdent pas dans la phase transitoire. Et la transition est forcément longue et peut être différenciée. J’ai toujours pensé ça » insiste-t-il. Et alors que les salariés de la RATP comptent bien en découdre, avec un appel à la grève illimité le 5 décembre, ce défenseur de la retraite par points ajoute : « On va prendre en compte la pénibilité dans la réforme. Mais combien de points on met à la pénibilité à la SNCF et la RATP (où le gouvernement veut la fin des régimes spéciaux, ndlr) et pour quelle catégorie de métier ? La question est là ».
Pour René-Paul Savary, étaler l’application de la réforme irait au contraire à l’encontre de la réforme dans son ensemble. « On préconise une réforme du régime pour combattre les inégalités, qui sont pour les Français les départs en retraites anticipés. Si on continue à pérenniser plus longtemps les avantages des régimes spéciaux, montrés du doigt par le gouvernement, plutôt que le régime salarié qui est lui équilibré, la réforme ne serait portée que par les salariés. On entretiendrait les inégalités » pointe du doigt le sénateur LR. Pour René-Paul Savary, « la solution, c’est dire véritablement la vérité aux gens. Il faudra clarifier l’âge de départ au taux plein et proposer des mesures d’équilibre en attendant ».
« Appliquer la réforme aux nouveaux entrants, c’est botter en touche »
Les sénateurs sont en revanche tous les deux opposés à l’idée de n’appliquer la réforme qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail. Elle aurait l’avantage pour l’exécutif de calmer, voire d’éteindre la grogne sociale. « Mais il faudra 40 ans pour appliquer la réforme. Ça reporte aux calendes grecques » met en garde René-Paul Savary. « Ce serait une réforme en trompe l’oeil à ce moment-là. Proposer d’appliquer un nouveau système dans 40 ans, c’est botter en touche » confirme Jean-Marie Vanlerenberghe.
D’ici là, les syndicats entendent maintenir la pression dans les négociations, comme dans la rue. « Je pense que le gouvernement a compris que cette réforme ne passait pas auprès des salariés mais aussi des professions libérales », croit Michel Beaugas. Le responsable de FO prévient : « Le gouvernement est dans la reculade. Mais la détermination de FO à combattre ce projet ne subit pas de report ».