Edouard Philippe a écouté. Va-t-il tenir compte ? Après ses entretiens avec les présidents des groupes politiques et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le premier ministre remet cet après-midi à Emmanuel Macron ses conclusions sur la réforme institutionnelle. C’est le chef de l’État qui tranchera dans les semaines à venir entre les différentes pistes. Le Conseil d’État sera consulté pour avis, avant la présentation du texte définitif mi ou fin avril en Conseil des ministres. Le Parlement pourra ensuite l’examiner pour une première lecture d’ici l’été.
« Squelette de texte »
La réforme sera découpée en trois textes distincts. En recevant des mains d’Édouard Philippe la liste des mesures envisagées, les présidents de groupes ont constaté que l’exécutif prévoyait un projet de loi constitutionnelle, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. On connaît les grandes pistes. Mais il reste des sujets de débats, surtout avec les sénateurs, sans qui Emmanuel Macron n’aura pas la majorité des 3/5 au Congrès, indispensable pour adopter toute modification de la Constitution par voie parlementaire. Mais en cas de blocage persistant avec le Sénat, le chef de l’État n’a pas écarté de faire adopter sa réforme par référendum. Un choix politiquement toujours risqué, même sur des sujets qui semblent acquis d’avance.
Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’est montré ferme depuis des mois sur ses lignes rouges. Il n’est pour autant pas fermé à la recherche d’un rapprochement. À partir du « squelette de texte », « nous allons entamer la véritable discussion avec le gouvernement », « on va au dialogue », a expliqué dimanche Gérard Larcher, invité du Grand rendez-vous Europe 1/C-News/Les Echos.
« Le premier des piliers, c’est qu’en aucun cas, le Parlement ne peut sortir affaibli »
Le sénateur des Yvelines insiste sur ce qu’il appelle maintenant ses « deux piliers » : « Le premier des piliers, c’est qu’en aucun cas, le Parlement ne peut sortir affaibli de la révision constitutionnelle » (voir le sujet de Quentin Calmet). La limitation du droit d’amendement, proposé par surprise par Edouard Philippe, a engendré une levée de boucliers, à gauche comme à droite. Mais beaucoup y voient un chiffon rouge, volontairement agité pour mieux négocier et le retirer in fine. La défense du Parlement est non négociable pour Gérard Larcher. « Le propre d’un pilier, c’est de ne pas plier » rappelle le sénateur.
« Le second des points, c’est le territoire et donc la représentation des parlementaires sur le territoire ». Les sénateurs veulent avoir au minimum un sénateur par département dans le cadre de la réduction du nombre de parlementaires, que Gérard Larcher accepte. « Ce sont ces deux piliers là qui nous guident. Ensuite on peut avoir des points de débat » explique-t-il.
Ouverture sur le non-cumul des mandats dans le temps ?
En revanche, Gérard Larcher n’inclut plus le non-cumul des mandats dans le temps dans ses piliers, tout en rappelant son opposition au principe. Pour lui, « le seul baromètre, c’est le suffrage universel ». Mais à l’écouter, le sujet ne semble aujourd’hui plus aussi sensible et non négociable. Serait-il prêt à l’accepter ? « Attendez, il faut d’abord dialoguer, se rencontrer » répond le président du Sénat.
Fin octobre, invité de l’Épreuve de vérité, sur Public Sénat, Gérard Larcher était beaucoup plus catégorique (voir à 0'58 dans la vidéo). Le non-cumul des mandats dans le temps, « c’est non » tranchait-il. Trois mois après, en présentant les 40 propositions du Sénat sur la réforme, Gérard Larcher affirmait encore que la question « ne para(issait) pas acceptable en l’état ».
Réforme constitutionnelle : Larcher évoque un « échange positif » avec Macron
Certains sénateurs LR ne font pas du non-cumul une priorité
En réalité, une partie des sénateurs LR n’en font pas un casus belli (voir notre article « Constitution : les sénateurs sont-ils prêts à lâcher sur le non-cumul des mandats dans le temps ? »). Ils sont bien conscients que le sujet est difficile à défendre dans l’opinion. Qui plus est, il est assez virtuel, car le non-cumul dans le temps ne sera pas rétroactif et ne s’appliquera pas aux communes de moins de 3.500 habitants, comme Emmanuel Macron l’a dit lors du Congrès des maires. On parle donc d’une mesure qui s’appliquerait en 2038 pour les maires et sénateurs.
À la sortie de Matignon la semaine dernière, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, n’a d’ailleurs même pas évoqué le sujet… Comme d’autres de ses collègues, il préfère se concentrer sur la bonne représentation des territoires, ruraux ou rurbains.
Si cette ligne rouge semble un peu moins clignotante, cela ne veut pas dire que Gérard Larcher va totalement lâcher. D’autant qu’un débat juridique s’ajoute (voir notre article). Et le sénateur pourrait en profiter. « Sur le non-cumul dans le temps pour les parlementaires, pas pour les maires, je pense que ça pourrait relever de la Constitution. Il y aura un débat de spécialistes, mais j’ai cru comprendre que l’immense majorité des spécialistes penchait plutôt pour mon interrogation » souligne Gérard Larcher. Ce n’est donc pas pour rien si l’exécutif veut instaurer le non-cumul par la loi organique. Ce serait une manière de contourner le Sénat car les députés auraient ainsi le dernier mot sur ce point. Mais les sénateurs ont déjà prévenu : une fois la réforme adoptée par le Parlement, ils saisiront le Conseil constitutionnel si le gouvernement ne les écoute pas.
Proportionnelle : l’UDI veut une dose maximum, LR n’en veut pas
Autre sujet important de la réforme : instaurer une dose de proportionnelle pour l’élection des députés. Gérard Larcher milite « pour que la proportionnelle soit la plus mesurée possible », « plutôt vers 10% », quand le président LREM de l’Assemblée, François de Rugy, propose de fixer ce chiffre à 25%. Christian Jacob, patron des députés LR, comme Laurent Wauquiez, s’opposent eux au principe même de la proportionnelle.
Mais pour compliquer le jeu, l’UDI défend une bonne dose de proportionnelle. Le parti centriste en fait même une condition de son soutien à la réforme… « Je lance une alerte. Je lis que dans les hautes sphères de l’État, on envisagerait une dose de proportionnelle à hauteur de 10%. Si c’est cette dose là, ce sera sans nous et nous ne participerons pas à une tartufferie » a prévenu ce week-end au congrès de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, réélu à la tête du parti (voir à 4'30 dans la vidéo). « Avec 10% des voix, vous avez 1% du Parlement (en nombre de sièges). Ça, ce n’est pas la proportionnelle, c’est se moquer du monde » a insisté le député de Seine-Saint-Denis. Les conditions posées par l’UDI pourraient bien peser dans la balance. Car sans les 50 sénateurs du groupe Union centriste de la Haute assemblée, Emmanuel Macron ne pourra pas avoir de majorité sur sa réforme, s’il va jusqu’au Congrès.
UDI : Lagarde réclame 20 à 25% de proportionnelle
La position intermédiaire de Gérard Larcher peut aussi se lire pour des raisons internes au Sénat. Sa majorité sénatoriale est en effet composée des sénateurs LR, mais aussi des sénateurs UDI. « Traditionnellement, les gaullistes sont pour le scrutin majoritaire, et traditionnellement, les centristes ont toujours été pour la proportionnelle. (…) Si on introduit la proportionnelle, ça ne peut pas être quelque chose d’anecdotique. Soit on fait, soit on ne fait pas. (…) Nous souhaitons une dose significative de proportionnelle » a prévenu ce lundi sur Public Sénat Hervé Marseille, président du groupe centriste du Sénat. Regardez :
Hervé Marseille : « Nous souhaitons une dose significative de proportionnelle »
La Corse inscrite dans la Constitution
La Corse s’est aussi invitée dans la réforme constitutionnelle. Le chef de l’État avait annoncé qu’il serait fait mention de l’île dans la loi fondamentale. Mais le mot « autonomie » n’y figurera pas. Ce sera via un article à part entière, alors que Gérard Larcher plaide pour le faire via l’article 72, celui sur les collectivités locales. Un sujet de discorde de plus.
Réforme du CSM, suppression de la CJR, division par deux des membres du CESE
La réforme comporte aussi d’autres points moins médiatisés, mais pourtant importants : la réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour garantir l’indépendance statutaire des magistrats du parquet, la fin de la participation automatique des anciens Présidents au Conseil constitutionnel, la suppression de la Cour de justice de la République ou encore la division par deux des membres du Conseil économique, social et environnemental, recentré sur le droit de pétition. L’ensemble de ces sujets font consensus.
Cette réforme, qui est en réalité très large, voire fourre-tout, prévoit aussi de mentionner dans la Constitution le service national universel que veut mettre en place l’Elysée. La lutte contre le réchauffement climatique pourrait aussi faire son entrée dans la Constitution.