Vu du Sénat, la réforme de la gouvernance et du financement de l’apprentissage constitue l’un des aspects les plus sensibles du projet de loi sur l’avenir professionnel, porté par Muriel Pénicaud. Débattu cette semaine en séance, le texte initial de la ministre du Travail prévoit de donner plus de responsabilités aux branches professionnelles dans la gestion des centres de formation d'apprentis (CFA), au détriment des régions, qui perdraient ces compétences.
Le « pari » du gouvernement : faire correspondre davantage l’offre de formations aux besoins des entreprises et ainsi faire décoller le nombre d’apprentis en France en stagnation depuis 10 ans. Actuellement, l’apprentissage ne concerne que 7% des 16-25 ans en France, soit moitié moins qu’en Allemagne par exemple.
Un « co-pilotage » de l’apprentissage entre les régions et les branches professionnelles
Attachés à la défense des collectivités locales, les sénateurs ont adopté en séance la version amendée par leur commission des Affaire sociales, qui a redonné un certain nombre de prérogatives aux régions. Dans l’esprit de la Haute assemblée, celles-ci doivent les « copilotes » de l’apprentissage aux côtés des branches.
Selon cet article 15 remanié, les régions devront élaborer une stratégie pluriannuelle des formations en alternance, stratégie qui devra être prise en compte par les branches professionnelles. Autre évolution apportée par les sénateurs : les régions pourront conclure des conventions d’objectifs et de moyens avec les CFA, qu’elles soutiendront au nom de la logique d’aménagement du territoire.
« Les CFA seront en grande difficulté », craignent les sénateurs
Le nœud du problème n’est pas seulement une question d’acteurs, c'est aussi une question de financement. Avec l’instauration d’un financement au contrat, la réforme fait peser le risque de fragiliser un certain nombre de CFA à travers le pays, selon les Régions de France, qui évaluent à 700 le nombre d’établissements menacés de disparition.
C’est une inquiétude qui a été exprimée à plusieurs reprises au cours des débats. « Les CFA seront en grande difficulté. Nous craignons un maillage déséquilibré sur les territoires », s’est alarmée Corinne Féret, sénatrice socialiste du Calvados.
En voyant les régions se voir dépouiller d’une partie de leurs attributions sur le terrain de l’apprentissage, plusieurs sénateurs, notamment sur les bancs de la droite, ont crié à une recentralisation. « Vous ne pouvez pas nous demander de voter aujourd’hui une dépossession qui serait faite aux régions », s’est exclamée Anne Chain-Larché, sénatrice (LR) de Seine-et-Marne. Et d’ajouter qu’elle « ne votera pas une loi, qui ne va pas dans le bon sens ».
Pour la ministre du Travail, ces critiques n’ont pas lieu d’être. « Qu’on sorte du slogan du slogan qui est dans les médias, où on transfère des régions aux branches ! Non, on renforce le rôle des branches ». Au passage, Muriel Pénicaud a affirmé aux sénateurs que seulement une région sur deux fléchait entièrement les recettes destinées à l’apprentissage vers l’apprentissage.
Muriel Pénicaud : "Il faut savoir qu'une région sur deux n'utilise pas tout l'argent de l'apprentissage pour l'apprentissage"
Muriel Pénicaud : « Il faut savoir qu'une région sur deux n'utilise pas tout l'argent de l'apprentissage pour l'apprentissage »
« Si nous allons jusqu'à voter cet amendement, sachez qu'il ne sera pas appliqué », met en garde le président des Affaires sociales
Les sénateurs ont opposé un autre argument : les régions ont de l’expérience, contrairement aux branches qui n’ont pas les épaules assez solides. Un amendement, déposé par le président du groupe LR, Bruno Retailleau, et cosigné par 66 de ses collègues (pas loin de la moitié des effectifs du groupe) a été soutenu pour rétablir la compétence générale des régions en matière d’apprentissage : une position plus radicale que celle adoptée en commission.
« Les branches professionnelles, qui sont appelées à reprendre la quasi-totalité de ces missions, sont loin d’être présentes sur tous les territoires, certaines n’ont aucune culture de l’apprentissage, d’autres sont en cours de restructuration », a expliqué la sénatrice (LR) du Lot-et-Garonne, Christine Bonfanti-Dossat. Son collègue Max Brisson, a renchéri, en ajoutant que le gouvernement avait eu « un accord avec une partie du Medef et quelques branches » :
Réforme de l'apprentissage : Max Brisson exprime ses doutes sur les capacités des branches professionnelles
Max Brisson (LR) exprime ses doutes sur les capacités des branches professionnelles à gérer l'apprentissage partout sur le territoire
Rappelés à la raison par le président (LR) de la commission des Affaires sociales, Alain Milon (voir la vidéo de tête), les signataires ont finalement retiré l'amendement. « Si nous allons jusqu'à voter cet amendement, sachez qu'il ne sera pas appliqué », avait mis en garde le sénateur du Vaucluse. Et d'ajouter :
« Le Sénat est menacé. Vous savez à quel point certains membres du gouvernement veulent diminuer son influence. Sachons ne pas vouloir complètement tout, sachons vouloir ce qui peut être accepté. »
Alain Milon, président (LR) de la commission des Affaires sociales
L’un des cosignataires de l’amendement Retailleau, Jean-Noël Cardoux, espère désormais que le gouvernement saura se souvenir de ce « recul » et de cette « sagesse » au moment de la préparation d’un texte commun entre députés et sénateurs :
« J'espère que Mme la ministre se souviendra au moment des discussions en commission mixte paritaire de la sagesse dont a fait preuve la majorité sénatoriale pour donner son avis, pour favoriser le rôle des régions, et qu'elle saura convaincre les députés de sa majorité. »