Un constat sévère. La commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques présentait ses conclusions jeudi 17 mars. À l’issue de quatre mois d’investigations, les travaux font état d’un recours massif aux consultants par l’État, non sans une certaine « opacité », selon le mot de la rapporteure communiste Éliane Assassi. Les sénateurs ont également annoncé leur intention de saisir le procureur de la République pour « suspicion de faux témoignage » à l’encontre de Karim Tadjeddine, directeur associé et responsable du secteur public auprès de la succursale française de McKinsey & Company, en application du second alinéa de l’article 40 du Code de procédure pénale.
« Nous avons été choqués du fait que Monsieur Tadjeddine nous dise : ‘nous payons l’impôt sur les sociétés en France’, et lorsque l’on regarde sur les dix dernières années, cet impôt est à zéro, parce que le résultat fiscal est systématiquement négatif. Nous allons en référer au procureur de la République, et ce sera à lui d’apprécier la situation », a expliqué le président de la commission, Arnaud Bazin. Lors de son audition sous serment, le 18 janvier 2022, Karim Tadjeddine a assuré que la succursale française de ce cabinet de conseil américain payait ses impôts en France : « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France », a-t-il déclaré.
« un exemple caricatural d’optimisation fiscale »
« On a vérifié en procédant à une réquisition de documents à Bercy, comme le permettent les prérogatives de la commission d’enquête », précise Eliane Assassi. « Nous avons examiné cette situation sur pièces et sur place, il apparaît que depuis dix ans cette société n’a pas payé d’impôts, parce qu’elle a systématiquement produit des résultats fiscaux déficitaires depuis dix ans », poursuit Arnaud Bazin. « Tout cela est lié à une mécanique des prix de transfert, c’est ce que refacture la maison mère américaine à la succursale en France. C’est prévu par les règles de l’OCDE, le tout est de savoir si c’est appliqué loyalement et validé par l’administration française. Ce sera à la direction générale des finances publiques de le dire. »
Le rapport de la commission évoque « un exemple caricatural d’optimisation fiscale », alors que McKinsey emploie 600 salariés en France, pour un chiffre d’affaires qui a atteint 329 millions d’euros en 2020, dont environ 5 % dans le secteur public. « Cette situation interroge d’autant plus que McKinsey est un acteur majeur du consulting, qui est intervenu sur des réflexions stratégiques pour notre pays, par exemple lors de la crise sanitaire (pour un montant estimé à 12,33 millions d’euros) ou lors de l’organisation pro bono du sommet Tech for Good pour la Présidence de la République en 2018 et 2019 », relève encore les élus. « Comment peut-on accepter un tel comportement d’un cabinet intervenu sur des réflexions stratégiques pour notre pays, notamment lors de la crise sanitaire ? », s’est notamment agacée Eliane Assassi.
Pour rappel, un témoignage mensonger fait sous serment devant le Parlement est puni par le Code pénal de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Réagissant à ces accusations, McKinsey a assuré jeudi soir dans un communiqué respecter « l’ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables » et dit avoir payé l’impôt sur les sociétés « les années où le cabinet a réalisé des bénéfices en France ».
« S’agissant des prix de transferts, McKinsey a une approche qui n’est pas spécifique à la France et qui s’applique aux différents pays où il est présent », déclare encore l’entreprise. « Cette approche est connue de l’administration fiscale française », ajoute le groupe.