En mettant sur la table la question épineuse des quotas d'immigration, l'exécutif entend "rassurer" l'électorat de droite qu'il convoite, et endiguer l'extrême droite sur l'un de ses thèmes de prédilection, analysent des proches du pouvoir et des experts.
Edouard Philippe avait annoncé le 12 juin, dans sa déclaration de politique générale, qu'un débat sur l'immigration serait organisé chaque année au parlement, comme l'a voulu le président Emmanuel Macron. Le premier aura lieu en septembre, et les quotas sur l'immigration économique -mais pas pour les demandeurs d'asile- y seront abordés.
Le Premier ministre a défendu lundi un débat "sur tous les angles" de l'immigration, sans "tabous", plaidant que ce n'est "pas parce que c'est très difficile qu'on n'a pas le droit (de) parler" de quotas. Quitte à rappeler, à l'unisson avec son ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, que le rapport Mazeaud de 2009 avait conclu à leur inefficacité.
Le terrain est réputé délicat, voire miné. Lors de la préparation du grand débat national cet hiver, M. Philippe avait d'ailleurs, selon son entourage, poussé à ne pas faire de l'immigration un grand thème indépendant, mais un sous-thème plus discret. Il redoutait alors de reproduire les excès et les ratés du débat sur l'identité nationale de l'ère Sarkozy.
- "Ballon d'essai" -
Mais ce débat, "on savait qu'on n'allait pas y échapper. Macron considère que c'est un enjeu régalien, qui va être prégnant dans les années à venir", confie à l'AFP une source parlementaire de la majorité présidentielle, voyant dans les quotas "un ballon d'essai".
Selon cette source, "il y a une logique électorale: capter des voix à droite. Et un enjeu pour En Marche: aucune raison de ne pas traiter les sujets de droite comme de gauche".
De plus, la loi Asile-immigration de 2018 "ne marche pas" en termes de chiffres et des délais de traitement des dossiers. Donc "on s'attend à des choses plus dures", ajoute-t-elle. Christophe Castaner a souligné mardi sa volonté d'atteindre cette année "l'objectif à six mois" de délai de traitement des dossiers.
Pour le politologue Jérôme Fourquet, après les élections européennes qui ont conforté en mai le "duopole" Rassemblement National (RN) versus La République en marche (LREM), le parti présidentiel veut "parler à la droite pour la décrocher définitivement et l'arrimer à LREM", et "essayer de contenir la dynamique frontiste si elle se redéclenche".
Selon lui, les quotas "essaient d'introduire l'idée d'une maîtrise d'une situation qui est très anxiogène". Car "l'un des ressorts du vote pour le RN, c'est le sentiment qu'il y a une impuissance publique".
- "Explosif" -
"Si on ne s'occupe pas de cette question, elle nous pètera à la gueule", acquiesce auprès de l'AFP un poids lourd de la majorité.
Mais d'autres craignent une "déstabilisation" du groupe LREM et mettent en garde, comme la députée Stella Dupont, contre les risques d'un "débat glissant". Certains portent encore les stigmates du débat sur la déchéance de nationalité qui avait déchiré la gauche sous François Hollande, et plus récemment sur les dissensions à propos de la loi asile-immigration.
Florent Boudié (LREM), membre de la commission des Lois et ex-socialiste, appelle ainsi à la "vigilance" et à ce "qu'on ne fasse pas de l'immigration le cœur du débat politique en France".
"C'est explosif si on juge que la présidentielle de 2022 doit se jouer là-dessus. Cela donne du crédit à ceux qui en font leur fonds de commerce", renchérit un élu LREM.
Marine Le Pen a rejeté l'idée de quotas y voyant "un moyen d'endormir les électeurs" face au "problème de l'immigration illégale".
Les associations humanitaires sont, elles, affligées.
"C’est triste que les migrants fassent les frais de la bagarre politique entre LREM et le Rassemblement national", résume Christophe Deltombe, président de la Cimade, qui assure que "le discours est inversement proportionnel à la réalité migratoire".