Quel sera l’avenir de la neutralité du Net en Europe ?

Quel sera l’avenir de la neutralité du Net en Europe ?

Aux États-Unis, la neutralité du net, c’est fini. En Europe, en revanche, le Commissaire européen Andrus Ansip, en charge du marché numérique unique, assure que cette neutralité du réseau « continuera d’exister dans l’Union européenne ». Alors, vrai ou faux ?
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Par Jean-Claude Verset - RTBF

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La neutralité du net désigne le principe selon lequel tout trafic Internet doit être traité sans discrimination. Cette neutralité garantit l'égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Concrètement, tout internaute doit pouvoir visionner une série télé sur un site de streaming de son choix ou jouer à un jeu vidéo sans que son fournisseur d’accès internet (FAI) ne puisse favoriser un diffuseur de vidéo par rapport à un autre. Pas question, par exemple, de donner une priorité à de grands opérateurs comme Netflix, Amazon ou Google. Que ce soit gratuitement ou contre rémunération.

Les USA parient sur les effets de la concurrence

Le 14 décembre, la décision de la FCC -le régulateur américain des communications- a donc eu l’effet d’une bombe. Elle a mis fin, aux USA, au principe de neutralité. Fraîchement nommé à la tête de la FCC, Ajit Pai a résumé sa vision du net en une phrase:  «Consumers benefit most from competition, not préemptive regulation». À ses yeux, la loi de la concurrence défend bien mieux les intérêts des consommateurs que n’importe quelle législation tatillonne.» Le risque majeur pour l’internaute américain est, dans l’avenir, de devoir payer des suppléments pour accéder à certains sites comme YouTube ou Netflix. Et ce seront les fournisseurs d’accès qui pourront réduire ou accélérer la vitesse du débit internet selon les services qui leur rapportent le plus.

Cela entraînera obligatoirement des inégalités entre les gros fournisseurs de contenu qui paieront pour disposer de débits rapides et les start-up ou blogs particuliers dont la consultation sera rendue peu confortable faute d’avoir pu payer les opérateurs.

Check Point - La neutralité du web est-elle assurée en Europe ?
01:59

L’Europe résiste 

L’Europe sera-t-elle impactée par cette décision ? Le Commissaire européen  Andrus Ansip, en charge du numérique, assure le contraire. « La neutralité du net continuera d’exister dans l’Union européenne »

De ce côté-ci de l’Atlantique, la neutralité du web est protégée par un règlement européen. Depuis le 25 novembre 2015, ce règlement (2015/2120) précise notamment les droits de l’abonné en termes de vitesses et de qualité du service Internet. Il interdit également aux fournisseurs d’accès Internet (Bouygues Telecom, Proximus, Orange, Scarlet, Free… ) de discriminer l’utilisateur sur la base de l’origine ou de la destination des données.

Le règlement exige de la transparence dans la gestion du trafic et les vitesses (minimales) de trafic. Les opérateurs doivent enfin prévoir des procédures de plaintes à la disposition des internautes. La seule exception à cette liberté est la lutte contre les sites illicites diffusant des contenus xénophobes, d'incitation à la haine, etc. Alessandro Gropelli, porte-parole d’un groupement européen de fournisseurs d’accès internet (ETNO) résume la définition de la neutralité du net en trois critères: « pas de blocage, pas de ralentissement, pas de discrimination ».

Dans la pratique, les fournisseurs d’accès respectent-ils le règlement ?

La veille de l’acte de décès de la neutralité du web aux USA, Le Berec (Bureau des régulateurs européens de communications électroniques) a publié un rapport sur l’efficacité de la mise en place du règlement européen sur cette même neutralité du web. Un rapport qui rassemble les données de 30 régulateurs nationaux dont l’ARCEP pour la France et l’IBPT pour la Belgique. Un an après l’entrée en vigueur du règlement, et malgré quelques coups de canif dans le contrat, les conclusions du rapport de 36 pages sont relativement positives. Les lacunes portent principalement sur le manque de transparence des contrats proposés aux internautes, sur les engagements en matière de vitesse  du réseau, (minimum et maximum)  et sur la difficulté, pour le client, de contrôler le débit réel fourni par l’opérateur. Un nouveau rapport doit être rédigé par le Berec fin 2018, pour être remis à la Commission avant le 30 avril 2019.

Ce qui effraie les défenseurs du net

Trois types de pratiques potentiellement discriminatoires inquiètent pourtant les défenseurs de la neutralité du réseau, parmi lesquels  Axel Gautier, professeur d’économie à HEC Liège, LCII (Liège Competition and Innovation Institute) de l’Université de Liège, dont le site de la Tribune a publié une carte blanche.
Il est rejoint par Benjamin Bayart, cofondateur de la Quadrature du Net qui constate une certaine frilosité des régulateurs nationaux à faire respecter le règlement européen. Les trois inquiétudes sur l’avenir de la neutralité du net portent sur l’exclusion de contenu, les pratiques du «zero-rating » et la création de voies rapides sur lnternet.

L’exclusion de contenu

KPN, un fournisseur d’accès internet néerlandais, a exclu de son réseau de « Wifi hotspot » les applications en concurrence avec ses propres services comme les services de téléphonie par Internet (VoIP type Skype) avant d’être sanctionné par l’autorité néerlandaise de la concurrence (ACM). Et ce n’est pas un cas isolé. Skype concurrence la téléphonie fixe et mobile, WhatsApp concurrence les SMS et Netflix concurrence les services de vidéo à la demande.

Le chantage à la 4G

Certains opérateurs prétendent que leurs services (applications, diffusions et sites) exigent un réseau rapide que ne peut offrir que la 4G. Leur argument est que la neutralité du réseau ne leur permet pas d’atteindre les vitesses requises. Mais tant pis, alors, pour ceux qui ne disposent pas du téléphone ou du réseau adéquats. Le régulateur hollandais ACM avait autorisé ce type de restriction.

Pas le choix du modem

Une troisième crainte évoquée est l’absence de liberté du consommateur lors du choix du matériel utilisé. Le plus souvent, l’opérateur impose son propre décodeur (Box). Ce qui empêche notamment le client de contrôler la connexion du réseau. Cette pratique a été sanctionnée en Allemagne, mais pas en Belgique.

 Le « zero-rating »

La pratique du « zero-rating »  (ou application préférée) consiste, pour un opérateur (mobile le plus souvent), à offrir gratuitement certains contenus sur base illimitée (Pokemon go, YouTube, Facebook). Ce qui leur permet de ne pas être comptabilisés dans le forfait. Cette pratique n’est pas interdite, mais est surveillée de près par les régulateurs. Selon le rapport du Berec, elle serait même acceptée par la plupart des régulateurs nationaux des télécoms.  Des cas ont notamment été relevés en Belgique (Proximus), aux Pays-Bas (T-Mobile) et en Allemagne (Deutsch Telekom). La seule condition imposée par le règlement européen est que le zéro rating ne peut pas entraîner le ralentissement des autres services.

La voie prioritaire ? Interdit

Une autre attaque contre la neutralité du Web serait l’autorisation d’une voie prioritaire sur Internet (« fast lane »). Comme sur une autoroute où certaines bandes seraient réservées à des contenus « favorisés » bénéficiant d’un trafic plus rapide.

Le risque est de voir les fournisseurs de contenus (live vidéo, jeu en ligne, etc.) proposer aux fournisseurs d’accès de les rémunérer pour disposer d’une telle « fast lane ». Avec des effets directs sur la concurrence, les nouveaux venus n’ayant guère de chance d’encore pouvoir percer. Cette pratique est interdite, mais les fournisseurs d’accès aimeraient la faire accepter.

Quelques rares sanctions

Parmi les (rares) pratiques sanctionnées par les régulateurs européens, figure le Tethering. Une pratique consistant à partager la connexion Internet d’un téléphone ou d’une tablette avec d’autres appareils, comme les ordinateurs portables. Plusieurs opérateurs ont tenté de l’interdire.  Généralement à cause d’un réseau peu puissant limité à la 3G. Notamment Lycamobile en Belgique, et dans les DOM en France. De même qu’aux Pays-Bas. Dans tous les cas, les opérateurs ont dû faire marche arrière.

Une autre plainte portait sur l’obligation faite aux clients d’utiliser le matériel  (modem, routeur, décodeur…) propre au fournisseur d’accès. Preuve d’une certaine confusion, la plainte a été jugée sans fondement en Belgique, mais a été retenue en Allemagne où, depuis août 2016, un fournisseur d’accès ne peut plus refuser un modem tiers s’il est conforme, sur le plan technique, aux conditions de raccordement.

Fin mai 2017, le gendarme des télécoms français a donné neuf mois aux opérateurs français pour se mettre en conformité avec le nouveau règlement européen.

Ce qu’il reste à faire

Selon les chiffres du rapport du Berec, les garanties en matière de qualité de trafic Internet sont très variables et imprécises.
La vitesse minimum garantie aux consommateurs sur les réseaux varie de 20% de la vitesse maximum en Lettonie, à 70% en Finlande. De plus, les notions mêmes de vitesses « minimum », « maximum » ou « moyenne » diffèrent selon les pays. Et comme si tout n’était pas assez compliqué, les méthodes de mesure sont également différentes.

 

Dans six pays européens (FR, EL, IE, LV, RO and ES), les informations concernant la vitesse ne sont pas encore intégrées dans les contrats pour l’Internet fixe et la situation est comparable pour les contrats mobiles. Dans 6 autres pays, l’information n’est que partielle.
Dans la grande majorité des cas, les États n’ont pas prévu de mesures supplémentaires en matière de contrôle de la transparence du trafic web.  La plupart des pays n’ont d’ailleurs pas non plus précisé ce qu’il faut entendre par « différence significative » entre les services. Ce qui pourrait être une porte ouverte aux excès.

Le régulateur national tient-il une comptabilité des plaintes ?

23 régulateurs tiennent un véritable décompte des plaintes des internautes, mais 7 autres (dont la France et la Belgique) ne le font pas.

15 régulateurs nationaux pays ont proposé à leurs consommateurs des outils leur permettant de mesurer à la fois les débits réels offerts par leurs fournisseurs d’accès, ainsi que  la latence, les délais, la perte de paquets numériques, etc.). À l’inverse, 14 ne l’ont pas fait. La plupart ont toutefois décidé d’implémenter une solution dans un futur proche. Faute de mieux, plusieurs sites permettent d’estimer le débit en temps réels. C’est le cas de Fast.com et de Speedtest.net.

Selon le rapport du Berec, Aucun pays n’a imposé à ses fournisseurs d’accès le respect de niveau de qualité de service (QoS) autres que pour les vitesses de transmission. En France, l’Arcep compte s’équiper de nouveaux logiciels permettant de détecter des abus de façon automatique. C’est le cas de la méthode « record and replay » qui permet de vérifier si un FAI (fournisseur d’accès) ne ralentit pas l’accès à YouTube ou Netflix.

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