Quand la littérature écrit le roman social de son époque

Quand la littérature écrit le roman social de son époque

Deux histoires… deux vies en prise avec la société… Cette semaine dans l’émission « Livres & vous » sur Public Sénat, Guillaume Erner propose à deux écrivains de feuilleter leurs derniers ouvrages. Deux romans qui ont un point commun « la littérature du social », « Connemara » de l’écrivain Nicolas Mathieu (prix Goncourt en 2018 pour : « leurs enfants après eux ») et celui de Véronique Olmi, « Le gosse » publié chez Albin Michel dans lequel la romancière nous livre avec la précision d’une documentariste l’enfance douloureuse et solitaire d’un jeune orphelin au début du XXe siècle.
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Hélène a environ 40 ans, un amour oublié, Christophe, une vie en apparence réussie puisqu’elle est consultante pour de grandes entreprises mais malgré tout, Hélène n’est pas heureuse, elle a un sentiment « d’incomplétude ».
Dans son nouveau livre, Nicolas Mathieu décrit une France à deux visages, une France qui se questionne à l’image de son héroïne.

Vivre comme dans un roman… social

Hélène est une trans-classe, elle a quitté sa classe d’origine pour s’élever, « pour le meilleur et pour le pire » explique l’écrivain : « Elle a réalisé le programme dont elle rêvait sans savoir s’il s’agissait de son rêve ou de celui qui lui avait été instillé par son époque, son entourage, ses amis, elle est aspirée par l’idée que l’herbe est plus verte ailleurs ». Par ses lectures, elle découvre notamment d’autres vies que la sienne, « des vies plus bourgeoises, des vies américaines » à des milliers de kilomètres de sa région d’origine, l’Est de la France.
Joseph, lui, est né dans le quartier de la Bastille aux premières lueurs du XXe siècle. Après la Première guerre mondiale, il devient orphelin, ballotté d’abord dans une famille aimante puis dans une institution effroyable. Une histoire de construction de soi.

Pour Véronique Olmi, le XXe siècle est né en 1914. Avec « Le gosse », elle étudie les retentissements de cette guerre sur les mentalités, sur la manière « de continuer à vivre quand la vie est intimement liée à cette tragédie ». Pour elle, une définition du roman social.

Quand la fiction rejoint la réalité

L’origine du livre très historique de Véronique Olmi « c’est ce choc de la lecture du Miracle de la rose de Jean Genet » raconte-t-elle.
Né en 1910, Jean Genet a été abandonné par sa mère à 7 mois, placé dans une famille d’accueil du Morvan avec une « nouvelle » mère qui l’adorait. A 12 ans, l’enfant vit un nouveau drame, sa mère nourricière meurt. Jean Genet commet alors ses premiers vols et est envoyé à la colonie pénitentiaire agricole de Mettray.

C’est à Mettray que les deux jeunes hommes, le futur écrivain et poète, Jean Genet et Joseph, le « petit héros » de Véronique Olmi auraient pu se rencontrer.
Joseph côtoie comme lui des familles nourricières, l’Institution de la Petite Roquette à Paris, puis Mettray, une colonie agricole et pénitentiaire. « Un bagne pour enfant en Touraine d’une insondable barbarie », précise Véronique Olmi : « Joseph, c’est l’histoire d’un survivant. Il survit au pire, au chagrin ».

Pour faire vivre le personnage d’Hélène sous sa plume, Nicolas Mathieu se sert lui de sa propre expérience. « J’ai passé beaucoup de temps dans des entreprises à faire procès-verbaux de réunions et je voyais toujours passer ces petits hommes en bleu qui vendaient des PowerPoint et des slides » se rappelle-t-il. « Par leur manière de voir le monde… de l’entreprise, par l’idéologie qu’ils véhiculent, ces employés de cabinets de conseil dépeignent une certaine société, une société dans laquelle se perd Hélène, comme tant d’autres, au milieu de sa vie ». Mais où est le désir dans tout cela interroge le romancier ? Et comment les héros de « Connemara » et du « Gosse » se rejoignent-ils sous la plume de leurs auteurs ?

Pour Nicolas Mathieu, « Mettray, c’est comment le pouvoir prend possession des corps et des destins pour les employer à ses fins propres. Et la logique managériale, quand elle va au bout d’elle-même, c’est exactement la même chose : Il faut satisfaire des indicateurs, remplir des objectifs tout cela n’est jamais que des formes softs de discipline, on infléchit les comportements, on les oriente pour produire les effets souhaités… Le tableau Excel poursuit par d’autres moyens l’ambition du fouet » ironise-t-il avant de conclure : « Ce n’est pas l’enfer sur terre mais il faut bien appeler les choses par leur nom ».


Retrouvez l’intégralité de l’émission « Livres & vous » ici.

« Connemara » de Nicolas Mathieu - Ed. Actes Sud
« Le gosse » de Véronique Olmi – Ed. Albin Michel

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